L’impasse de Kinshasa face à la débâcle militaire dans l’Est

Redigé par Tite Gatabazi
Le 13 janvier 2025 à 02:41

Lorsqu’une nation vacille, qu’elle perd de son assise, échoue à préserver sa souveraineté ou démontre une incapacité manifeste à redresser le cap, deux options se présentent : suspendre temporairement l’action pour analyser les causes profondes de l’échec, ou, au contraire, s’engager tête baissée dans une fuite en avant, multipliant erreurs, crispations et discours incendiaires.

Malheureusement, c’est cette dernière voie qu’a choisie Kinshasa, sombrant dans l’intimidation, les menaces arbitraires, et la désignation hâtive de boucs émissaires, exposant ainsi ses failles avec une clarté alarmante.

La cacophonie qui règne dans les sphères dirigeantes congolaises est illustrée par la succession d’annonces maladroites, où l’émotion supplante la raison.

Christian Bosembe, président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC), Patrick Muyaya, ministre de la Communication et Constant Mutamba, ministre de la Justice, se livrent à des surenchères verbales, entraînant dans leur sillage le général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées de la RDC (FARDC).

Ce dernier, lors d’un point de presse, confirme à demi-mot une réalité que le pouvoir central refuse d’admettre : la zone de Masisi est tombée sous le contrôle du M23. Une déclaration qui a provoqué l’incrédulité manifeste de Patrick Muyaya, visiblement décontenancé par la tournure des événements.

Un discours de menace et de déni

Face à cette débâcle, la réaction des autorités congolaises s’enlise dans la panique et l’escalade. Christian Bosembe a dégainé le premier en dénonçant ce qu’il considère comme une collusion médiatique avec les "terroristes". Il cible explicitement des médias internationaux comme RFI, TV5Monde et France24, les accusant de relayer les avancées du M23 tout en « occultant les exploits des FARDC ». Usant d’un ton martial, il affirme que « les terroristes n’ont pas droit à la parole chez nous », une déclaration qui, de manière révélatrice, ne mentionne ni les FDLR, ni les ADF, ni les milices CODECO, mais focalise exclusivement sur le M23.

Les menaces de suspension des médias qui relateraient les réalités du terrain traduisent une stratégie visant à museler l’information. Or, cette tentative de contrôle ne parvient qu’à mettre en lumière l’échec de la coalition regroupant les FARDC, les FDLR, les groupes armés Wazalendo, des mercenaires et des forces burundaises, qui reculent face à un M23 plus structuré et mieux organisé.

Ces forces, en pleine débâcle, abandonnent non seulement des positions stratégiques, mais également des équipements militaires, tout en subissant des pertes humaines colossales.

La réalité du terrain : une défaite cuisante

Sur le front, la prise de Masisi marque un tournant décisif. Cette zone, bastion des FDLR et de contingents burundais, est désormais contrôlée par le M23. Signe d’un effondrement généralisé, des soldats des FARDC font défection et rallient les rangs du M23, armes et bagages. Parallèlement, des combattants FDLR, désillusionnés, se rendent aux forces de sécurité rwandaises à Rubavu. Quant aux troupes burundaises, elles paient un lourd tribut, réduites au rôle de chair à canon.

Le choix de l’arbitraire : une escalade suicidaire

Plutôt que d’adopter une approche lucide et réfléchie face à cette déroute, le gouvernement congolais opte pour la surenchère. Constant Mutamba, connu pour son zèle légendaire, s’est ainsi illustré en déclarant que tout acteur politique, membre de la société civile, journaliste ou religieux qui relayerait des informations sur les activités supposées de « l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 » serait désormais passible de la peine de mort. Une annonce qui ne fait qu’exacerber le climat de tension, révélant un pouvoir à court d’arguments et en proie à une profonde confusion.

Le piège du déni et de la vocifération

Cette fuite en avant est symptomatique d’un gouvernement en perte de contrôle, prisonnier de ses propres contradictions.

Le journal La Libre Afrique résume avec justesse la situation : « Les rebelles poursuivent leur avancée dans l’Est, Kinshasa se terre dans le déni et la menace. » A défaut d’une stratégie cohérente pour gérer une crise d’une telle ampleur, les autorités congolaises se réfugient dans un discours belliqueux et stérile, multipliant les intimidations au lieu d’ouvrir un véritable débat sur les causes profondes de cette débâcle militaire, politique et diplomatique.

La fuite en avant du gouvernement congolais révèle une crise de légitimité et de gouvernance bien plus profonde qu’une simple incapacité à contenir un conflit armé. Plutôt que de s’attaquer aux racines structurelles du problème, notamment l’absence chronique d’un commandement unifié au sein des FARDC, l’incapacité à construire une véritable cohésion nationale, et le recours systématique aux alliances irréfléchies et meurtrières aux agendas divergents, les autorités choisissent de dissimuler leur incompétence derrière des menaces rhétoriques et des gesticulations autoritaires.

Cette posture, qui frôle l’autisme politique, traduit une fragilité institutionnelle criante, où le déni de la réalité devient le principal outil de communication. La coercition ne saurait remplacer une réflexion stratégique, et à cet égard, Kinshasa s’enferme dans un cercle vicieux autodestructeur.

En axant leur discours sur l’intimidation, les dirigeants congolais abandonnent leur responsabilité première : reconstruire un lien de confiance avec la population. Les mesures coercitives visant les médias et les voix dissidentes, loin de restaurer une quelconque crédibilité, contribuent à aggraver le fossé entre le pouvoir et les citoyens. En réduisant l’espace d’expression, d’information et en criminalisant toute forme de critique, Kinshasa se prive des contributions d’acteurs essentiels à la résolution de la crise, qu’il s’agisse de journalistes, d’intellectuels ou de représentants de la société civile et des religieux.

Cette stratégie de polarisation, qui oppose de manière manichéenne le "patriotisme" au "collaborationnisme", est une impasse qui affaiblit davantage un État déjà vacillant. Elle témoigne d’une vision court- termiste, incapable de saisir l’urgence d’un dialogue inclusif et constructif.

Enfin, l’incapacité du gouvernement à reconnaître l’évidence des échecs militaires sur le terrain ne fait que renforcer l’emprise de la crise sur le pays. En s’arc-boutant sur une logique du déni, les autorités négligent la nécessité d’une réforme militaire profonde, d’une révision des alliances régionales, et d’un engagement diplomatique sincère.

Le recours constant à des expédients, qu’il s’agisse de mercenaires étrangers ou de milices locales, illustre une absence totale de vision stratégique à long terme. Cette myopie politique, conjuguée à une

rhétorique belliqueuse et stérile, risque de précipiter l’effondrement de l’État congolais, non par l’effet des offensives extérieures, mais par une désagrégation interne résultant d’un leadership inapte à affronter la réalité de ses propres contradictions.

L’urgence d’un sursaut de lucidité

Alors que l’Est de la RDC continue de s’enfoncer dans le chaos, Kinshasa, incapable de proposer une réponse constructive, préfère se murer dans un déni autodestructeur.

L’histoire jugera sévèrement cet aveuglement collectif et ce refus obstiné de tirer les leçons d’une crise qui, chaque jour, s’aggrave davantage.

Le général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées de la RDC (FARDC).

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