Privat Rutazibwa est actuellement chercheur aux Musées du Rwanda. Il est l’auteur de divers ouvrages sur l’instabilité et le Génocide des Tutsi au Rwanda. Il vient de publier un Livre « Rwanda contre l’ethnisme » qui est une compilation de sept documents consacrés à l’ethnisme au Rwanda, rédigés et publiés pour quelques-uns entre 1996 et 2008. Le Livre vise surtout à susciter la réflexion autour de l’ethnisme qui est à la base des tragédies et du Génocide des Tutsi de 1994. Lire son interview recueillie par André Gakwaya de ARI.
Agence Rwandaise d’Information (ARI) - Pourquoi avoir choisi ce titre : « Rwanda contre l’ethnisme » ?
Privat Rutazibwa (P.R) – J’ai choisi ce titre « Rwanda contre l’ethnisme » parce que c’est un sujet qui me tient à cœur. J’ai déjà publié beaucoup sur ce sujet parce que j’estime que c’est une idéologie qui a contribué à détruire cette nation. Et si nous devons la reconstruire, nous devons bien comprendre, bien reconnaître et identifier cette idéologie et la combattre pour construire une vraie citoyenneté de ce pays.
ARI - Quel est l’apport spécifique de ce livre par rapport aux publications antérieures dans les relations entre l’Eglise et l’Etat ?
P.R - Le premier apport important pour moi, c’est d’abord une contribution pour les Rwandais qui essayent de construire un nouveau récit par rapport à la littérature des ces soi-disant experts occidentaux.
Perraudin a écrit ses mémoires, et il y a d’autres auteurs de son genre qui ont écrit sur le rôle de l’Eglise où ils ne montrent aucun regret. Moi, je crois que la première contribution est de pouvoir démentir de tels auteurs, montrer qu’il y a des Rwandais qui peuvent faire une analyse correcte dans leurs pays, et peut-être proposer aux lecteurs du monde un nouveau récit qui soit constructif, plus favorable à la reconstruction de la citoyenneté dans ce pays, favorable à la lutte contre l’ethnisme et les autres dangers de la division et de la haine.
L’autre contribution est que ce livre contient des sources écrites et des témoignages qui ne sont pas très accessibles au grand public. Je peux parier que même certains documents de ce livre seront publiés pour la première fois. C’est une contribution importante à l’historiographie de ce pays. Spécialement en ce qui concerne les relations entre l’Eglise et l’Etat, et le rôle de l’Eglise dans l’élaboration et le développement de ethnisme qui a prévalu dans ce pays jusqu’au Génocide.

ARI - Il y a une certaine opinion qui considère Privat Rutazibwa comme un détracteur et un destructeur de l’Eglise jusque dans ses récits, alors que l’ouvrage en soi veut donner de la valeur à l’Eglise pour qu’elle puisse se ressaisir et se reconstruire. Face à une telle option, que pouvez-vous avancer ?
P.R - Je dirais deux choses : la première, c’est que cela est une opinion qui a été développée après le Génocide jusqu’en 1999. Ça coïncide avec la publication dans l’Observatore Romano, organe officiel de l’Église Catholique, d’un article me prêtant des intentions de vouloir détruire l’Eglise, de vouloir développer une Eglise nationale. Mais ils ne visaient pas que moi. Ils attaquaient aussi le Rwanda en disant qu’il y a eu un Génocide contre les Tutsi. Mais il y a eu également un génocide contre les Hutu. Et pas mal de choses. Cet article a été mal accueilli même par l’Episcopat rwandais. Qui a condamné cet article-là ?
Alors, je peux considérer que jusqu’à cette période-là, cet article de l’Observatore Romano coïncide avec la fin de cette période de résistance au repentir dans l’Eglise, et qui était encore dominée par des gens qui étaient très associés à cette idéologie ethniste.

Une séance de présentation du livre
Mais après cette période jusqu’à présent, il y a une nouvelle tendance très positive liée à mon avis à trois facteurs. Et je le montre dans mon livre :
Le premier facteur de ce changement est que l’Eglise elle-même a changé de leadership. Il y a beaucoup de changements dans les différentes structures de l’Eglise Catholique au Rwanda.
Deuxième chose : il y a un réalisme de l’Eglise catholique. Cela est habituel dans sa manière de fonctionner avec les Etats. L’Eglise considère que l’intérêt de l’institution prime sur ce que ces individus peuvent causer comme nuisance au sein de ses instituions. L’Eglise décide à un moment de ne pas ternir ces individus qui créent des relations difficiles avec l’Etat. Et elle préfère les remplacer par d’autres qui peuvent faire de sorte que les relations entre l’Eglise et l’Etat soient positives.
Le troisième facteur est sorti de l’Etat rwandais lui-même qui a été très conciliant et très réservé face aux provocations de certaines autorités de l’Eglise qui ont prévalu de 1994 jusqu’en 1999. L’Etat s’est gardé vraiment d’entrer dans la confrontation. Cela a permis de décanter les choses et de permettre au Gouvernement Suprême de l’Eglise Catholique - le Vatican- de prendre ces mesures aussi qui favorisent une nouvelle cohabitation avec ce Gouvernement. Quand je présente une telle analyse, moi je considère que je ne dois pas être taxé de nuisance ou de volonté de détruire l’Eglise.

J’ajouterais une autre chose : c’est que dans mes écrits, à commencer par le premier qui analyse le rôle des ecclésiastiques dans l’élaboration de l’idéologie ethniste, je montre et les bons et les mauvais. Je montre ceux qui ont dominé l’Eglise en développant cette idéologie, et en la poussant jusqu’à la consommation du Génocide en 1994. Mais je montre également des leaders de l’Eglise, des prêtres, des évêques et des chrétiens ordinaires, qui ont résisté à cette idéologie au nom de l’Eglise. Mais malheureusement qui ont été faibles, et qui n’ont pas eu la même influence que ceux-là qui étaient les plus dominants.
Donc, le travail que je publie est un travail de vérité, un travail qui ne peut pas nuire du tout aux bonnes relations entre l’Eglise et l’Etat. Bien au contraire, je laisse une contribution à l’Etat et à la société rwandaise en général de développer un nouveau récit qui rende compte correctement des réalités de notre pays. C’est en même temps une contribution à l’Eglise qui peut s’en servir pour faire un travail cette fois à l’interne pour opérer cette fois une véritable transformation aux fins de créer une influence plus positive sur la société. (Fin)
Avec RNA
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