IGIHE interviewe Gérard Adam, une personnalité intellectuelle doublée d’un humaniste qui voudrait porter et faire sentir la croix et les souffrances du genre humain. Il lutte pour un monde meilleur où le génocide sera un mauvais rêve lointain. Il aide toute personne qui veut élever sa voix contre ce crime odieux.
Interview
IGIHE : Gérard Adam, vous êtes médecin, écrivain, éditeur. Vous avez publié le témoignage de Marie Niyonteze sur le génocide des Tutsis rwandais et les crimes de masse qui l’ont précédé : « Retour à Muganza, récit d’un avant-génocide ». Vous vous insurgez actuellement contre le refus de la Foire du Livre de Bruxelles de programmer une rencontre sur le thème de la douleur des survivantes. D’où vous vient cet intérêt pour le Rwanda et le drame qui a été le nôtre ?
Gérard Adam : Ma réponse sera double.
Quel homme serait un médecin que la souffrance et la mort ne révolteraient pas, qui ne se vouerait pas à soulager l’une et adoucir l’autre ? Quel homme serait un écrivain qui ne penserait qu’à divertir et ne se préoccuperait pas de creuser par son art les réalités humaines les plus inacceptables que sont la souffrance et la mort ? Assister, dans la mesure de ses moyens, ceux qui souffrent me paraît un devoir fondamental. L’intérêt dont vous parlez est avant tout cela. Mon œuvre de romancier a toujours cherché à fouiller la souffrance. En tant qu’éditeur, j’ai publié des témoignages sur la déportation d’une juive polonaise et de son enfant en Sibérie durant la guerre de 40 ; je vais publier le témoignage d’une juive qui a cherché durant 65 ans avant de découvrir que sa mère et son frère avaient été assassinés à Auschwitz ; je prépare la publication du témoignage d’un artiste camerounais obligé de se réfugier en Belgique pour fuir la persécution des homosexuels dans son pays… Bien évidemment, dans ce cortège de souffrances, le génocide des Tutsis rwandais occupe une place de premier rang.
Par ailleurs, j’ai un rapport sentimental avec l’Afrique, où j’ai un peu vécu dans mon enfance et où j’ai travaillé trois années (au Congo-Zaïre) comme médecin militaire. J’ai également effectué trois brefs séjours au Rwanda (87, 88 et 90) dans le cadre d’échanges entre les Écoles militaires de Bruxelles et de Kigali, et j’ai été séduit tant par les paysages que par la cordialité digne et réservée de la population, sans rien soupçonner du drame qui se préparait.
Comment vous est venue la conscience de ce qu’a été le génocide ?
.
Le 5 avril 1994, je suis arrivé en Bosnie comme médecin Casque bleu. Le lendemain, nous apprenions l’attentat contre l’avion présidentiel et l’assassinat de nos collègues au Rwanda. Parmi eux, le lieutenant Lotin, que je connaissais.
Mais les renseignements dont nous disposions étaient confus, l’attention des médias se focalisait sur les populations fuyant l’avancée du FPR et sur l’opération Turquoise, nous n’avions aucune information sur les massacres et encore moins sur un génocide.
D’autant que nous étions nous-mêmes en danger permanent. À mon retour, cinq mois plus tard, le Rwanda n’était hélas plus d’actualité. J’ai commencé à prendre conscience en 2002, grâce à Rwanda 94. Mais surtout, fin 2009 ou début 2010, j’ai été contacté par Marie Niyonteze pour l’aider à mettre en forme un livre qu’elle avait écrit sur son incarcération en 1990, son asile en Belgique en 1993 et son retour clandestin au pays en 1996 afin de donner une sépulture aux siens massacrés durant le génocide.
À partir du travail accompli ensemble, qui est allé bien au-delà d’un toilettage du texte puisqu’il a permis à Marie d’exprimer ce qui restait enfermé au fond d’elle-même, j’ai pris conscience de l’ampleur du génocide, aussi effroyable que la Shoah, voire pire si on tient compte du fait qu’il a fait un million de victimes en l’espace d’un seul mois, et à coups de machette, c’est-à-dire avec un contact direct entre l’assassin et sa victime.
Le livre de Marie avait aussi l’intérêt de prouver qu’un massacre de grande ampleur était prévisible et donc évitable. Il m’a permis aussi de comprendre – pour autant que cela se puisse – la mécanique qui y a abouti, et notamment l’action de l’ancienne puissance colonisatrice, mon pays.
