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Uvira ou la poudrière du Tanganyika

Redigé par Tite Gatabazi
Le 31 octobre 2025 à 12:10

La ville d’Uvira, ce carrefour stratégique sur la rive occidentale du lac Tanganyika, vit des heures d’inquiétude.

Depuis plusieurs jours, la tension y est à son comble : les détonations qui ont retenti dans la nuit du 29 octobre 2025, autour de 21h10, dans la commune de Mulongwe et le quartier densément peuplé de Kasenga, ne sont que les échos sonores d’un désordre plus profond, d’une instabilité qui gagne tout le flanc oriental de la République démocratique du Congo.

Les habitants, reclus dans leurs demeures, guettent à travers les persiennes les lueurs des armes automatiques. A Uvira, la peur a remplacé la nuit.

Car cette ville n’est pas une localité ordinaire : elle est la charnière frontalière entre le Sud-Kivu et le Burundi, un point névralgique où se croisent les influences politiques, militaires et économiques des deux rives du Tanganyika. Aujourd’hui, elle se trouve au cœur d’un entrelacs dangereux : les affrontements entre les milices dites Wazalendo et les Forces armées de la RDC (FARDC) d’un côté, la présence croissante de l’armée burundaise de l’autre, et en toile de fond, la crainte d’un effondrement régional que nul ne veut nommer mais que chacun redoute.

Le pouvoir de Gitega, conscient de sa fragilité interne, redoute la contagion d’un chaos congolais qu’il contribue pourtant à alimenter. Sous couvert d’opérations conjointes contre les groupes rebelles, l’armée burundaise a transformé la plaine de la Ruzizi et les collines d’Uvira en couloir d’influence, déployant ses troupes sous l’œil bienveillant de certaines autorités locales.

Mais la ligne de démarcation entre coopération sécuritaire et interventionnisme s’efface chaque jour un peu plus. Uvira devient, dans ce jeu trouble, un champ d’ombre où les alliances se font et se défont, où les armes parlent plus fort que les institutions.

La montée en puissance des Wazalendo, ces milices d’autodéfense érigées en supplétifs officieux de l’armée, illustre le désarroi d’un État qui délègue sa souveraineté faute de pouvoir la défendre. Ces groupes, qui prétendent protéger la nation, se muent peu à peu en factions autonomes, échappant à tout contrôle. Leurs affrontements avec les FARDC à Uvira ne sont pas de simples escarmouches : ils symbolisent la désagrégation de l’autorité centrale dans une région où les drapeaux se multiplient au rythme des allégeances et des rivalités locales.

Quant à Kinshasa, elle semble observer de loin, oscillant entre déni et impuissance. Le discours officiel, souvent lénifiant, masque mal l’érosion d’un contrôle territorial que l’État peine à reconquérir. Or, la situation d’Uvira ne se résume pas à un incident sécuritaire : elle est l’avant-poste d’une crise structurelle, celle d’une République fragmentée, où chaque frontière devient un laboratoire d’ingérences et de calculs géopolitiques.

Si rien n’est fait, la poudrière d’Uvira pourrait embraser le Sud-Kivu tout entier, et avec lui, déstabiliser un peu plus le Burundi voisin déjà sous haute tension. Car lorsque les États voisins transforment les failles de la RDC en couloirs d’influence, lorsque les armées étrangères circulent là où les institutions nationales reculent, le pays n’est plus seulement vulnérable : il devient un champ d’expérimentation du désordre.

Cette nuit du 29 octobre n’était peut-être qu’un prélude. Mais à Uvira, tout laisse à penser que les carottes sont bel et bien cuites si le pouvoir central ne reprend pas, sans délai, la maîtrise du récit et du territoire.

Autrement, le fracas entendu sur les rives du Tanganyika ne sera que le prélude d’un effondrement plus vaste, celui d’une souveraineté que l’on croyait acquise mais qui se délite à mesure que la peur s’installe.

La ville d’Uvira, ce carrefour stratégique sur la rive occidentale du lac Tanganyika, vit des heures d’inquiétude

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