Depuis que deux roquettes et des tirs d’armes automatiques ont fauché le général Adolphe Nshimirimana en plein coeur de Bujumbura, le Burundi retient son souffle et se demande quelles seront les conséquences de cet attentat qui décapite le système.
« Ceux qui ont frappé à la tête ont ainsi ouvert la voie à une progression de la rébellion, qui existe déjà dans le nord du pays », nous assure un activiste de la société civile « et les divisions au sein de l’armée pourraient mener à une reprise de la guerre… »
Dans d’autres milieux, on redoute un durcissement du régime et, alors que sept arrestations ont déjà eu lieu, les milieux d’opposition, qui s’étaient mobilisés contre le troisième mandat du président sortant Pierre Nkurunziza, redoutent de faire l’objet de rafles ou de vengeances.
Un haut cadre du parti au pouvoir a confié à l’agence France-Presse que la situation était très grave, ajoutant : « Nos garçons ont envie de se venger ».
Quelques heures après l’attentat, le chef de l’Etat, d’ordinaire connu pour sa discrétion, a pris la parole pour essayer de calmer
le jeu, exhortant ses troupes à renoncer à la vengeance.
En réalité, aussi bien dans les milieux internationaux qu’à l’intérieur du pays, la grande crainte vise le comportement des Imbonerakure, cette milice de jeunes, créée pour appuyer la candidature du chef de l’Etat, et qui, à la veille des élections présidentielles, ne s’est pas privée d’intimider les électeurs soupçonnés de tiédeur ou de sympathies envers l’opposition. Le général Adolphe Nshimirimana était considéré comme le principal organisateur et recruteur de ces groupes de jeunes, auxquels
il donnait des consignes depuis le débit de boissons qu’il possédait à Kamenge, l’un des quartiers de Bujumbura considéré comme un bastion du parti au pouvoir, le CNDD – Conseil national pour la défense de la démocratie.
D’éventuelles représailles pourraient viser les partis politiques, les organisations de la société civile et les nombreux manifestants qui, durant des semaines, s’étaient opposés à la réélection du président sortant à un troisième mandat. Cette crainte, ajoutée au risque d’une reprise de la guerre civile elle-même, prend le pas sur le soulagement qu’inspire la disparition
de l’homme le plus redouté du pays.
En effet, le général Adolphe était bien plus qu’un simple conseiller ou chargé de mission à la présidence : très proche du président Nkurunziza, qu’il avait rencontré dans la lutte armée au début des années 90, il était la poigne de fer du système et, durant les dix années qu’il passa à la tête du Service national de renseignements, il se vit attribuer la responsabilité de la plupart des « coups bas » imputés au régime.
Très actives au Burundi et relayées par une presse courageuse et indépendante, les organisations de défense des droits humains ont soupçonné le patron des services de renseignements d’être impliqué dans de nombreux crimes, exécutions extrajudiciaires, enlèvements, intimidations ou liquidation de personnalités dérangeantes comme Ernest Manirumva, le patron de l’OLUCOME (organisme chargé de lutter contre la corruption). En 2014, l’assassinat et le viol de trois religieuses italiennes, très respectées et vivant dans un couvent de Kamenge, avaient révulsé l’opinion lorsqu’il était apparu que les octogénaires avaient été liquidées car elles possédaient des informations compromettantes sur la formation, au Congo, de miliciens Imbonerakure et sur la collaboration de ces derniers avec les Interhahamwe rwandais se réclamant toujours de l’idéologie du génocide.
Pour avoir mené cette enquête explosive, le journaliste Bob Rugurika, de la Radio publique africaine, fut détenu durant plusieurs mois et sa libération, à la suite des pressions internationales, fut l’occasion d’impressionnantes manifestations. En mai dernier, le général Adolphe avait réussi à déjouer la tentative de coup d’Etat mené par une partie de l’armée, et en avait profité pour décapiter la presse indépendante.
Avec un autre proche du président, Alain-Guillaume Bunyoni, ancien chef de la police, le disparu incarnait l’aile dure d’un parti issu de la lutte armée et où de nombreux contestataires, appelés les « frondeurs », se sont opposés à un troisième mandat présidentiel. Si le recours à la violence est conjuré, on pourrait voir s’ouvrir une négociation politique avec l’opposition qui, à Addis Abeba, vient de se regrouper dans un collectif, le Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration de l’Etat dedroit. ■
*Image d’illustration de la page de garde :
Défilé des Imbonerakure, dans les rues de Bujumbura : la Ligue des jeunes du parti au pouvoir, souvent qualifiée de « milice », était organisée par Adolphe Nshimirimana (ci-contre). ©D.R.00
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