"C’était devenu vraiment populaire de tuer les Tutsis"

Redigé par Le Nouvel Observateur
Le 29 mars 2014 à 09:20

Deux décennies après le génocide au Rwanda, le photoreporter Alexis Cordesse livre une exposition coup de poing. Sans image d’horreur. Mais en s’attachant aux mots des criminels.
"Chers auditeurs, bonjour. Soyez enragés". "C’est à nous de nous débarrasser de cette sale race." "Restons unis contre la vermine." "Réjouissons-nous, les cafards sont exterminés. Dieu n’est jamais injuste."
Mois après mois, les mots de la radio Mille collines appelant les Hutus à éliminer les Tutsis auront d’eux-mêmes (...)

Deux décennies après le génocide au Rwanda, le photoreporter Alexis Cordesse livre une exposition coup de poing. Sans image d’horreur. Mais en s’attachant aux mots des criminels.

"Chers auditeurs, bonjour. Soyez enragés". "C’est à nous de nous débarrasser de cette sale race." "Restons unis contre la vermine." "Réjouissons-nous, les cafards sont exterminés. Dieu n’est jamais injuste."

Mois après mois, les mots de la radio Mille collines appelant les Hutus à éliminer les Tutsis auront d’eux-mêmes caractérisé le génocide. Puisqu’il y a génocide, selon le droit international, dès lors que l’intention de massacrer un groupe est manifeste.

Le photographe Alexis Cordesse a travaillé sur la rhétorique employée, objet d’une exposition audiovisuelle à la galerie parisienne "Les Douches". Il livre notamment une vidéo associant les archives sonores de la radio, datant de 1994, et ses photos prises sur le terrain deux ans plus tard.

Le résultat : un avant-après en simultané. L’appel au meurtre et les inhumations des victimes devenus inséparables. Son film de 13 minutes ne montre aucune image horrible, comme on en a déjà tellement vu, pour s’attacher aux messages, termes employés et leurs implications.

"Ce média de la haine s’est développé avec l’ouverture démocratique et sur fond de guerre civile. Il a eu un fort pouvoir de pénétration auprès d’une population majoritairement illettrée et composée de paysans. Les Hutus ont d’eux-mêmes repris la propagande. Au Rwanda, le rapport à l’autorité est sacré."

"Je n’ai pas eu le temps de penser à désobéir"

En 2004, dix ans après les crimes, Alexis Cordesse s’est à nouveau rendu dans le pays, dans la province de Kibuyé. Le photoreporter a longuement dialogué avec ceux ayant avoué leur participation au génocide. Des entretiens, il en a tiré une seconde oeuvre : une série de témoignages encadrés à côté de la photo de leurs auteurs.

Les propos sont tour à tour racistes, véhéments et déroutants. Comme ceux de ce maçon affirmant : "Je n’ai pas eu le temps de penser à désobéir". "Ces aveux sont d’une sincérité troublante, reprend Alexis Cordesse. Et les personnes, condamnées ou non, n’ont pas tant de regrets que ça."

Les portraits sont isolés de tout contexte, entre la photo de studio et anthropométrique. Les sujets nous apparaissent ainsi familiers, détachés de leurs crimes. Comme pour souligner l’humain et son inhumanité. Et nous interpeller plus universellement sur l’inhumanité que nous gardons en nous.

Un Tutsi se reconnaît à son nez. Quand on en attrapait un, on le tuait sur le champs.

A ce moment là, on ne connaissait plus Dieu. On travaillait même le dimanche."

C’était devenu vraiment populaire de tuer les Tutsis. Donc de tuer ces enfants, ça ne m’a rien fait.


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