Haut lieu de la contestation et du refus d’un troisième mandat présidentiel, le quartier de Musaga ressemble à un camp retranché. Depuis près d’un mois, des jeunes en T-shirt ramassent des pierres et en font des barricades, les lancent sur des voitures de police, brûlent des pneus.
La nuit ils barrent les ruelles avec des barbelés pour empêcher les hommes en uniforme de pénétrer dans leurs maisons. Les garçons d’ici, filiformes, ressemblent à des Tutsis, mais chaque jour, de jeunes Hutus montent vers Musaga depuis Bujumbura rural pour aider leurs compatriotes à faire face.
Jean Marie Vianney, Cédric, Ghislain, qui m’ont amenée dans une maison de pisé pour échapper à des tirs nourris qui ébranlent le quartier font le compte des blessés et des tués. Ce matin encore, aux alentours du Parlement, alors qu’il manifestait pour que la Constitution soit respectée, un homme a été tué par balles.
De la 7 eme avenue d’où nous venons, on entend des crépitements secs, des coups de feu se répondent dans les venelles du quartier. Les garçons se collent au mur de pisé, à la première accalmie ils en bondiront comme des chats sauvages et, pierres à la main, nargueront à nouveau les policiers en tenue bleue qui prennent position devant les maisons de l’avenue.
« Nous sommes dans notre troisième semaine de manifestations » expliquent ce jeunes gens, étudiants pour la plupart « et nous ne lâcherons pas. Le président doit partir, il ne peut pas se représenter. » Comment expliquer une telle détermination ?
Pour Ghislain, c’est simple : « nous manifestons car il n’y a pas d’avenir. Pas d’emploi pour nous. Le pays recule, le régime se durcit. Nous irons jusqu’au bout. »
Mes compagnons sont trois journalistes d’Iwacu, la seule publication indépendante qui a pris le risque de sortir à nouveau. Alors qu’à l’entrée de Musaga nous croisons des journalistes étrangers casqués, protégés par des gilets pare balles, Onesphore, Floribert et Armel sont en jeans, circulent dans une vieille camionnette qui peine à démarrer.
Mais lorsqu’il s’agît d’échapper aux coups de feu, tirés à l’horizontale, ces jeunes journalistes courent vite, déclenchent quand il faut micro et appareil photo. Sur le site d’Iwacu, consulté par 150.000 internautes, ils relatent les évènements , heure par heure, et prennent le relais des radios privées qui ont été détruites.
Antoine Kaburahe, le fondateur d’Iwacu (littéralement « chez nous ») 49 ans, n’est pas un inconnu. Il a passé dix ans en Belgique, où il avait fondé la revue Panafrika, a vécu à Anvers où il a appris le néerlandais, s’est marié, a eu deux enfants qui poursuivent leur scolarité à Hoboken.
En 1998, désireux de rentrer au Burundi et de contribuer à construire la paix, ce journaliste dans l’âme, fils du premier directeur de presse du Burundi, réussit à convaincre Louis Michel de lui confier un petit budget issu du Fonds de la diplomatie préventive.
C’est au départ de cette modeste subvention qu’il s’est lancé dans l’aventure. « Nos six journalistes, des jeunes, Hutus et Tutsis recrutés sur le tas, se relayaient sur les machines car nous n’avions que deux ordinateurs, une imprimante, un appareil photo et Iwacu n’était qu’un bi mensuel.
Aujourd’hui, nous avons 18 journalistes, des graphistes, des maquetteurs, et nous nous sommes lancés dans le multi media : un hebdomadaire qui tire à 6000 exemplaires, un site Internet, des livres (nous avons publié l’ouvrage du journaliste Guy Poppe consacré à l’assassinat du Prince Rwagasore).
Nous venons d’acheter une imprimante couleur et avions l’ambition de devenir une véritable entreprise de presse, la première dans l’histoire du Burundi. Mais aujourd’hui nos rêves et nos projets sont en veilleuse. »
C’est par miracle que, la semaine dernière, Antoine Kaburahe et Iwacu ont échappé à la destruction : « dès que j’ai appris que les radios indépendantes avaient été attaquées, j’ai voulu mettre à l’abri mon imprimerie, mon site Internet et j’ai provisoirement suspendu toute publication, plaçant nos locaux sous clé.
Durant cinq jours nous avons pratiqué une sorte de black out, estimant que les conditions n’étaient plus remplies pour travailler. Puis, mardi dernier j’ai décidé de rouvrir, d’aller au-delà du traumatisme. J’ai dit à mes journalistes que s’ils avaient peur, ils pouvaient prendre leurs congés, mais tous, à part une future maman, ont refusé et voulu recommencer à travailler.
