Les assises d’un nouveau pacte démocratique au Sénégal

Redigé par Tite Gatabazi
Le 29 mai 2025 à 04:47

C’est dans un climat politique encore chargé des remous de l’alternance démocratique que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a convoqué, le 28 mai 2025, une concertation nationale de grande ampleur, placée sous le signe de la refondation institutionnelle et de la consolidation républicaine.

A Diamniadio, pôle urbain emblématique d’une modernité sénégalaise encore en gestation, se sont réunis représentants de l’opposition à l’exception notable des fidèles de l’ancien président Macky Sall, membres de la société civile, syndicalistes, universitaires et experts, pour ouvrir un cycle de dialogues devant s’achever le 4 juin.

Ce forum, présenté comme la cinquième mouture du « dialogue national », se veut pourtant rupture autant que continuité : rupture, car il émane d’un pouvoir fraîchement élu sur les décombres d’un régime largement décrié ; continuité, parce qu’il reprend, en apparence, les formes consultatives déjà initiées sous l’ère précédente.

Le geste de M. Faye, s’il s’inscrit dans un élan d’apaisement et d’ouverture, n’en demeure pas moins une entreprise de reprise en main politique, dans un contexte où l’exécutif a engagé des poursuites judiciaires contre plusieurs figures emblématiques de l’ancien pouvoir.

Ainsi, cinq anciens ministres, dont trois ont été incarcérés parmi lesquels Amadou Mansour Faye, beau-frère de Macky Sall ont été traduits devant la Haute Cour de justice pour des faits présumés de malversations. Loin d’être anecdotiques, ces procédures participent d’une stratégie de restauration éthique de l’État, où l’exigence de redevabilité devient le mot d’ordre d’un pouvoir désireux d’incarner l’antithèse morale de son prédécesseur.

Les assises d’un nouveau pacte démocratique

A l’heure où les fragilités institutionnelles du Sénégal ont été mises à nu par les tensions violentes de la période 2021-2024, le choix d’un dialogue structuré autour de thématiques aussi fondamentales que la rationalisation des partis politiques, le statut de l’opposition, la révision du système de parrainage présidentiel ou encore la transformation du Conseil constitutionnel en véritable Cour constitutionnelle, revêt une portée déterminante.

Il ne s’agit pas seulement, pour le pouvoir en place, de ménager l’opposition ou de gagner du temps : il est question d’instaurer, sur les ruines d’un consensus abîmé, un pacte de refondation démocratique apte à prévenir les convulsions futures.

La concertation nationale devient dès lors un théâtre de réélaboration des équilibres institutionnels, où s’invente la forme sénégalaise d’une démocratie rénovée.

Le gouvernement, dans un dossier de presse transmis à l’ouverture des assises, affirme sa volonté de parvenir à des « consensus forts » garantissant l’exercice des libertés fondamentales et la préservation de la paix civile. Cette intention, si elle se traduit dans les actes, pourrait inaugurer une ère de maturité politique, affranchie des dérives autoritaires et des clientélismes endémiques.

Prévenir les fractures, restaurer l’espérance

Car il serait vain de prétendre refonder sans reconnaître les blessures. Les tragédies récentes, ces jeunes fauchés par balles lors des affrontements politiques des trois dernières années pèsent lourdement sur la conscience nationale. La mémoire collective, encore imprégnée des deuils, exige plus qu’un simple vernis démocratique : elle appelle à une justice restauratrice, à une vérité partagée, et à une gouvernance enfin enracinée dans l’écoute et la transparence.

Le défi du président Faye et de son premier ministre Ousmane Sonko est donc double : il leur faut à la fois incarner une rupture éthique avec les pratiques du passé et fédérer les forces politiques autour d’un avenir commun. Toute exclusion durable, tout usage partisan de la justice, toute mise à l’écart des voix critiques ferait peser sur cette initiative le soupçon d’un dialogue de façade.

Mais si la dynamique engagée par cette concertation nationale se prolonge par des actes concrets, elle pourrait consacrer le Sénégal comme l’un des laboratoires politiques les plus audacieux du continent, où la démocratie ne se borne pas à la régularité électorale, mais s’affirme comme un bien commun à réinventer sans relâche.

Au-delà de l’écume des procès, des querelles partisanes et des anathèmes croisés, se joue aujourd’hui, à Diamniadio, une bataille décisive pour l’avenir démocratique du Sénégal. Le pari du dialogue, s’il est sincèrement conduit, pourrait faire mentir les prophètes du désenchantement politique et faire éclore, dans les marges de la défiance, les germes d’un renouveau républicain.

Le président Bassirou Diomaye Faye a lancé une large concertation nationale sur la refondation institutionnelle

Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité