Ainsi se joue, sous nos yeux, la dramaturgie d’une élite en rupture, jadis soudée par des intérêts convergents, désormais déchirée par les logiques centrifuges du pouvoir. Le compagnonnage entre Bemba et Kamitatu, naguère scellé dans les arcanes du Mouvement de Libération du Congo,MLC, s’est mué en un théâtre d’invectives où l’arme du ressentiment supplante l’argument politique.
Du secret partagé à la mise en accusation publique, il n’aura fallu que la rupture des intérêts pour que les confidences d’hier deviennent les projectiles d’aujourd’hui, balancés avec cynisme dans l’arène médiatique. Ce recyclage infâme de l’intimité stratégique trahit une faillite morale autant qu’un effondrement éthique de l’espace public.
Et c’est au nom d’un nationalisme frelaté, fondé non sur la cohésion républicaine mais sur une suspicion rampante et une obsession identitaire stérile, que certains figures de proue, à l’image de Bemba, attisent les braises d’une rhétorique de la fracture. En réactivant les phantasmes de l’altérité étrangère, en opposant les « vrais » Congolais aux « supposés usurpateurs », Bemba ravive des plaies identitaires à peine refermées et inoculent à la société congolaise les poisons mortels du doute, de la haine et de la division.
C’est là l’indice patent d’une élite en crise, incapable de se réinventer dans le cadre d’un projet de nation inclusive, et préférant instrumentaliser les passions tristes pour masquer l’indigence de ses propositions.
Il est une constante amère dans les alliances politiques en RDC : leur délitement engendre rarement le silence, mais bien plus souvent l’exhumation venimeuse de secrets autrefois partagés dans la confidence et la stratégie commune. Car les anciens alliés, liés jadis par le calcul et l’opportunisme, se transforment, au gré des ruptures, en contempteurs mutuels, promptes à dévoiler les replis honteux de leur compagnonnage défunt.
En République démocratique du Congo, cette dynamique prend des accents de tragédie dans la confrontation actuelle entre Jean-Pierre Bemba et Olivier Kamitatu, deux figures issues du Mouvement de Libération du Congo, MLC, aujourd’hui engagées sur des trajectoires diamétralement opposées.
Dans une déclaration dont la virulence n’a d’égale que la lucidité, Kamitatu jette un éclairage cru sur les procédés discursifs de Bemba, qu’il accuse d’avoir recours aux armes éculées de la peur, de la menace, du mensonge et de la calomnie.
Ces « vieilles recettes », pour reprendre ses termes, trahissent moins une stratégie de conviction qu’une volonté de fracturation sociale, d’exacerbation des lignes de faille identitaires et de réactivation de clivages que le pays peine à refermer.
Il est en effet pour le moins paradoxal voire moralement indigent que Bemba, lui-même détenteur d’attaches familiales avérées au Portugal, s’érige en procureur de la nationalité de ses rivaux, Joseph Kabila et Moïse Katumbi. Cette instrumentalisation de l’origine perçue comme étrangère, cette mise en doute de la filiation biologique, participent d’un discours dangereux, dont les relents nativistes et xénophobes menacent la cohésion nationale. En s’attaquant à des identités qu’il caricature et essentialise, Bemba s’inscrit dans une logique de stigmatisation qui n’est pas sans rappeler les dérives populistes.
Mais ce tropisme pour la division ne saurait s’expliquer uniquement par la conjoncture électorale ou les enjeux de pouvoir immédiats. Il semble plutôt s’enraciner dans une blessure plus intime, plus ancienne : celle de l’incarcération longue et politiquement chargée que Bemba subit à la Cour pénale internationale, sous le règne de Kabila.
Cette épreuve, dont il est ressorti plus amer que repenti, a laissé des stigmates visibles dans sa manière d’être au monde politique, une manière que certains qualifieraient de vindicative, presque revancharde.
Ainsi, le leader du MLC, désormais ministre d’État au sein du régime de Félix Tshisekedi, semble trouver dans la rhétorique de la division une catharsis personnelle autant qu’un levier stratégique. Le couteau encore entre les dents, pour reprendre une image saisissante, il ressasse les griefs, ravive les rancœurs et convoque des contre-vérités avec une hargne glaçante.
Que faut-il entendre, en effet, lorsqu’il évoque des « politiciens en soutane », sinon une allusion perfide, teintée de mépris, envers ceux qui investissent l’espace public avec un surcroît de moralité ou de religiosité perçue comme suspecte ?
Et que dire de cette pratique délétère consistant à égrener des noms à consonance étrangère pour insinuer la non-appartenance à la nation congolaise ? Ce procédé, outre qu’il est déloyal et malhonnête, est destructeur : il mine le fondement même de l’unité nationale, en substituant à l’idée de citoyenneté une logique de pureté identitaire, dangereuse et régressive.
Mais le plus inquiétant demeure ailleurs. Car cette parole toxique ne prospère pas dans le vide : elle bénéficie de la bienveillance tacite, sinon de l’approbation explicite des plus hautes sphères de l’État. Ce soutien, ou du moins cette absence de désaveu, équivaut à une impunité consentie, voire à une complicité idéologique.
En permettant à une telle rhétorique de se déployer sans entrave, le régime en place prend le risque de légitimer la fragmentation de la communauté politique, et d’ouvrir la voie à de nouvelles conflagrations.
Il est urgent, dans un tel contexte, de réhabiliter la parole politique comme instrument d’unification et non comme arme de destruction morale. Car la République ne se gouverne pas à coups de ressentiment, mais à travers une éthique de la responsabilité et un souci sincère du bien commun.

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