La scène – retransmise à la télévision palestinienne lundi soir et reprise en boucle depuis sur les réseaux sociaux – est peu flatteuse. Assis derrière un large bureau dominant l’audience du Conseil national palestinien, réuni pour la première fois en deux décennies, Mahmoud Abbas enchaîne péniblement les digressions historiques dans l’un des discours fleuves et erratiques dont il est devenu coutumier.
« Les Juifs qui se sont installés en Europe ont été massacrés par un pays ou un autre tous les dix-quinze ans, du XIe siècle à l’Holocauste en Allemagne. Pourquoi ce genre de chose arrivait ? » fait-il mine de s’interroger. Avant de donner sa réponse, il assure s’appuyer sur les ouvrages de « trois Juifs », dont « Joseph Staline, que tout le monde connaît », jusqu’à ce qu’on lui chuchote que le leader soviétique n’était pas, justement, juif. « Ah, c’était Karl Marx, pardon, se reprend le raïs palestinien. Donc, ces trois-là disaient que la haine des Juifs n’avait rien à voir avec la religion, mais leur fonction dans la société […], l’usure, la banque, etc. » Alors que dans les pays arabes, continue-t-il, « en 1 400 ans, il n’y a pas eu un seul incident contre un Juif parce qu’il était juif ».
Dans la foulée, le président de l’Autorité palestinienne explique que les Ashkénazes ne sont pas réellement des Sémites et qu’Hitler a encouragé le mouvement sioniste à ses débuts. Comme il l’avait fait en janvier, il résume à nouveau le projet sioniste à une pure manipulation des puissances coloniales européennes pour déstabiliser le Moyen-Orient. Ainsi, Abbas s’est enfermé dans le rôle que le gouvernement Nétanyahou plébiscite. Celui du révisionniste marchant sur un fil entre complotisme et antisémitisme. A l’image de l’étudiant qu’il fut dans les années 80, l’auteur d’une dissertation sur la « relation secrète en nazisme et sionisme » qui questionnait le nombre de victimes des chambres à gaz. Des errements dont il s’était repenti au début des années 2000, mais auxquels il a tendance à revenir depuis « la gifle du siècle » que fut pour lui la reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne par Donald Trump.
« Ce n’est pas sage de sa part »
« Apparemment, le négationniste est resté négationniste », a réagi Benyamin Nétanyahou mercredi, accusant « Abou Mazen [le surnom d’Abbas, ndlr] » de « réciter à nouveau les plus méprisables bobards antisémites ». Fait assez rare pour être souligné, l’UE a aussi condamné les propos « inacceptables » d’Abbas « sur les origines de l’Holocauste et la légitimité d’Israël ».
Frustration, maladresse, gâtisme, populisme… Chacun a sa théorie, plus ou moins généreuse, pour ces sorties de route. « Un président n’est pas là pour donner ce genre de cours d’histoire, se désole le politologue Ghassan Khatib, ex-ministre du Travail d’Abbas. Ce genre de controverse est inutile, improductive, ce n’est pas sage de sa part de verser là-dedans. »
Cette polémique marginalise un peu plus le président palestinien, qui a coupé les ponts avec Washington, au moment où il tente, comme l’a résumé l’un de ses conseillers, de « remettre sa maison en ordre », soit l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Depuis lundi, le Conseil national palestinien – le Parlement de l’OLP, composé de plus de 700 membres dont une grande partie venue de l’étranger – se réunit en session complète pour la première fois depuis 1996.
Historique ? Oui et non. Le Conseil doit élire un nouveau comité exécutif de 18 membres et imaginer une restructuration de l’organe diplomatique de la cause palestinienne. Mais aucun risque de voir Abbas et sa stratégie malmenés : noyauté historiquement par son parti (le Fatah) et boycotté par ses opposants, le Conseil devrait reconduire une liste de loyalistes.
