Les dirigeants de plus de 50 Etats sont réunis pour deux jours pour un sommet sur la sécurité nucléaire. La Haye, le 24 mars 2014.
REUTERS/Yves Herman
Ils sont cinquante dirigeants de la planète réunis, ce lundi 24 mars, à La Haye et venus évoquer la menace atomique. Un sommet sur la sécurité nucléaire pour prévenir un risque international : l’appropriation ou le détournement de la technologie nucléaire par des groupes terroristes. Entretien avec Jean-Marie Collin, chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip).
RFI : Ces fameuses « bombes sales », c’est aujourd’hui un risque ou une réalité ?
Jean-Marie Collin : C’est toujours un risque. Il y a plus de 2 000 tonnes de matières nucléaires qui sont réparties à peu près dans une trentaine de pays, donc du plutonium et de l’uranium enrichis, donc il y a un risque. Mais l’un des grands risques qui est oublié lors de ce sommet, puisqu’il ne se focalise uniquement qu’en cas de vol de ces matières nucléaires, c’est aussi sur le risque que posent les armes nucléaires. On a à peu près 17 000 armes nucléaires à travers le monde et, ça aussi, ça pose un gros risque.
Est-ce qu’on a des informations aujourd’hui sur les groupes qui seraient les plus intéressés et également sur les régions qui pourraient être menacées ?
En termes de groupes terroristes, on parle souvent d’al-Qaïda ou de groupes en Tchétchénie qui avaient essayé, eux, en Russie de créer une « bombe sale ». Mais à part ce risque, on n’a pas de réalité sur le danger de ces vols de matières nucléaires. Par contre, on s’aperçoit qu’il y a un vrai manquement à la sécurité dans de nombreuses bases militaires nucléaires à travers le monde, que ce soit aux Etats-Unis, en France ou même aux Pays-Bas où par exemple, ce week-end, une vingtaine de pacifistes sont rentrés dans une base militaire où des armes nucléaires sont entreposées. Ils sont rentrés en toute liberté, sans qu’on ne les arrête, et ils sont arrivés à côté des bunkers où se trouvent des armes nucléaires. Là, il y a un risque sur la sécurité des armes nucléaires aussi.
Est-ce que les grandes puissances vont prendre des décisions ? On parle de ligne de conduite. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Les lignes de conduite ne seront pas incluses dans le communiqué final, ce qui montre bien la volonté ou la portée de la réalité de ces lignes de conduite. C’est simplement une volonté de renforcer des mesures de contrôle et de sécurité des matières nucléaires, peut-être un petit peu plus de transparence sur l’état des matières détenues par un certain nombre de pays. C’est peut-être des contrôles un peu plus appropriés ou de la coopération plus renforcée, notamment une volonté de donner à l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, un peu plus de moyens. Des moyens, ça se traduit par donner un peu plus d’argent à cette organisation, ce qui n’est pas chose gagnée encore.
A part l’AIEA, est-ce qu’il y a d’autres structures qui surveillent ces sujets, par exemple des agences de renseignements ?
Evidemment. Toutes les agences de renseignements mondiales surveillent ou tentent de savoir s’il y a des groupes terroristes, par exemple, qui essaient d’acquérir des matières nucléaires, des matières radioactives, donc ça arrive de temps à autre, ou du moins on laisse présager que cela arrive. On n’a jamais une réalité et une certitude. Vous avez des initiatives entre Etats qui sont réalisées comme l’initiative lancée par les Etats-Unis depuis quelques années, PSI [Proliferation security initiative], qui assure un plus grand contrôle au niveau des eaux maritimes pour savoir si des navires ne pourraient pas transporter ce type de matière. Donc il y a des contrôles plus fréquents. Voilà ce qui peut être réalisé en plus.
On sait que pour ce qui est du « terrorisme conventionnel », il y a des modes d’emploi sur internet. Là on parle d’atomes, on parle de nucléaire. Ne faut-il quand même pas un niveau de qualification très élevé ?
C’est pareil, tout dépend de quoi on parle. Il est évident qu’un groupe terroriste n’arrivera jamais à fabriquer une arme nucléaire. C’est une certitude. Voler une arme nucléaire, c’est une possibilité qui ne peut pas être exclue, mais ce n’est certainement pas là-dessus, si un groupe terroriste devait se focaliser, qu’il ferait son premier choix. Son premier choix serait certainement de voler des matériaux nucléaires, de les mêler à ce qu’on appelle des explosifs conventionnels pour créer ce qu’on appelle une « bombe sale ». Voilà le premier risque. Mais une fois encore, ce risque qui est mis en avant sur la possibilité de création d’une « bombe sale » doit aussi être mesuré par rapport au fait que les Etats nucléaires qui disposent d’arme nucléaire aujourd’hui n’assument pas leur responsabilité avec ces armes nucléaires. Ces armes peuvent aussi créer une catastrophe humanitaire mondiale si jamais elles explosent par accident ou par malveillance.
Malgré tout, fabriquer une « bombe sale », ce n’est pas donné à la portée du premier venu ?
Pour des citoyens, non. Mais à partir du groupe terroriste qui a une volonté de créer une « bombe sale », oui, puisque ça ne nécessite pas non plus des données scientifiques extrêmement compliquées. Vulgairement, c’est mettre ensemble des matières explosives conventionnelles et radioactives qui auraient été volées. Ça ne nécessite pas non plus une capacité scientifique extraordinaire, donc c’est réalisable par des groupes terroristes.
Est-ce que les Etats qui sont réunis pour deux jours à La Haye vont dans le même sens ou est-ce qu’on voit, comme aujourd’hui particulièrement dans le monde, une forme de scission entre plusieurs blocs : d’un côté Chine-Russie et de l’autre côté les Occidentaux ?
Non, il y a une volonté sur ce type de sommet d’aller tous dans le même sens, c’est-à-dire de travailler à une plus grande sécurité. Ça, c’est une certitude. C’est un sommet qui a été lancé depuis 2010 par le président Obama, qui avait été présenté dans son discours de Prague en 2009. Donc il y a une volonté d’aller dans le même sens. Les Chinois qui sont présents, notamment avec leur président, veulent affirmer un petit peu plus leur volonté de renforcer justement cette sécurité autour de l’atome. Il y a cette volonté commune.
Ça doit quand même être un peu rageant un sommet préparé depuis 2009. Finalement, on ne va pratiquement pas parler de ce sujet. A cause d’une guerre « conventionnelle », on parle de l’Ukraine.
C’est vous, journalistes, qui le pensez fortement puisque ce sommet va quand même durer deux jours, rassembler plusieurs milliers de personnes, une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement. La question de l’Ukraine va surtout être focalisée ce soir lors d’une réunion en aparté, en parallèle du G7. Mais sinon, il y a quand même une rencontre qui est prévue entre Sergueï Lavrov et John Kerry, les ministres russe et américain des Affaires étrangères sur cette question du sommet. Donc il y a quand même beaucoup de choses qui vont être réalisées. La question ukrainienne vient en plus, elle va venir forcément brouiller un peu le jeu. Mais il y a une volonté d’avancer au niveau de ce sommet sur la sécurité nucléaire.
par Caroline Paré
Jean-Marie Collin, coauteur avec Paul Quilès et Bernard Norlain de Arrêtez la bombe, aux éditions du Cherche Midi (février 2013).
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