Le journaliste-reporter d’IGIHE.com en Belgique, Karirima A. Ngarambe, a interviewé Mukasemwaga qui nous fait part de ses impressions à l’issue de la projection de « Bons baisers de la colonie » et du débat qui l’a suivi.
Ce documentaire raconte l’histoire de Suzanne née en 1926 de l’union entre un colon belge et une femme rwandaise. En 1930, le père de Suzanne l’emmène en Belgique. Elle ne reverra plus jamais sa mère. Il faudra plus de 70 ans pour que Suzanne retrouve la trace de son frère resté en Afrique.
Karirima, Igihe : Pourquoi attirer notre attention sur ce documentaire ?
Mukasemwaga : Parce que ce film met la lumière sur un aspect peu connu et étudié de l’histoire coloniale, celui du sort des métis nés à cette époque.
Karirima, Igihe : Ce sujet du métissage pendant la période coloniale, fait-il tout de même l’objet d’études ?
Mukasemwaga : Dans le débat qui a suivi la projection, l’historienne, Amandine Lauro, nous a appris que ce sujet fait surtout l’objet de publications dans le monde anglo-saxon et en France. Ce sujet est peu étudié en Belgique.
Karirima, Igihe : Ce film permet-il de mieux comprendre des discours ou des faits actuels ?
Mukasemwaga : Oui, ce film permet de comprendre les clichés et stéréotypes coloniaux que l’on retrouve dans les discours (politiques) actuels.
Les récentes attaques contre Christiane Taubira, actuelle ministre de la Justice en France, en sont un exemple. Originaire de Guyane, on lui fait des reproches du style de ceux qu’on faisait aux leaders issus des colonies, il y a plus de 50 ans. En somme, elle ne serait pas assez loyale envers la Métropole. On lui attribue des déclarations ridicules qu’elle n’a jamais tenues : elle aurait soi-disant excusé le fait de brûler le drapeau tricolore de l’Hexagone. Le fait de traiter une femme politique expérimentée comme s’il s’agissait d’une adolescente irresponsable montre le poids et la nuisance qu’ont encore en 2012, les clichés coloniaux. Ces stéréotypes coloniaux continuent de polluer la façon dont certains réactionnaires conçoivent leur identité nationale.
Rappelons que Mme Taubira est entre autre docteur es-sciences économiques et en agro-alimentaire, licenciée en sociologie et en ethnologie afro-américaine. Cet ancien Professeur de sciences économiques a été élue députée de Guyane en 1993 et réélue à chaque scrutin depuis. Elle est l’auteur de la loi française du 10 mai 2001 qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité. En 2005, elle a participé à un voyage d’étude au Rwanda organisé par l’Union des Etudiants Juifs de France. Elle avait aussi rencontré des représentants de l’association Ibuka résidant en France.
« Bons baisers de la colonie » ou des êtres déchirés par la colonisation
A l’occasion de la sortie de son film « Bons baisers de la colonie » à Bruxelles, la réalisatrice, Nathalie Borgers, a participé à un débat avec Martine Bourgeois (témoin), Nathalie Caprioli (journaliste) et Amandine Lauro (historienne) au cinéma Vendôme ce 9 mai 2012.
Nathalie Borgers a aussi réalisé « Vent de sable, femmes de roc » en 2009. Ce film suit une caravane de femmes Toubou du Niger. Et nous fait ainsi découvrir leur périple de 1500 kilomètres à travers le Sahara pour récolter, sécher et vendre des dattes.
L’auteur de « Bons baisers de la colonie » y aborde un sujet tabou, celui des enfants métisses nés au Burundi, en République Démocratique du Congo (Congo Belge d’alors) et au Rwanda pendant la période coloniale. L’existence de ces enfants demeurait tabou même dans le cas où ils naissaient de l’union d’un administrateur territorial belge et d’une africaine ayant fait un mariage coutumier. En effet, le pouvoir colonial ne reconnaissait pas ces unions et les sanctionnait. La cinéaste explique ce tabou comme suit : « les « mulâtres », comme on les nomme à l’époque, sont la preuve que l’imperméabilité entre les prétendues races-conséquence logique de la supériorité d’une race sur l’autre- n’existe pas de manière absolue dans les faits. Il faut donc cacher ces enfants. Ils représentent une possible union entre Blancs et Noirs. »
Les anciens de Bujumbura se souviendront de Jacques (aujourd’hui âgé de plus de 80 ans), l’entrepreneur, le mécanicien, le propriétaire de camions. Un grand travailleur qui malgré les nombreuses adversités n’a jamais hésité à tout recommencer à zéro. Certains ont été ses employés et ont conduits ses camions. D’autre se souviennent qu’il fut déporté comme beaucoup de réfugiés rwandais à Mushiha, à la frontière tanzanienne. Plus tard, il fut parmi ces commerçants spoliés et expulsés. Dès lors, il refit sa vie au Zaïre. Enfin, on se souvient de sa mère, dame d’âge avancé et à la personnalité remarquable.
Ce que ce film de sa nièce, Nathalie Borgers, nous apprend c’est que Jacques a été séparé de sa sœur Suzanne pendant plus de 70 ans. En effet, en 1930, leur père, Léon Borgers, emmène sa fille de 4 ans en Belgique. Sa mère et ses frères, Jacques et Jean, restés au Rwanda n’auront plus de nouvelles de Suzanne pendant 41 ans. Le père de Suzanne qui l’élève en Belgique lui dira toujours que sa mère est morte et taira l’existence de sa fratrie.
Une association rwandaise parviendra à contacter Suzanne lorsqu’elle a 45 ans. Elle apprend alors que sa mère est toujours vivante et la cherche depuis son départ. Par après, elle perd à nouveau la trace de sa mère. Elle retrouve Jacques grâce aux recherches de sa nièce qui réalise ce film en 2011. Entretemps, sa mère et Jean sont décédés.
Ce film lève un coin du voile qui recouvre des destins d’êtres déchirés par une idéologie coloniale et raciste. Cette déchirure fait écho à ce que l’écrivain américain Richard Wright exprimait ainsi « Je suis un homme déchiré. Je suis Noir et j’appartiens à l’Occident ».
Le DVD de ce film peut être commandé via le site suivant : www.cvb-videp.be
Borgers N., Rompre le silence, dans Agenda Interculturel n°296, Bruxelles, octobre 2011, p. 12.
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