Lorsque j’ai annoncé la reprise des activités d’Iwacu, tous les ambassadeurs occidentaux étaient là, mais je me demande comment nous allons tenir car avec la crise nous avons perdu tous nos budgets publicitaires.… »
Au sommaire du prochain numéro d’Iwacu, toutes les questions que les Burundais se posent : le film des évènements, un reportage sur le jour du putsch, un topo et des photos de la destruction des medias.
Et aussi une tentative de réponse à ce point crucial, qui justifie la répression pratiquée à l’encontre de la presse : du régime : y a-t-il eu connivence entre les manifestants hostiles au troisième mandat et les militaires putschistes qui, avec une confondante maladresse, ont tenté de prendre le pouvoir ? Kaburahe est très critique à leur égard :
« ils ont failli faire dérailler tout le mouvement de contestation et en tous cas ils ont fourni le prétexte la destruction des radios indépendantes. » Or, alors que les partis avaient été divisés, que le CNDD (le parti du président) contrôle tous les rouages, la presse constituait la dernière source de contestation du régime, le dernier contre pouvoir. »
Innocent Muhozi, directeur de Radio-télévision Renaissance, se présente lui-même comme « le dernier des Mohicans : avec Kaburahe, il est le dernier des patrons de presse du Burundi à être resté au pays.
La semaine dernière, alors que le putsch du général Nyombare était en train d’avorter, sa station de télévision, très regardée à Bujumbura, a été attaquée par des Imbonerakure, (les jeunes partisans du régime, transformés en milice) et détruite de fond en comble.
Au même moment Radio Bonesha, Radio Isanganiro subissaient le même sort, et RPA, (Radio publique africaine) le plus populaire des émetteurs,était la proie des flammes. Les locaux des radios indépendantes sont aujourd’hui dévastés et leurs directeurs s’en sont vu interdire l’accès : une circulaire officielle assure que cette mesure a été prise pour permettre le travail de la justice, qui a été chargée d’établir le lien éventuel entre les radios indépendantes et les putschistes !
« Autrement dit » souligne Muhozi, » il nous est impossible d’évaluer l’étendue des dégâts, de préparer la reconstruction… Je crois que les dégâts infligés à ma station sont réparables, que nous pourrions recommencer à émettre, mais nous n’avons pas accès aux locaux… »
Alors qu’ il vient de recevoir une convocation l’invitant à se présenter au bureau du Procureur général et qu’il redoute d’être arrêté à l’issue de l’interrogatoire, Innocent Muhozi ne regrette pas d’avoir fait le choix d’être resté au Burundi : « Je suis peut-être naïf, mais je refuse de quitter. Je ne suis pas un criminel, je n’a fait que mon métier. Si on m’arrête, si on me flingue, tant pis. »
Comme Kaburahe, Muhozi reconnaît qu’au cours de la décennie écoulée, alors que le CNDD régnait en maître, la presse a représenté un catalyseur : « alors que les partis politiques étaient dépassés ou divisés, c’est la presse indépendante qui a systématiquement relevé les cas de corruption les plus flagrants, enquêté sur les assassinats.
C’est la presse qui a mobilisé les énergies, fait comprendre à la population malmenée, exploitée, qu’il fallait refuser ces injustices. Nous, on se moquait des appartenances ethniques ou politiques ; les journalistes burundais entendaient faire leur travail et je crois que c’est cela qu’on ne nous a pas pardonné…Rien d’étonnant à ce que la presse ait été la première cible de la répression, c’est à cause d’elle que a population, qui en avait assez des injustices, s’est finalement soulevée. »
Bob Rugurika, le directeur de la Radio publique africaine a, lui, préféré gagner le Rwanda. Sage précaution, car, libéré en février dernier, il avait fait plusieurs semaines de prison pour avoir retrouvé et interviewé l’assassin de trois religieuses italiennes qui en savaient trop.
Le déroulement du putsch manqué du général Nyombare le rend perplexe : « je crois qu’il y a eu un vrai complot mais aussi une vraie trahison, où le chef d’état major, le général Nyongabo, de mèche avec le président, a laissé e mouvement aller jusqu’au bout, pour mieux le casser.
Et on a assisté à ce phénomène étonnant : des putschistes qui annoncent leur coup sur des radios privées alors que la radio nationale, gardée par trois bataillons, est toujours aux mains des fidèles du président. Cette utilisation des radios indépendantes a permis aux partisans du régime de détruire les installations et demain peut-être de les poursuivre les journalistes. »
Et de poser cette question dérangeante : « la neutralisation de ce contre pouvoir qu’était la presse indépendante n‘était elle pas le véritable objectif de ce putsch manqué ou manipulé ? »
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