Mo Ibrahim, ce milliardaire qui investit dans la démocratie

Redigé par IGIHE
Le 16 novembre 2015 à 07:54

Mo Ibrahim, cet homme d’influence soudanais de 69 ans avait vendu en 2006 sa société de télécommunications Celtel avant de lancer l’année suivante la fondation qui porte son nom, assortie d’un Index de bonne gouvernance en Afrique. Son « Prix Mo Ibrahim » pour un « leader d’excellence » récompense les chefs d’Etat qui ont su quitter le pouvoir sans avoir dépassé leur mandat électif et laissant derrière eux un bilan positif. Il est assorti de 5 millions de dollars sur dix ans puis d’une rente à vie de 200 000 (...)

Mo Ibrahim, cet homme d’influence soudanais de 69 ans avait vendu en 2006 sa société de télécommunications Celtel avant de lancer l’année suivante la fondation qui porte son nom, assortie d’un Index de bonne gouvernance en Afrique. Son « Prix Mo Ibrahim » pour un « leader d’excellence » récompense les chefs d’Etat qui ont su quitter le pouvoir sans avoir dépassé leur mandat électif et laissant derrière eux un bilan positif. Il est assorti de 5 millions de dollars sur dix ans puis d’une rente à vie de 200 000 dollars par an. Entretien exclusif.

Que pensez-vous de la douzaine de chefs d’Etat qui veulent rester au pouvoir en Afrique et exercer trois ou encore davantage de mandats électifs ?

Ce serait formidable si tous les pays allaient de l’avant, mais les trajectoires historiques ne sont pas linéaires et peuvent connaître des reculs, des délais. Certains pays progressent, avec l’essor d’une société civile, une plus grande conscience des enjeux, une meilleure communication dans le cadre d’un vrai débat. Nous avons aussi des dirigeants en poste depuis plus de trente ans. Ces hommes ont corrompu l’atmosphère politique de leur pays et rendu vraiment impossible l’émergence paisible d’une opposition, ou même de tout espace de discussion.

Pourquoi seulement quatre dirigeants en huit ans ont-ils reçu votre Prix « pour un leadership d’excellence » ?

Il n’y a pas de remède miracle. Le combat pour la démocratie est permanent et très long. Nous voulons que les gens prennent conscience des enjeux et qu’une discussion sur le leadership et la gouvernance commence en Afrique. Quand nous donnons le prix, qui récompense le courage d’avoir pris la bonne décision en cédant le pouvoir à un successeur de manière démocratique, les gens se demandent pourquoi il revient à tel ou tel...

Du coup, les dirigeants qui le reçoivent deviennent des figures exemplaires, comme Joaquim Chissano du Mozambique et Hifikepunye Pohamba de Namibie. Certaines années, nous ne donnons pas le prix, et l’opinion s’interroge aussi. Les commentaires et les débats vont bon train – ce qui est bon, voire meilleur que lorsque nous donnons le prix !

Voilà dix ans, le mot « gouvernance » n’était pas entré dans notre vocabulaire en Afrique. Aujourd’hui, tout le monde est conscient des défis sur le continent. Le chauffeur de taxi ou le commerçant sur le marché posent des questions ayant trait à la gouvernance, la transparence, le développement, l’éducation, la santé, l’accès aux services publics. C’est une très bonne chose. L’Afrique va de l’avant.

Où se trouvent les situations les plus critiques ?

Partout où nous avons des conflits, le développement reste impossible : Soudan du Sud, Soudan, Somalie, Libye, un pays sans gouvernement, le Burundi, un pays qui se trouve dans une situation catastrophique… La République démocratique du Congo menace d’entrer dans les mêmes turbulences si son président ne prend pas la bonne décision.

Dans la région du Sahel, les crises vont et viennent, dans des espaces trop vastes pour être contrôlés, avec des armes qui affluent librement et des groupes armés tels que Boko Haram, qui s’étendent vers les pays voisins du Nigeria tels que le Tchad ou le Cameroun. Comment garantir la paix et la sécurité ? C’est la priorité. Ensuite, instaurer une meilleure gouvernance reste un défi, même sous ses formes les plus basiques. Il faut cesser de marginaliser des gens ou des groupes, que ce soit sur des bases tribales, religieuses, ethniques ou autres. Si on le fait, on plante les germes du prochain conflit.

Que pensez-vous des reproches adressés à la Cour pénale internationale qui inculpe des chefs d’Etat ou d’anciens chefs d’Etat africains ?

Au fond, inculper ou ne pas inculper des chefs d’Etat n’est pas le réel problème… Même si je pense que dans le cas du Soudan, Luis Moreno Ocampo, l’ancien procureur de la CPI, aurait été mieux avisé d’inculper ceux qui ont perpétré les crimes au Darfour au lieu de viser immédiatement le chef de l’Etat (Omar el-Béchir, ndlr). Il aurait alors pu obtenir une certaine coopération du gouvernement et s’attaquer aux chefs de guerre, pour ensuite remonter – ou pas – vers les gros bonnets.

Viser tout de suite le président a fait dérailler toute la discussion en la focalisant sur un seul homme. Il n’est pas dans l’intérêt de la CPI d’être perçue comme une institution qui ne fait que pourchasser les chefs d’Etat africains. L’objectif est de rendre justice aux victimes. C’est triste.

Nous avons besoin de la justice internationale et d’une CPI mieux gérée. Par ailleurs, comment la CPI peut-elle aider si d’importants pays ne la rejoignent pas et la laissent pourchasser d’autres dirigeants que les leurs ?

Les entrepreneurs africains, à votre image, sont-ils de plus en plus impliqués en politique ?

J’espère vraiment que tout le monde puisse avoir son mot à dire dans la gestion des affaires d’un pays. Tout est politique, même dans les affaires. Nous devons nous impliquer. C’est à ce prix que nous aurons la démocratie. Nous sommes tous des politiciens, en tant que citoyens. Ce domaine n’est pas réservé à quelques-uns.

N’est-il pas temps que des hommes d’affaires comme vous prennent en main la gestion de leur pays ?

Personnellement, je ne veux pas m’impliquer de cette manière. Ce serait aller dans la mauvaise direction. Je veux donner l’exemple, me montrer engagé et faire pression, sans chercher le pouvoir pour moi-même. Je n’ai pas entrepris tout cela pour mes propres intérêts ! En aucune manière, je n’ai l’intention de me présenter à une quelconque élection. Je préfère rester au chômage, faire partie du mouvement citoyen et me livrer à un activisme puissant – parce que les gens sont puissants !

Propos recueillis à Paris par Sabine Cessou de rfi


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