Pierre Hassner et la revanche des passions

Redigé par Igihe
Le 12 décembre 2015 à 05:17

Est-il encore utile de présenter Pierre Hassner ? Normalien, agrégé de philosophie, ancien élève de Raymond Aron et Léo Strauss, il est depuis des décennies un analyste rigoureux des relations internationales qu’il étudie aussi en tant que philosophe. Sa réputation a, depuis longtemps, franchi les frontières françaises. Dans son dernier livre, La revanche des passions (Fayard) il estime que « il n’y a pas d’autre voie que l’alliance rare, fragile et souvent conflictuelle de la modération et de la passion (...)

Est-il encore utile de présenter Pierre Hassner ? Normalien, agrégé de philosophie, ancien élève de Raymond Aron et Léo Strauss, il est depuis des décennies un analyste rigoureux des relations internationales qu’il étudie aussi en tant que philosophe. Sa réputation a, depuis longtemps, franchi les frontières françaises. Dans son dernier livre, La revanche des passions (Fayard) il estime que « il n’y a pas d’autre voie que l’alliance rare, fragile et souvent conflictuelle de la modération et de la passion ».

Directeur de recherche honoraire du CERI, le Centre de recherches internationales de Sciences Po, Pierre Hassner souligne au fil de ses publications que depuis la fin de l’après-guerre froide, le monde est d’une complexité mouvante. Aujourd’hui, dit-il, celle-ci « est de plus en plus complexe et de plus en plus mouvante » car les passions, en particulier, conduisent plus que jamais l’action des hommes. Les bonnes mais aussi les mauvaises dont la peur.

Dans son ouvrage (une sélection de ses articles publiés dans de grandes revues depuis 2004), Pierre Hassner souligne la force des passions en citant Hegel selon lequel rien n’est grand sans passion et Spinoza qui estime, lui, que l’on ne peut vaincre une passion qu’en la remplaçant par une autre.

Ce retour des passions survient alors qu’en Europe singulièrement nous vivions avec la certitude que celles-ci avaient été canalisées par la raison. La fin de l’histoire en quelque sorte. C’était oublier que l’homme n’est pas seulement un être de raison. « Abram Shulsky pense que les démocraties libérales sont sur la défensive à la fois parce que les libéraux ne croient plus en leurs propres valeurs et parce que le libéralisme n’offre pas de perspective exaltante qui permette à l’homme de s’élever au-dessus de lui-même », écrit Pierre Hassner qui, dans un de ses textes explique de façon lumineuse, que, selon lui, nous sommes passés du monde Locke, celui de la propriété, avec un zeste de Kant et sa paix perpétuelle, au monde de Hobbes, celui de la guerre de tous contre tous et la recherche de la sécurité. Sans oublier l’influence de Nietzsche quant à la revendication identitaire et Marx en ce qui concerne les inégalités économiques.

Des passions humaines

Ces passions, quelles sont-elles exactement ? Déjà Thucydide les avait recensées ; la peur, l’avidité, la recherche de la gloire ou de la reconnaissance, la vanité, la rage, le désespoir et, remarque Pierre Hassner, « des passions composites résultant de l’évolution des inégalités et de celle du rang des différents acteurs, comme le ressentiment ou le désir de vengeance. Les pires excès viennent sans doute des dominants qui craignent de perdre leur pouvoir et des dominés qui viennent de devenir dominants, de la rage des perdants et de la vengeance des nouveaux gagnants ».

La peur est donc une de ces passions, peur du terrorisme notamment à l’heure de l’organisation Etat islamique. Mais celle-ci doit être maîtrisée. L’auteur cite Roosevelt et sa phrase célèbre : « Vous n’avez rien à craindre, sinon la peur elle-même ». Ou Bernanos : « La peur, la vraie peur, est un délire furieux ». Se méfier de la peur car « elle fait alliance avec une autre passion tout aussi violente et tout aussi aveugle : la haine  ».

Une issue de secours ?

Reste une question. A l’époque du jihadisme monstrueux de Daech et du nationalisme de Poutine comment canaliser les passions pour préserver « la communauté internationale », un terme que l’auteur n’aime pas ?

Jusqu’ici il y a eu deux moyens, note Pierre Hassner. La philosophie classique et la religion chrétienne qui « parlent de domination des passions par la raison, ou de leur sublimation dans un amour supérieur ou dans révolte contre l’injustice ». Quant à la philosophie moderne, elle « parle de la substitution des intérêts aux passions ou de celle des passions calmes et consensuelles de l’économie aux passions violentes et conflictuelles de la religion et de la politique ».

Les deux conceptions ont montré leur grandeur et leurs limites remarque l’auteur. Et il s’interroge : « Notre époque peut-elle trouver une autre formule qui permettrait d’éviter une polarisation et une alternance désastreuses entre embourgeoisement et barbarisation ? » Rien n’est moins sûr.

avec RFI


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