J’avais l’intention de chercher un éditeur pour Marie, puisque les éditions M.E.O. que j’avais fondées en 2007 avec des amis d’origine bosnienne, étaient destinées la littérature d’ex-Yougoslavie et de Belgique. Mais les amis s’en sont retirés, je suis resté seul aux commandes et Marie souhaitait que son livre soit publié par nous. J’ai donc étendu notre champ de publication pour le faire.
Aujourd’hui, comment voyez-vous la situation des survivants ?
À nouveau, je ne peux parler qu’à travers ce que plusieurs d’entre eux m’ont exprimé. C’est un traumatisme qui ne s’efface jamais, mais je suis admiratif de voir avec quel courage ils se reconstruisent dans des conditions pénibles, dans l’indifférence générale. Ils ont l’impression que personne ne s’intéresse à eux. Ni à l’étranger, où ils côtoient des génocidaires « réfugiés » sans être inquiétés, qui les narguent ouvertement, ni même au pays où il y a tant de défis à relever que leur sort passe à l’arrière-plan, où ils voient des génocidaires rentrer chez eux après un simulacre de demande de pardon et une peine symbolique. Comme ils ne peuvent pas pardonner – ce qui ne veut pas dire qu’ils réclament vengeance, mais simplement la reconnaissance de leurs souffrance et un minimum de justice –, ils ont l’impression qu’on les considère, eux, comme des gêneurs.
Vous vous dites aujourd’hui scandalisé par le refus de la Foire du Livre de Bruxelles de programmer une rencontre avec des survivantes. Pensez-vous qu’il s’agisse là d’une attitude révisionniste ou négationniste ?
G.A. : Plus que scandalisé, je suis écœuré. Cette rencontre, dont le thème était « Génocide des Tutsis rwandais – La douleur des survivantes » était préparée avec le plus grand sérieux et s’inscrivait parfaitement dans le thème de la Foire, « L’Histoire avec sa grande hache ». Devaient y participer deux survivantes ayant publié leur témoignage, ainsi qu’André Versaille, un éditeur bien connu de sciences humaines, qui tourne actuellement au Rwanda un documentaire sur les survivantes. Il devait être modéré par Bernard Dan, écrivain de qualité, mais aussi professeur de neuropédiatrie et chef de clinique à l’Université Libre de Bruxelles, et professeur invité au Rwanda.
Je ne pense pas qu’il y ait eu négationnisme ou révisionnisme de leur part.
Simplement, il s’agit d’une manifestation d’européanocentrisme ordinaire et du tout-à-la-rentabilité. Les organisateurs ont estimé que l’Afrique n’était pas « porteuse », qu’une seule présentation dans le cadre de la commémoration du vingtième anniversaire du génocide suffisait amplement, alors que des dizaines de rencontres présenteront les livres opportunistes qui foisonnent sur la guerre 14-18.
Une journaliste connue comme Colette Braeckman (dont je ne conteste ni l’honnêteté ni la compétence) leur a paru susceptible d’attirer des visiteurs, contrairement à des survivantes qui n’ont rien de vedettes. Alors, qu’importe si on leur confisque une fois de plus la parole en faveur de « spécialistes » européens, si on leur retourne une fois de plus la machette dans la plaie.
Après de telles réactions, n’êtes-vous pas découragés ? Que pouvez-vous encore faire aujourd’hui pour venir en aide aux survivants ?
G.A.:Découragé, certes pas. Et les mails de sympathie et d’encouragement émanant de personnes qui ne sont pas directement impliquées ne peuvent que conforter ma détermination.
Il faut aider à témoigner sans relâche, s’efforcer de comprendre l’horreur pour mieux combattre son retour, aider aussi au progressif dépassement. Mais ce ne peut être qu’une aide en arrière-plan, un soutien à ceux et celles, blessés dans la profondeur de leur être, qui doivent porter la parole.
Marie Niyonteze travaille à un deuxième livre, où elle présentera non seulement des situations de survivantes avec la palette de réactions témoignant de la diversité humaine, mais aussi son attachement à la « rwandité », qui lui semble assez riche pour, sans oublier, sans pardonner l’impardonnable, mais aussi sans haine ni désir de vengeance, offrir au Rwanda un avenir plus radieux.
Propos recueillis par Karirima Aimable Ngarambe
AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!