C’est un véritable retournement de situation de la justice française auquel on devrait s’attendre dans le délibéré du 13 Novembre 2013 de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, dans l’affaire d’extradition de Musabyimana et Muhayimana, s’il faut en croire un communiqué du président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, CPCR, Alain Gauthier.
Pour lui, cette juridiction pourrait ce jour là se prononcer en faveur du renvoi des deux fugitifs vers le Rwanda, ce qui serait une première. La patrie des droits de l’homme a toujours été accusée de soutien, voire de complicité avec les présumés génocidaires présents sur son sol.
Selon le CPCR, ce revirement à 360° commence dans l’affaire Musabyimana & Muhayimana devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. L’audience était consacrée à l’étude sur le fond de leur dossier lié à une demande d’extradition du gouvernement rwandais. La Cour d’appel de Rouen et celle de Dijon en avaient donné un avis favorable, mais la Cour de cassation, fidèle à sa jurisprudence, avait cassé ces décisions, souligne Alain Gauthier.
Revirement à 360°
Tout bascule lorsque prend la parole Lecompte, l’avocat général. Il tente alors d’expliquer la nouvelle attitude du Parquet qui s’est déclaré favorable à l’extradition. Il reconnaît que des progrès ont été constatés : « Les derniers documents remis à la justice française émanent désormais du ministre rwandais de la justice et non du Procureur général. D’autre part, les décisions prises par les magistrats français tendent à s’infléchir. La justice française est saisie de faits gravissimes : on pourrait les juger en France et pas au Rwanda ? », S’étonne-t-il. « Ce serait de la défiance à l’égard du Rwanda ». Quant au principe de droit pénal de légalité des peines et des délits, qui implique la non rétroactivité, il peut y avoir des exceptions quand il s’agit de crimes contre l’humanité. »
« Que de chemin parcouru », se réjouit le CPCR dans son communiqué. L’avocat général termine son intervention en soulignant « les immenses progrès » en matière de garanties. » Des pays civilisés (sic) ont fait droit aux demandes du Rwanda. Les autorités rwandaises pourraient donc juger. Les présumés génocidaires rwandais ne sont pas des cibles politiques ». Il se prononce pour que l’on donne un avis favorable aux demandes d’extradition.
Maître Paruelle, l’avocat du Rwanda, s’efforcera pour sa part, de montrer que les arguments de la Cour de cassation ne sont pas recevables. Papon, Touvier et Barbie ont été jugés malgré l’absence de loi : « Nous n’avions que les instruments internationaux. » Il mentionne ensuite trois textes supranationaux auxquels on peut faire appel pour justifier une extradition : celui de La Convention européenne des Droits de l’Homme, de la Cour européenne des Droits de l’Homme ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier le « Pacte des droits civils et politiques » qui a un caractère contraignant. Après avoir rappelé la position du Parquet de Douai qui s’est pourvu en cassation dans l’affaire Serubuga, il explique que ces demandes d’extradition n’ont aucun caractère politique, que le TPIR a accepté de renvoyer des présumés génocidaires rwandais vers le Rwanda après avoir longtemps refusé. « Au Rwanda, on pratique une justice équitable qui respecte les prévenus et les témoins » conclut-Me Paruelle.
Maître Meilhac, l’avocat de la défense, n’aura de cesse, dans sa plaidoirie, de prendre le contrepied de l’avocat du Rwanda et de l’avocat général. Evoquant les décisions de la Cour de cassation, « la Cour de cassation vous a dit comment il faut faire, vous rendrez un avis défavorable », conseille-t-il aux magistrats. Il aura beau jeu aussi de souligner « le revirement à 180°, à 360° même » de monsieur Lecompte qui avait toujours prôné le refus d’extrader. Pour l’avocat de la défense, la légalité des peines et des délits ne souffre aucune exception. Quant aux garanties d’un procès équitable au Rwanda, bien sûr, il n’y croit pas, faisant référence à un rapport récent d’Amnesty International et à une décision du Conseil de l’Europe de mai 2013 qui souligne, à propos de l’affaire Victoire Ingabire, opposante politique jugée actuellement à Kigali, « l’intolérance du gouvernement rwandais à l’égard du pluralisme politique ». Après avoir rappelé qu’il s’agit bien de « procès politiques, maître Meilhac va de nouveau s’étonner : « Je ne comprends pas le revirement de l’avocat général, juridiquement pas défendable ». Et de conclure : « Monsieur le Président, messieurs de la Cour, d’une manière sereine, vous n’avez aucune raison d’accepter un tel revirement. Ce revirement est politique. Vous rendrez un avis défavorable. »
Prenant la parole, les deux prévenus. Innocent Musabyimana évoque la mort des siens exécutés sous ses yeux par le pouvoir en place, sans donner plus d’explications. Après avoir témoigné à Arusha (il ne dit pas dans quelle affaire), il s’est réfugié au Mozambique où son séjour aurait été « une catastrophe… « Tout ça c’est la politique, termine-t-il, le gouvernement rwandais veut nous baillonner ».
Claude Muhayimana prend la parole à son tour : »Moi, je suis innocent » assène-t-il. Il rappelle qu’en 1995, alors qu’il était encore au Rwanda, on lui aurait fait signer un faux document en Anglais qui mettait en cause des militaires français de l’opération Turquoise. Il s’est alors réfugié au Kenya d’où, après six années, des enquêteurs du TPIR l’auraient aidé à venir en France. Il attribue ses malheurs judiciaires à son engagement au sein d’une association d’opposants au régime de Kigali.
A voir les choses de près, le vent a tourné, jubile le CPCR. En attendant, la décision dans l’affaire Musabyimana et Muhayimana est en délibéré au 13 novembre 2013.
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