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Burundi : Exécutions sommaires perpétrées par l’armée et la police

Redigé par Egide Nduwimana
Le 12 février 2015 à 05:20

La Force de défense nationale du Burundi et la police de ce pays ont commis au moins 47 exécutions extrajudiciaires entre le 30 décembre 2014 et le 3 janvier 2015 à la suite d’un affrontement avec un groupe armé dans la province de Cibitoke, dans le nord-ouest du pays, a déclaré Human Rights Watch. Des membres armés de la ligue des jeunes du parti au pouvoir ont également participé aux exécutions.
« Les forces de sécurité burundaises ont la responsabilité de défendre les citoyens contre la violence, (...)

La Force de défense nationale du Burundi et la police de ce pays ont commis au moins 47 exécutions extrajudiciaires entre le 30 décembre 2014 et le 3 janvier 2015 à la suite d’un affrontement avec un groupe armé dans la province de Cibitoke, dans le nord-ouest du pays, a déclaré Human Rights Watch. Des membres armés de la ligue des jeunes du parti au pouvoir ont également participé aux exécutions.

« Les forces de sécurité burundaises ont la responsabilité de défendre les citoyens contre la violence, mais cela ne leur donne pas le droit de tuer les personnes appréhendées », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch. « Il semble toutefois que les militaires et les policiers n’ont pas cherché à arrêter la plupart des hommes qui se sont rendus, préférant les abattre. »

Les meurtres commis à Cibitoke s’inscrivent dans une longue série d’exécutions extrajudiciaires commises depuis plusieurs années par les forces de sécurité burundaises et par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir. Parmi les victimes figurent de nombreux civils, ainsi que des membres de groupes armés et d’autres opposants présumés. Les exécutions perpétrées à Cibitoke présentent l’un des bilans les plus lourds enregistrés ces dernières années lors d’incidents de ce genre.

Les informations limitées disponibles sur le groupe armé semblent indiquer que ses membres sont entrés au Burundi fin décembre en traversant la frontière de la République démocratique du Congo. Des témoins et des autorités militaires ont décrit les hommes comme étant bien armés. Certains membres du groupe qui ont été arrêtés ont signalé à Human Rights Watch que leur objectif était d’établir une base dans la forêt de la Kibira, à l’est de Cibitoke, à partir de laquelle ils pourraient « mener la guerre » contre le gouvernement burundais.

Le 30 décembre au matin, un affrontement a opposé l’armée et la police burundaises à ce groupe armé dans la ville de Rwesero. Les membres du groupe armé se sont dispersés dans les communes de Murwi et de Bukinanyana, où les combats se sont poursuivis pendant quatre ou cinq jours. Début janvier, plusieurs dizaines de membres du groupe armé ont fini par capituler et se sont livrés à des militaires et à des policiers, ou à des habitants qui les ont ensuite remis aux autorités locales.

Des militaires et des policiers, aidés par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir – connus sous le nom d’Imbonerakure – ont exécuté la plupart des hommes qui se sont rendus. En janvier, un chercheur de Human Rights Watch s’est rendu à six reprises à Cibitoke en l’espace de 17 jours et s’est entretenu avec plus de 50 personnes, dont 32 témoins des exécutions, des membres du groupe armé en détention, ainsi que des autorités locales. Human Rights Watch a recueilli des informations sur les meurtres d’au moins 47 membres du groupe armé commis par des militaires, des policiers et des Imbonerakure entre le 30 décembre 2014 et le 3 janvier 2015.

Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch

Le 5 janvier, le porte-parole de la Force de défense nationale a déclaré à des journalistes que 95 membres du groupe armé, ainsi que deux militaires et deux habitants, avaient été tués au cours des affrontements, et que neuf membres du groupe armé avaient été capturés et arrêtés. D’autres membres du groupe ont été arrêtés plus tard. 14 se trouvaient encore incarcérés à la prison de Cibitoke début février. Le porte-parole a nié que des personnes ont été tuées après leur reddition.

Selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch, les premières exécutions ont eu lieu le 30 décembre dans la ville de Rwesero, en commune Murwi. « J’ai vu quatre rebelles capturés », a expliqué un témoin. « Ils avaient les mains liées derrière le dos. Les policiers et les Imbonerakure les ont roués de coups. Des militaires étaient aussi présents… Les policiers étaient furieux et ont ordonné aux gens de partir. Alors que nous nous éloignions, j’ai entendu entre 5 et 10 coups de feu. »

Des témoins ont rapporté que le 1er janvier, des militaires et des policiers ont abattu six membres du groupe armé au bord de la rivière Kaburantwa, entre les collines Ngoma et Rugano. Un habitant qui a assisté aux exécutions depuis la colline Rugano a expliqué : « Aux alentours de 16 heures, je suis descendu à la rivière et j’ai vu six corps ensemble. Ils avaient tous été abattus de balles dans la tête. »

Le 2 janvier, des militaires et des policiers ont abattu 17 membres du groupe capturés dans la forêt de Kibindi, près de Mpinga, en commune Murwi. Des témoins ont signalé que les combattants s’étaient rendus en petits groupes. Ensuite, des militaires et des policiers les ont alignés au sommet d’une colline et les ont abattus. Les témoins ont rapporté que certains étaient tombés de la colline au moment de leur exécution. Les militaires, les policiers et les Imbonerakure ont poussé les autres cadavres du haut de la colline et les Imbonerakure sont descendus pour confirmer qu’ils étaient bien morts. Les Imbonerakure et des habitants de la localité ont ensuite enterré les corps.