Agé de 83 ans et fumeur impénitent
« C’est du management interne, il n’y a pas grand-chose à attendre niveau politique, balaye l’analyste Omar Shaban, directeur de l’Institut PalThink. Abbas va remplacer des octogénaires par d’autres plus jeunes qui continueront à dire "oui" à ses décisions. » Pour « le dernier samouraï » de la solution à deux Etats, comme le surnomme l’envoyé de l’OLP à Washington Husam Zomlot, il s’agit de placer ses disciples pour verrouiller son contrôle à tous les étages – de l’OLP au Fatah – mais aussi préserver son héritage. Agé de 83 ans et fumeur impénitent, Abbas est régulièrement sujet de rumeurs alarmantes sur son état de santé. « Il y avait littéralement un risque mortel pour l’OLP, souligne Ghassan Khatib. Depuis le dernier congrès, le conseil exécutif a perdu six de ses membres, morts de vieillesse, et un certain nombre ne sont plus en capacité physique de se présenter pour atteindre le quorum. »
Depuis les accords d’Oslo, l’OLP, organe fondateur du nationalisme palestinien censé représenter l’ensemble de la population, de la diaspora aux habitants des Territoires occupés, toutes factions réunies, a perdu sa place centrale, phagocytée par l’Autorité palestinienne (AP). « L’OLP est supposée être le "père" de l’AP, mais ces dernières années, les fonds et le pouvoir décisionnaire ont été transférés à la "sulta" (l’Autorité, en arabe), note Shaban. Au point que l’OLP est en crise financière… » S’ajoute à ce déficit de moyens une représentativité étiolée. L’OLP, « représentante unique et légitime » du peuple palestinien, est très loin de l’être aujourd’hui. Constituée de factions laïques, l’organisation n’a pas intégré les mouvances religieuses telles que le Hamas et le Jihad islamique, fondés dans les années 80 et qui ne reconnaissent pas sa volonté de négocier avec Israël et prônent la lutte armée.
« Il existe un risque réel »
Après des efforts de réconciliation renouvelés à l’automne dernier sous l’égide du Caire, le gouffre est à nouveau béant entre le Fatah d’Abbas, vu comme cogestionnaire fantoche de l’occupation des Territoires par la majorité des Palestiniens, et le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007 et ragaillardi par le focus international placé sur la « marche du retour ». Juste avant l’ouverture du Conseil, le Hamas a accusé le Fatah d’avoir directement commandité la récente tentative d’attentat sur le Premier ministre palestinien pour faire dérailler la « réconciliation ».
Si, dans son discours, Abbas a noté que « les frères du Hamas » se ralliaient « enfin » à sa stratégie de « résistance populaire et pacifique »avec la « marche du retour », il n’a fait aucune concession sur ses exigences pour la fin du conflit intra-palestinien : « Soit ils nous donnent tout, soit ils gardent tout. » La reddition totale du mouvement islamiste ou le risque, pour Gaza, d’être considéré comme un territoire rebelle, livré à lui-même, une fois que l’Autorité palestinienne a coupé les vivres pour de bon, après plus d’un an de sanctions financières drastiques.
« Pour qu’Abbas accepte que le Hamas existe sur son échiquier politique, il faut qu’il devienne une branche du Fatah », résume le politologue Khalil Shikaki. Invités à titre d’observateurs au Conseil national palestinien, les représentants du Hamas et du Jihad islamique ont décliné, refusant de reconnaître la légitimité de l’organisation et arguant par ailleurs que la tenue du rassemblement à Ramallah, dans les Territoires occupés, empêchait tout déplacement de ses leaders, qui risqueraient d’être arrêtés par les forces israéliennes. « Ce qui se joue, c’est l’identité de l’OLP, ajoute Omar Shaban. Pour Abbas, elle ne doit pas devenir un mouvement islamique après son départ, et il fait le nécessaire pour ça. »
Pour Ghassan Khatib, « l’autre raison pour laquelle Abbas a ressuscité le Conseil, c’est pour redonner un nouveau souffle à l’OLP. Le fait que cet organe ne se réunisse plus l’avait marginalisé ». Et d’ajouter, le ton grave : « Il existe un risque réel que, face aux coups de boutoir des Israéliens et des Américains, l’Autorité palestinienne s’écroule un jour, peut-être plus proche qu’on l’imagine. Si cela arrive, il ne restera plus que l’OLP : il faut donc que cette plateforme reste fonctionnelle. » Quitte à user de toutes les ficelles autoritaires, y compris les tirades nauséabondes.
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