L’impossible dépassement d’un Etat captif de sa propre fabrique de conflits, selon Dr Alex Mvuka

Redigé par Tite Gatabazi
Le 1er décembre 2025 à 11:28

Depuis plus de quatre décennies, Kinshasa s’est mué en une véritable fabrique de conflits, une « usine » politico-militaire dont les logiques internes produisent, recyclent et entretiennent en permanence l’instabilité chronique à l’Est de la République démocratique du Congo, selon Dr Alex Mvuka.

Cette usine, dont les rouages sont alimentés par le clientélisme, la prédation et les réseaux opaques de corruption, génère des bénéfices colossaux pour ceux qui l’habitent et la maintiennent en activité. Détruire cette matrice de conflits supposerait, pour les dirigeants congolais, de renoncer à une source de rente extraordinairement profitable et pour que la paix devienne une option crédible, il faudrait qu’elle rapporte davantage que la guerre, ce qui, dans le système congolais contemporain, relève encore de l’utopie.

Il y a trois ans, dans une étude consacrée à la gouvernance en RDC, Dr Alex Mvuka représentait graphiquement cette architecture de corruption sophistiquée : une caricature saisissante où se déployait, en une myriade de ramifications, la complexité d’un système auquel non seulement les gouvernants, mais aussi les gouvernés, se trouvent insidieusement arrimés.

Car l’un des drames de la RDC contemporaine est que la population, prise en étau entre pauvreté structurelle et dépendance aux circuits informels, devient malgré elle partie prenante de cette mécanique de mauvaise gouvernance, qui s’auto-entretient et se légitime par la nécessité quotidienne de survivre.

C’est dans ce cadre profondément vicié que s’inscrit la nouvelle de ce jour rapportée par le journaliste Steve Wembi : plus d’une centaine de hauts fonctionnaires auraient quitté Kinshasa pour accompagner le président Félix Tshisekedi à la cérémonie de signature des accords de paix entre la RDC et le Rwanda à Washington.

Cette migration bureaucratique massive n’a rien d’anodin : elle illustre parfaitement l’économie politico-administrative qui s’est constituée autour des processus de paix, où chaque déplacement, chaque pourparler, chaque photographie officielle se transforme en opportunité financière.

Les envoyés spéciaux de Kinshasa ne se déplacent pas pour négocier, ni pour porter une vision stratégique de sortie de crise, mais pour percevoir des frais de mission, s’offrir des séjours dans des infrastructures occidentales modernes et s’inscrire dans le théâtre diplomatique sans en assumer la responsabilité intellectuelle ou politique.

De surcroît, à Kinshasa, les intérêts privés des détenteurs du pouvoir, ministres, conseillers, généraux, gestionnaires de fonds spéciaux entrent en contradiction flagrante avec les réformes indispensables à toute pacification réelle.

L’État congolais, prisonnier d’un enchevêtrement de loyautés parallèles, ne peut défendre la paix sans heurter les appétits économiques de ceux qui profitent de l’instabilité. Le discours de haine, ethnisé, décomplexé, banalement relayé par certains responsables politiques et sécuritaires n’est pas une simple dérive rhétorique : il constitue un instrument structurant de gouvernement, permettant de détourner la colère populaire, d’entretenir la peur, de justifier la militarisation et, surtout, de masquer l’irresponsabilité de la classe dirigeante.

Renoncer à cette arme cognitive reviendrait pour le pouvoir actuel à perdre l’un de ses principaux leviers de contrôle social. Il n’y est nullement disposé.

Pendant ce temps, les citoyens congolais ordinaires demeurent suspendus à l’espérance ténue d’un futur plus digne, tandis que les élites continuent de prospérer sur les décombres d’un État qu’elles ont elles-mêmes méthodiquement disloqué.

Pistes de sortie : un horizon encore obstrué

Pour sortir de cette impasse mortifère, trois voies, théoriquement envisageables, se présentent :

Un leadership responsable et résolu, conscient que les causes profondes de la crise congolaise sont avant tout internes. Un leadership qui disciplinerait l’espace public, restaurerait la primauté du droit, et rétablirait l’autorité de l’État de manière équitable et non sélective.

Mais une telle perspective exige une rupture radicale avec la culture politique dominante, rupture que les détenteurs actuels du pouvoir ne montrent aucun signe de vouloir engager, tant leurs intérêts matériels sont liés à la perpétuation de l’usine de conflits.

Une force régionale dotée d’un mandat exécutoire, placée sous l’égide d’acteurs étatiques voisins et soutenue par la communauté internationale, pour appliquer le droit international humanitaire, sécuriser les populations et contraindre les groupes armés et leurs parrains institutionnels.

Une telle solution s’imposerait précisément parce que la RDC a démontré son incapacité structurelle à protéger ses propres citoyens. Mais elle supposerait un niveau de volonté politique régionale qui demeure, pour l’heure, hypothétique.

La création d’une économie de paix plus profitable que l’économie de guerre. En d’autres termes, financer la paix comme on finance un grand projet d’infrastructure, en rendant celle-ci plus rentable politiquement, économiquement, diplomatiquement que la perpétuation du chaos.

Tant que les rentes issues du conflit dépasseront celles de la stabilité, Kinshasa continuera de faire fonctionner son usine, indifférente aux tragédies humaines qu’elle engendre.

Depuis plus de 40 ans, Kinshasa est devenue une « usine » de conflits, alimentant l’instabilité à l’Est de la RDC, selon Dr Alex Mvuka

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