« Les militaires ont emmené les hommes à pied vers une colline qui surplombait la route », a expliqué un habitant. « D’autres militaires en camionnettes sont arrivés de la route principale et sont venus là où on était. Ils ont immédiatement tiré sur les rebelles. Les rebelles n’ont pas eu le temps de dire grand-chose. »

Des habitants ont affirmé que trois autorités locales – à Ngoma, Kalema et Murwi – avaient soit participé à des exécutions, soit remis des membres capturés du groupe armé à la police ou aux Imbonerakure, qui les avaient ensuite tués. Human Rights Watch a mené des entretiens avec ces trois autorités, qui ont nié toute implication.

« Le 31 décembre, un rebelle s’est livré [à une autorité locale] », a déclaré un témoin de Kalema. « Lorsqu’il s’est livré, la population locale, moi y compris, l’a suivi à distance. Quand il est arrivé au bureau de l’autorité locale, [celle-ci] l’a abattu. »

À Murwi, un témoin a vu une autorité locale livrer un combattant capturé à deux policiers le 1er janvier. Les policiers et un Imbonerakure de la localité ont ensuite tué le combattant. « J’ai suivi les policiers », a expliqué le témoin. « Ils se sont arrêtés sur un parking. La population disait, ‘Ne tuez pas cet homme !’ Il y avait un Imbonerakure et il insistait pour que le rebelle soit tué. Il l’a dit aux policiers et à la population. Les policiers ont autorisé l’Imbonerakure à les accompagner. Il est parti avec eux et quelques minutes plus tard, nous avons entendu des coups de feu. »

Des Imbonerakure ont participé à l’exécution d’autres membres du groupe armé qui s’étaient rendus. Un témoin a signalé que le 1er janvier, elle a vu un membre du groupe armé pourchassé par sept ou huit Imbonerakure près de la colline Bambo, en commune Murwi. « Le rebelle a vu qu’ils étaient trop nombreux, alors il a déposé son fusil par terre et il a levé les mains en l’air. Un Imbonerakure a dit, ‘Tuez ce chien !’ et ils l’ont frappé sur le front avec une houe. Il a crié au moment où ils l’ont frappé. Nous avons retrouvé son corps plus tard. »

« L’implication de policiers, de militaires et d’autorités locales, ainsi que de jeunes du parti au pouvoir, indiquerait une coordination et une responsabilité de l’État dans ces exécutions sommaires, » a observé Daniel Bekele. « Les autorités burundaises devraient immédiatement ouvrir une enquête indépendante et veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. »

L’enquête devrait porter sur la responsabilité des membres de la police, de l’armée, des Imbonerakure et des autorités locales, ainsi que sur la responsabilité de leurs commandants ou supérieurs. Ceux contre lesquels il existe des preuves substantielles d’implication dans ces meurtres devaient immédiatement être suspendus de leurs fonctions, arrêtés et poursuivis.

Des commissions d’enquête burundaises mises sur pied lors de précédents cas d’exécutions extrajudiciaires ont souvent été politisées, certaines cherchant à protéger les auteurs de ces actes et à discréditer les informations émanant d’organisations de défense des droits humains. Les responsables de ces exécutions ont rarement été tenus de répondre de leurs crimes. Les gouvernements bailleurs de fonds, en particulier ceux qui soutiennent les forces de sécurité burundaises, devraient offrir leur assistance pour enquêter sur les meurtres de Cibitoke, et le gouvernement burundais devrait accepter cette assistance internationale, selon Human Rights Watch.

Dans une déclaration datant du 5 février, le Département d’État américain a fait savoir qu’il était préoccupé par les informations impliquant les forces de sécurité burundaises dans les exécutions extrajudiciaires d’au moins 24 membres d’un groupe rebelle après leur reddition à Cibitoke au début du mois de janvier. La déclaration américaine souligne que le gouvernement burundais devrait mener une enquête approfondie et crédible sur ces allégations, réprimer tous les crimes qui pourraient avoir été perpétrés et traduire en justice les personnes responsables.

« Les gouvernements de pays tels que les Pays-Bas, qui apportent un soutien à la police burundaise, et les États-Unis, qui appuient l’armée burundaise, devraient insister sur la conduite d’une enquête transparente et sérieuse », a souligné Daniel Bekele. « Ces pays devraient faire clairement comprendre au gouvernement burundais qu’ils ne continueront pas à appuyer les institutions ou entités responsables d’abus, jusqu’à ce que les autorités ne traduisent pas les auteurs de ces abus en justice. »


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