Jean-Pierre Bemba est propriétaire au Rwanda

Redigé par IGIHE
Le 16 juillet 2021 à 05:26

Après près d’une décennie et demie d’imbroglios judiciaires, de négociations opaques et de procédures étirées dans le temps, Jean-Pierre Bemba, éminente figure politique de la République Démocratique du Congo et héritier d’un empire économique édifié par son défunt père, Jeannot Bemba Saolona, est parvenu à récupérer deux parcelles situées à Rukiri, dans le secteur de Remera (district de Gasabo), au cœur de la capitale rwandaise.

Ces biens, objet d’un différend complexe, étaient liés à la Société d’Exploitation Agricole du Rwanda (EAR Ltd), entreprise créée à la fin des années 1980 avec pour vocation la transformation du café à destination des marchés internationaux.

L’imbroglio foncier trouve son origine dans les relations tissées à la faveur d’une visite d’État en 1989, alors que Bemba Saolona, proche du maréchal-président Mobutu Sese Seko, accompagnait ce dernier à Kigali. À cette occasion, il fut introduit auprès du président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, qui l’incita à investir dans l’économie locale. C’est ainsi que naquit le projet EAR Ltd, dans lequel Saolona engagea à titre personnel l’intégralité des fonds nécessaires, en couvrant les parts de ses associés rwandais, Silas Majyambere et son frère Ngendahimana Ézéchiel, ainsi que celles d’un petit groupe de Congolais, dont son fils Jean-Pierre Bemba.

Le capital fut réparti comme suit : 59 % pour Saolona, 20 % pour chacun des deux frères rwandais, et 1 % pour les associés congolais. Toutefois, le projet, bien qu’ambitieux, fut brutalement suspendu lorsque la guerre de libération éclata au Rwanda, empêchant l’acheminement des machines destinées à l’usine de transformation du café. En l’absence de remboursement de la part des associés rwandais, Saolona récupéra leurs parts, consolidant ainsi sa mainmise sur l’entreprise, dont il devint actionnaire quasi exclusif (99 %), le 1 % résiduel demeurant entre les mains de son fils et de quelques Congolais.

En 1997, le diplomate rwandais Kayitana Imanzi Emmanuel, alors nouvellement nommé ambassadeur à Kinshasa, se vit confier par Saolona la gestion de ses actifs rwandais, dont ceux de EAR Ltd. Mandaté par une lettre officielle, Kayitana administra les biens en question et perçut les loyers issus de la location des parcelles de la société, qu’il reversait à Saolona.

Ce n’est qu’en 2005, dans un contexte de désillusion économique, que Saolona prit la décision de céder les parcelles à Dunia Bakarani Faustin, ancien parlementaire congolais, pour un montant de 160 000 dollars américains. L’opération, formellement entérinée par un procès-verbal notarié et une décision du maire de la Ville de Kigali, se heurta toutefois à une résistance administrative inattendue. Kayitana, pourtant gestionnaire désigné, s’opposa à la mutation des titres fonciers, arguant de prétendues dettes non réglées à son encontre par Saolona.

Le différend s’envenima, donnant lieu à une série de contentieux judiciaires portés successivement devant diverses juridictions rwandaises. Majyambere, ancien associé de EAR Ltd, tenta sans succès de faire annuler la vente, avançant des droits successoraux sur les parts de son frère décédé. La justice écarta ses prétentions, jugeant qu’il n’apportait aucune preuve de sa qualité d’héritier légal.

Kayitana, quant à lui, se prévalut d’un document daté de 1998 lui attribuant 40 % des parts sociales et le pouvoir de représentation légale de la société. Si cette revendication fut dans un premier temps reconnue par la Cour suprême rwandaise, elle fut ultérieurement remise en cause par Bakarani, qui contesta l’authenticité des documents produits, ouvrant ainsi un nouveau cycle judiciaire.

Accusé de faux et usage de faux, Kayitana fut d’abord condamné à sept années d’emprisonnement, avant d’être acquitté en appel. Parallèlement, Jean-Pierre Bemba, héritier des droits patrimoniaux de son père décédé en 2009, contesta la légitimité de Kayitana à représenter EAR Ltd, affirmant n’avoir jamais été informé d’un quelconque accord octroyant à ce dernier une part du capital social.

En 2019, une requête en révision fut introduite devant la Cour suprême par les héritiers Bemba et Bakarani, contestant le jugement antérieur favorable à Kayitana. Ce dernier épisode judiciaire s’inscrivit dans un contexte marqué par l’incarcération prolongée de Jean-Pierre Bemba à La Haye, poursuivi par la Cour pénale internationale pour des crimes commis en Centrafrique, avant d’être acquitté en appel.

C’est donc dans le plus grand silence médiatique, à la faveur d’un processus extra-judiciaire présenté comme une médiation parallèle, que Jean-Pierre Bemba a récemment entrepris un déplacement discret au Rwanda afin de dénouer cette affaire. Selon certaines sources, des échanges confidentiels auraient abouti à un accord à l’amiable entre les protagonistes, conduisant à la restitution des deux parcelles à EAR Ltd et à son ayant droit principal.

Me Buhuru Pierre Célestin, avocat de Dunia Bakarani, a confirmé l’issue non contentieuse du litige, tout en précisant qu’aucun jugement définitif n’avait été rendu à ce jour, et que son client restait en droit de réclamer une compensation financière pour l’achat avorté des terrains. À défaut de dédommagement, le contentieux pourrait ainsi être réactivé devant les tribunaux compétents.

Quant à Kayitana, désormais silencieux, il a simplement indiqué que « la vérité finira par se savoir », laissant planer une ombre d’incertitude sur une affaire où se croisent les figures du pouvoir, les intérêts économiques et les méandres de la mémoire postgénocidaire.

Après près de 15 ans de litiges, Jean-Pierre Bemba a récupéré deux parcelles à Remera, au cœur de Kigali

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