Farnel, Boudiguet et Yolande ; écrivains en quête de vérité sur le génocide des tutsi

Redigé par Jovin Ndayishimiye
Le 8 avril 2014 à 10:22

Où en est-on dans la lutte contre les idéologies du négationnisme, du révisionnisme et double génocide en rapport avec le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda au moment où les Rwandais s’apprêtent à commémorer pour la vingtième année les leurs qui ont été sauvagement massacrés en 1994 ?
Trois écrivains, Serge Farnel avec Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais, Bruno Boudiguet auteur de Vendredi 13 à Bisesero et Yolande Mukagasana, L’Onu et le chagrin d’une négresse, portent haut le flambeau de la lutte (...)

Où en est-on dans la lutte contre les idéologies du négationnisme, du révisionnisme et double génocide en rapport avec le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda au moment où les Rwandais s’apprêtent à commémorer pour la vingtième année les leurs qui ont été sauvagement massacrés en 1994 ?

Trois écrivains, Serge Farnel avec Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais, Bruno Boudiguet auteur de Vendredi 13 à Bisesero et Yolande Mukagasana, L’Onu et le chagrin d’une négresse, portent haut le flambeau de la lutte contre ces idéologies dévastatrices.

L’écrivain Serge Farnel

Ce jeudi 3 avril 2014, dans une salle de conférence de l’hôtel Chez Lando à Kigali, les trois écrivains ont décidé de donner une conférence de presse conjointe. N’écrivent-ils sur un même thème, le génocide des Tutsi ? N’ont-ils pas un même objectif, à savoir défaire ce mal, désigner les auteurs ayant conçu ce crime et mettre les projecteurs sur le rôle de l’Occident aussi bien dans la conception que dans l’exécution de ce génocide ?
Tous les trois sont unanimes, à la veille de la 20e Commémoration du génocide des Tutsi de 1994, pour dire que le slogan ’’Plus Jamais ça’’ ne suffira pas tant que ne seront pas dégagées les responsabilités de la main extérieure qui a concouru à parfaire ce crime contre l’humanité.
Les livres de Serge Farnel et Bruno Boudiguet n’ont rien à envier aux enquêtes policières et sont de véritables travaux d’investigation sur le rôle des militaires français intervenus au Rwanda dans les opérations Noroît, Amaryllis ou Turquoise. Comme leurs titres l’indiquent, ces travaux sont focalisés sur la région de Bisesero, à cheval entre les anciennes communes de Gishyita et Gisovu, où plus de 50.000 Tutsi ont été décimés par les miliciens Interahamwe avec, fait inédit, le concours de militaires blancs, francophones et désignés comme français par nombre de témoins, et ce bien avant l’opération officielle française, l’opération Turquoise.

de gauche à droite, Serge Farnel, Yolande Mukagasana et Bruno Boudiguet

Dans Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais, Serge Farnel montre la résistance héroïque des Basesero contre les milices Interahamwe et les troupes des ex-FAR. L’écrivain fait un recensement de toutes les sources évoquant les événements et massacres des Tutsi au jour le jour à partir du 7 avril jusqu’à la fin juillet. Il se concentre sur la résistance des Basesero et plus généralement sur la préfecture de Kibuye.
L’auteur ira plus loin et nous fera traverser la frontière de Gisenyi, nous contant le récit des Tutsi qui, blessés par les miliciens, furent placés dans les hôpitaux de campagne français installés à Goma où toute blessure, même bénigne, valait amputation. C’est là le résultat de ressentiments des militaires français face à l’échec de l’entreprise génocidaire.

Dans Vendredi 13 à Bisesero, l’auteur Boudiguet, se concentre sur la coopération active de militaires blancs francophones dans la préfecture de Kibuye pendant l’exécution du génocide, faisant écho à la participation directe, dans certaines situations, des militaires français aux combats entre les ex-FAR et l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) avant 1994.
À Bisesero, où les Tutsi s’étaient rassemblés aux sommets des hautes collines, formant jusque-là une forteresse imprenable, de longues et patientes investigations menées par l’auteur aboutissent à valider la présence, en ce 13 mai 1994, dans les rangs des assaillants, de soldats blancs, francophones et désignés comme français par nombre de témoins. Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré aux suspects potentiels de ce crime.

Yolande Mukagasana, auteure de ’’L’Onu et le chagrin d’une négresse’’ (éditions Aviso)

Non ! « La mort n’a pas voulu d’elle ». Cette mère évoque des épisodes ô combien atroces dans son parcours de rescapée du génocide des Tutsi dans la ville de Kigali. Dans son dernier livre, elle donne également la parole à une survivante de la région de Butare. Elle raconte la déshumanisation dont cette survivante a fait l’objet de la part d’un chef milicien, qui a daigné lui laisser la vie à la condition d’assister à des sévices d’une cruauté inimaginable et à l’exécution de sa famille.

Yolande Mukagasana

Plus loin, Yolande Mukagasana attaque l’Onu (Organisation des Nations Unies), ce « machin » qui n’a jamais fait un geste pour sauver les Tutsi et qui au contraire s’est sauvée au moment même où les Casques Bleus de la Minuar auraient dû les protéger. Pour l’écrivaine, le comportement de l’Onu, aussi criminel soit-il, n’est que la récidive de celui des années 1959, 1960, 1973 où les pogroms qui visaient les Tutsi du Rwanda étaient organisés sous les yeux de cet observateur passif qu’était l’Onu.

Ce mouvement littéraire tombe à point nommé, alors que la lutte contre les idéologies du double génocide et du négationnisme se poursuit, vingt ans après le génocide perpétré contre les Tutsi. Des voix s’élèvent, critiquant le fait que des associations et autres gouvernements occidentaux mélangent délibérément mode de gouvernance du Rwanda actuel et attitude pendant le génocide. Tout semble se faire dans un complot ourdi tentant de détourner l’opinion internationale de la reconnaissance de ses responsabilités dans la perpétration du génocide le plus rapide de l’Histoire.
Le tapage médiatique relatif aux prétendus massacres que commettraient les troupes de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) n’obéit qu’à cette volonté d’asseoir l’idéologie du double génocide. Du coup, les révélations relatives à la possibilité d’une participation du gouvernement et des militaires français, telle que soulevée par les investigations des deux auteurs Farnel et Boudiguet, sera noyée dans tout ce brouillamini.

Les observateurs gagneraient à relater les faits et gestes des militaires de l’APR dans leur mission de pacification du pays. Au lieu de ça, ils laissent le champ libre aux négationnistes, très actifs dans la propagande médiatique de leur idéologie. Mais malgré la prolifération des thèses négationnistes dans certains milieux de la diaspora rwandaise de Belgique, de France et d’ailleurs, les investigations de Boudiguet et Farnel, le récit poignant de Mukagasana, sont à eux seuls plus parlants que plusieurs tomes de littérature de propagande niant la réalité du génocide des Tutsi.


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