Au sommet des Nations unies sur les océans, qui s’est tenu récemment à Nice, la voix des îles a résonné plus fort que le ronron consensuel des capitales occidentales. Surangel Whipps Jr., président des Palaos, archipel de 340 îles éparses et de quelque 21 000 âmes, n’a pas masqué sa lassitude ni son indignation : « Parfois, nous avons l’impression de voyager à l’autre bout du monde pour rien », a-t-il confié, le visage impassible mais les mots chargés de reproches.
Sa présence sur la Côte d’Azur, à plus de 12 000 kilomètres de ses terres, visait à bousculer l’inertie des riches États : « Si vous voulez vraiment protéger les océans, prouvez-le. »
Un péril existentiel : la montée des eaux
La menace qui plane sur les nations insulaires du Pacifique n’est pas une abstraction statistique, mais une urgence vécue au quotidien. La montée inexorable du niveau des océans, conséquence directe du réchauffement climatique, emporte déjà des morceaux de rivages, inonde des cultures, salinise les nappes phréatiques, menace les fondations mêmes des villages. Ce ne sont pas seulement des terres qui disparaissent, mais des histoires, des langues, des mémoires millénaires.
Ralph Regenvanu, ministre de l’Environnement du Vanuatu – archipel de 83 îles volcaniques l’a exprimé avec une clarté glaçante : « Nous vivons une situation d’urgence climatique. Et nous y sommes confrontés tous les jours. » Plus encore, il a lancé un avertissement solennel aux grandes puissances : « Nous vivons votre avenir. Si vous pensez être en sécurité, vous ne l’êtes pas. »
Les îles du Pacifique subissent en effet un enchaînement tragique : l’élévation du niveau des mers réduit leur territoire habitable, tandis que les cyclones tropicaux, exacerbés par la chaleur des océans, gagnent en fréquence et en intensité.
À cela s’ajoute l’érosion côtière, la destruction des récifs coralliens véritables boucliers naturels contre les tempêtes et la submersion des cultures vivrières. C’est l’habitabilité même de ces terres qui s’effondre.
Le cri du Pacifique : financement, justice et action
Face à cet abîme, les États insulaires réclament non plus des paroles mais des engagements concrets. Ils demandent, à juste titre, des ressources financières à la hauteur de la catastrophe. « Pour protéger nos océans, il faut de l’argent, encore de l’argent », martèle M. Whipps. Mais le fossé entre les besoins urgents et les fonds disponibles ne cesse de s’élargir. La promesse des 100 milliards de dollars d’aide climatique, évoquée une nouvelle fois avant le sommet par le Costa Rica, n’a toujours pas trouvé sa matérialisation.
Moetai Brotherson, président de la Polynésie française, résume crûment la disproportion tragique : « Nous représentons moins de 0,1 % du PIB mondial, et pourtant, nous couvrons un tiers de la surface du globe. » Ces nations, qualifiées de « colosses aux petits pieds », n’ont pas les moyens d’affronter seules une crise engendrée principalement par d’autres.
C’est cette injustice climatique que souligne également Hilda C. Heine, présidente des Îles Marshall : « Trop peu est fait, et trop lentement. » Quant au Vanuatu, il a décidé de porter le combat sur le terrain juridique, en saisissant la justice internationale pour contraindre les États les plus émetteurs à prendre leurs responsabilités.
L’aveuglement fossile des puissances
Étonnamment ou scandaleusement absentes du sommet de Nice, les énergies fossiles, pourtant principales responsables de la dérive climatique, n’ont été ni nommées dans la déclaration finale, ni sérieusement débattues. Ce silence a été dénoncé avec force par Sivendra Michael, ministre de l’Environnement des Fidji, qui a souligné l’inaction coupable de nombreux pays industrialisés : « Nous, nous venons à ces conférences en agissant, pas seulement en parlant. »
La France, hôte du sommet, n’a pas été épargnée. Taivini Teai, ministre de l’Environnement de Polynésie, a exprimé le sentiment d’isolement croissant des peuples insulaires : « Parfois, on se sent seuls au monde. Mais nous devons nous serrer les coudes et leur faire comprendre que c’est maintenant qu’il faut réagir. »
L’exemplarité des peuples océaniens
Loin de se résigner, ces nations insulaires démontrent que la grandeur ne se mesure ni en superficie ni en richesse. La Polynésie a instauré la plus vaste aire marine protégée au monde, éclipsant les efforts de la métropole française. Samoa a annoncé la création de neuf nouvelles zones marines protégées couvrant 30 % de ses eaux, tandis que le Vanuatu et les Îles Salomon ont présenté un ambitieux projet de parc marin transnational de six millions de kilomètres carrés.
Ces initiatives ne sont pas seulement symboliques : elles incarnent une gouvernance écologique pionnière, résolument tournée vers la sauvegarde du vivant. Car ce que les nations du Pacifique protègent, ce n’est pas seulement leur avenir, mais celui de l’ensemble de l’humanité. Elles sont les gardiennes d’un océan que d’autres exploitent sans vergogne, les porte-voix d’une nature asphyxiée, les vigies de civilisations que l’indifférence pourrait condamner à l’engloutissement.
En refusant le fatalisme et en exigeant la justice climatique, ces peuples insulaires nous tendent un miroir. Ce que nous y voyons n’est pas seulement leur destin, mais le nôtre.

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