
Lech Walesa, ancien président polonais et leader du mouvement Solidarité, à Varsovie, le 13 décembre 2011.
REUTERS/Peter Andrews
Par Elena Servettaz
La Pologne enterre ce dimanche 3 novembre l’ancien chef du premier gouvernement postcommuniste Tadeusz Mazowiecki. Il y a quelques jours, nous avons rencontré, à Gdansk, Lech Walesa, son ancien compagnon de route au sein du mouvement Solidarnosc. L’ancien président polonais et Prix Nobel de la paix se retourne sur le chemin parcouru depuis 1980.
RFI : Comment vous avez réagi en apprenant le décès de Tadeusz Mazowiecki ?
Lech Walesa : J’ai été très attristé, car il était à mes côtés lors de la grève des chantiers navals de Gdansk, et même plus tard. Cela m’a fait beaucoup de peine.
Vous disiez que Tadeusz Mazowiecki était le meilleur Premier ministre pour la Pologne. Y a-t-il de nos jours des figures de la même grandeur ?
C’était une époque différente, une époque très difficile, c’était l’époque de la transition du communisme vers le capitalisme et la liberté. En son temps, il était le meilleur Premier ministre, cette époque ne reviendra jamais.
Beaucoup de Polonais disent qu’il est dommage que la destruction du mur de Berlin soit devenue le symbole de la fin du communisme, tandis que pour eux c’est la fameuse phrase : « Aujourd’hui, le communisme est terminé en Pologne », prononcée au lendemain de premières élections libres de 1989, qui est censée symboliser cette fin.

Tadeusz Mazowiecki, lors d’une parade pour l’Union européenne dans les rues de Varsovie, le 9 mai dernier 2009.
REUTERS/Adam Nurkiewicz
Ils ne doivent pas se sentir tristes, car la chute du mur était un événement spectaculaire. Mais tout cela n’a pas d’importance. Le plus important c’était notre mouvement : Solidarnosc.
A l’époque, il y avait une conviction : ce mur n’avait plus de raison d’être, car les Allemands de l’Est fuyaient en Hongrie et c’est ce pourquoi ce mur a été démonté. Les Allemands ont eu de la chance… Si moi j’avais été à la place de Gorbatchev, j’aurais agi différemment.
J’aurais dit : « Vous pouvez partir, même sans passer par la Hongrie, j’ouvre simplement toutes les frontières, et ce serait bien que vous partiez tous, seulement tenez compte de deux exigences.
Premièrement, vous reconnaissez par écrit que ce n’est pas moi qui vous expulse mais que vous partez de votre plein gré. Deuxième condition : dites qui vous voulez voir dans vos logements - les Asiatiques, les Ukrainiens ?
Il y a beaucoup de gens en URSS qui n’ont pas de maison et je vais les installer dans les appartements que vous allez libérer ».
A la place de Gorbatchev, j’aurais dit : « Je ne peux pas annuler le pacte de Varsovie, et c’est pourquoi je dois mettre à votre place d’autres gens pour que le pacte puisse continuer à fonctionner ».
Ensuite j’aurais convoqué des observateurs européens, j’aurais organisé des élections, un referendum, de façon à ce que ces terres ne soient jamais revenues à l’Allemagne. C’est clair ?
J’aurais dit : « Vous pouvez partir ». Et que se serait-il passé ? Que serait devenu ce mur si j’avais été à la place de Gorbatchev, ça aurait été la plus grande défaite de l’Histoire de l’Allemagne. Rappelez-vous, la Pologne luttait, la Pologne avait des problèmes et, pendant ce temps-là, les Allemands fuyaient en laissant un vide derrière eux. C’est cela l’héroïsme des Allemands. Ils avaient seulement créé une menace pour notre révolution, car cela aurait pu provoquer l’envoi d’un nombre encore plus important de soldats soviétiques en Allemagne de l’Est. Parlons donc un peu moins de ce mur.
Contre quoi la Pologne lutte-t-elle aujourd’hui ? La crise économique ?
Non, nous luttons aujourd’hui uniquement pour notre place et pour que notre expérience soit prise en compte. Grâce à sa situation géographique entre la Russie et l’Allemagne, la Pologne a acquis une riche expérience, elle a appris à sentir ses chances et sentir les dangers qui la menacent, mieux que les autres.
Quels sont les points douloureux dans les relations entre la Pologne et la Russie ? Vous disiez autrefois qu’il y avait deux Poutine, un manager et un KGBiste. Est-ce que vos relations sont toujours difficiles ?
Pour nous, tout était beaucoup plus compliqué avec les Allemands, nos relations étaient beaucoup plus douloureuses qu’avec la Russie. Mais après la guerre, les Allemands ont reconnu leurs torts. Ils ont pansé les blessures, et donc nous pouvons aujourd’hui construire nos relations sur des bases saines. Quant à la Russie, elle est toujours dans la négation. Elle ne veut rien reconnaître, elle fait tout pour se déculpabiliser. Tant que la Pologne et la Russie ne feront pas de ménage dans leurs rapports, il n’y aura pas de bonnes relations, de relations d’amitié.
Nous avons vu un certain nombre de révolutions ces derniers temps, le « printemps arabe », notamment. L’Union européenne a-t-elle une influence sur les leaders antidémocratiques d’aujourd’hui ? Une telle influence est-elle possible ?
Nous avons également été témoins d’une révolution financière aux Etats-Unis et nous avons vu comment les banques ont expulsé des protestataires. Nous n’avons pas aimé ça non plus. Ce ne sont pas de bonnes méthodes. Il y a des révolutions diverses avec des arguments variés. La révolution aux Etats-Unis était aussi dirigée contre le capitalisme.
Voyez-vous dans le monde d’aujourd’hui des leaders de la même envergure que vous-même ou que Vaclav Havel ? Y a-t-il des figures comparables ?
Non, ce sont d’autres temps et d’autres leaders. A l’époque, nous étions face à des Etats qui prétendaient représenter les ouvriers et les paysans avec la classe ouvrière au pouvoir. Et pourtant, même les ouvriers avec beaucoup d’ancienneté et qui avaient à leur charge des familles nombreuses ont fini par s’insurger contre le système. Aujourd’hui, de pareils Etats n’existent plus. Ils mènent une politique plus intelligente, ils n’ont pas recours aux slogans artificiels. C’est donc une autre lutte, avec d’autres héros.
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