La diplomatie de la RDC sabordée par le sensationnalisme

Redigé par Tite Gatabazi
Le 13 juin 2025 à 09:50

La conduite de négociations de paix, par essence, exige le silence des salons feutrés, la retenue des plénipotentiaires et le respect scrupuleux des engagements de confidentialité.

En diplomatie, le secret n’est point synonyme de dissimulation mais bien de décence, de gravité, et de respect envers les parties prenantes, notamment envers les médiateurs dont la légitimité repose sur la confiance mutuelle. Or, cette règle tacite mais fondamentale semble être méthodiquement foulée aux pieds dans le dossier explosif qui oppose la République démocratique du Congo au Rwanda.

A mesure que se tissent laborieusement les fils d’un second projet d’accord sous les auspices de Washington, la RDC, plutôt que de cultiver le silence propice à l’émergence d’un compromis, s’empresse de distiller à dessein des fragments du processus à des médias amis, dans une stratégie mêlant calcul politique, manipulation de l’opinion et volonté de torpiller la médiation.

Ces fuites, loin d’être innocentes, sont devenues une arme à double tranchant : elles visent, sous couvert de « transparence », à peser sur le rapport de force en cours, à discréditer l’adversaire ou à préempter le récit de la négociation.

Mais en réalité, elles fragilisent les assises mêmes du processus diplomatique, en transformant chaque concession en aveu, chaque clause confidentielle en scandale publicisé, chaque divergence en contentieux irréconciliable. Cette manie délétère de saborder la discrétion au profit d’un bruit médiatique calculé trahit une posture de suspicion permanente et affaiblit in fine les perspectives de paix durable.

Un projet d’accord structurant mais sous tension : les conditions congolaises

Le document en circulation, que certaines rédactions ont pu consulter en amont des négociations prévues cette semaine dans la capitale américaine, marque une avancée substantielle par rapport à la déclaration de principes signée en avril dernier. Cette nouvelle mouture structure la paix autour d’exigences congolaises fermes, que Kigali continue de contester dans leur principe même.

En premier lieu, Kinshasa subordonne toute signature à un retrait intégral, inconditionnel et vérifiable de l’ensemble des personnels, équipements et dispositifs armés sous contrôle direct ou indirect du Rwanda. Cette disposition, éminemment sensible, renvoie à un désaccord fondamental : le Rwanda, fidèle à sa rhétorique sécuritaire, nie la présence officielle de ses troupes sur le sol congolais, préférant évoquer des « dispositifs préventifs » visant à contenir les menaces transfrontalières, notamment celles émanant des milices issues des FDLR.

En second lieu, le projet conditionne l’accord à la levée de l’état de siège en vigueur dans la province du Nord-Kivu depuis 2021. Cette mesure, d’abord instaurée pour restaurer l’autorité de l’État dans les zones en proie à l’insécurité chronique, est désormais perçue comme un obstacle institutionnel à la réinstauration d’un pouvoir civil apte à porter la transition vers une paix négociée.

Enfin, la signature du présent accord reste tributaire de l’aboutissement des discussions entamées avec l’AFC/M23, sous l’égide du Qatar à Doha. En d’autres termes, nul règlement bilatéral avec Kigali ne saurait prévaloir sans un arrangement préalable avec la principale force soutenue, selon Kinshasa, par le Rwanda.

FDLR, coordination sécuritaire et extension territoriale des engagements

Le texte actuel, tout en gardant une architecture conditionnelle, aborde aussi l’épineuse question des FDLR, souvent brandie par Kigali comme justification sécuritaire. Le projet prévoit une coopération bilatérale, encore largement hypothétique, pour identifier, localiser et neutraliser les éléments résiduels de ce groupe armé. Cette action conjointe devra s’inscrire dans le cadre du « Concept d’opérations » adopté à Luanda en octobre 2024, qui dessine une mécanique de coordination régionale encore embryonnaire.

Par ailleurs, la RDC s’engage, dans le texte, à interdire et à entraver toute forme de soutien logistique, financier ou politique qu’il soit national ou étranger destiné aux FDLR, renforçant ainsi sa volonté affichée de rompre avec les ambivalences du passé.

Si ce projet d’accord devait aboutir, ses implications dépasseraient les provinces traditionnellement affectées, telles que le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, pour s’appliquer à l’ensemble du territoire congolais. Toutefois, il ne s’agit pour l’heure que d’un canevas. Le véritable défi commence maintenant : il consiste à transmuter une architecture encore théorique en un engagement mutuellement consenti, encadré et respecté. Une réunion ministérielle pourrait prochainement sceller cette phase, en prélude à une signature solennelle par les chefs d’État des deux pays.

Mais tant que perdurera cette propension à instrumentaliser l’opinion publique par des fuites orientées, la paix restera suspendue à un fil. Car il ne peut y avoir de règlement véritable sans loyauté procédurale, ni de confiance sans la discrétion qui seule rend possible la parole franche, le compromis assumé et la reconstruction des liens entre deux nations meurtries.

Kayikwamba Wagner, ministre des affaires étrangères de la RDC

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