00:00:00 Nos sites KINYARWANDA ENGLISH FRANCAIS

Serge Farnel : auteurs et complices cachés du génocide des Tutsi de Bisesero

Redigé par IGIHE
Le 11 avril 2014 à 09:36

Deux livres sur Bisesero au cœur de l’actualité tendue entre la France et le Rwanda Evoquant le comportement des soldats français pendant le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, le président du Rwanda, Paul Kagamé, a déclaré au magazine Jeune Afrique : « Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite ’humanitaire sûre’, mais aussi acteurs. » Deux livres complémentaires sortent précisément en ce moment même aux éditions Aviso sur la question de Bisesero et de l’implication de la France (...)

Deux livres sur Bisesero au cœur de l’actualité tendue entre la France et le Rwanda
Evoquant le comportement des soldats français pendant le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, le président du Rwanda, Paul Kagamé, a déclaré au magazine Jeune Afrique : « Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite ’humanitaire sûre’, mais aussi acteurs. »

Deux livres complémentaires sortent précisément en ce moment même aux éditions Aviso sur la question de Bisesero et de l’implication de la France dans le génocide, sujet au cœur du nouvel incident diplomatique entre la France et le Rwanda.

L’un est signé Bruno Boudiguet : « Vendredi 13 à Bisesero » (préface de Gabriel Périès)

L’autre est signé Serge Farnel : « Bisesero. Le ghetto de Varsovie rwandais ». L’agence rwandaise d’information (ARI) s’est entretenue avec Serge Farnel au sujet de la sortie de son dernier livre.

Serge Farnel au cours de la conférence de presse du 3 avril 2014 à Kigali. Photo de Kristian Skeie

ARI : Il s’agit là du deuxième livre que vous publiez sur Bisesero. En quoi ce livre est-il différent du précédent ?

Serge Farnel : Dans le précédent livre publié il y a deux ans, je faisais état de mon enquête essentiellement axée sur le grand massacre du 13 mai 1994 à Bisesero. Autrement dit, il s’agissait de poser avec transparence aussi bien les entretiens in extenso, qui forment la plus grande partie de ce précédent ouvrage, que les conditions dans lesquelles ces témoignages avaient été recueillis. Le nouveau livre « Bisesero. Le ghetto de Varsovie rwandais » est un récit sur le génocide perpétré contre les Tutsi à Bisesero.

Quelle période est concernée par ce récit ?

Outre un rappel historique sur les années qui ont précédé le génocide, ce récit commence par les massacres qui eurent lieu dans les centres de regroupement de la préfecture de Kibuye, préfecture dans laquelle se trouve la région de Bisesero. En effet, il faut voir Bisesero comme un tout. Si les Tutsi se sont retrouvés à plus de cinquante mille sur les hauteurs de ses collines, c’est que nombre d’entre eux avaient décidé de ne pas se réfugier dans les stades et les églises, mais de rejoindre tout de suite les habitants de Bisesero, les Basesero, fort du souvenir de ce qu’ils avaient su résister aux tentatives de massacre des années passées. Nombre des rescapés des massacres dans les centres de regroupement n’ont, pour leur part, que dans un deuxième temps rejoint Bisesero. Le récit traverse ensuite toute la période d’efficace résistance civile à cet endroit, puis le grand massacre du 13 mai qui a anéanti quarante mille de ces résistants principalement à l’arme lourde, et avec l’appui déterminant de soldats blancs, français selon nombre de témoins. Le récit traverse enfin la période Turquoise.

Ce récit ne ressemble à aucun autre en ce qu’il n’y pas une seule phrase sur les quelques sept cents pages du livre qui ne soit sourcée. Expliquez-nous ça.

C’est le principe fondateur de ce livre : faire en sorte que l’Histoire de Bisesero soit entièrement posée, bien sûr en l’état de nos connaissances actuelles. Ma vision depuis le début était basée sur une constatation somme toute assez simple : aucun témoin n’est omniscient. Aucun témoin n’est en mesure de nous dire tout d’un événement. Enfin aucun témoin n’est en mesure d’être partout à la fois. Mais ce témoin omniscient, nous pouvons tenter de le faire exister en recueillant autant de témoignages que possible. Certes la réalité ne saurait être épuisée par les multiples perceptions que nous pouvons en avoir. Mais nous pouvons l’approcher ainsi. C’est ce que j’ai entrepris de faire depuis des années, considérant que ce pan de l’Histoire en valait la peine.

Tous les témoignages viennent-ils de votre enquête ?

Non, pas tous. Ils viennent certes des entretiens que j’ai réalisés en avril 2009 et février 2010 avec de nombreux témoins, mais également des recueils de témoignages, très nombreux, réalisés ensuite par Bruno Boudiguet. J’en profite pour saluer mon confrère qui a poursuivi admirablement cette enquête jusqu’à percer certains mystères que je ne parvenais pas à percer moi-même. A ce titre notamment, son livre « Vendredi 13 à Bisesero », et qu’a préfacé Gabriel Périès, un est livre absolument incontournable. Les témoignages consignés dans mon livre proviennent également des enquêtes antérieures : African Rights, commission Mucyo. Je m’appuie par ailleurs sur tout ce qui à pu être dit sur Bisesero au cours des auditions devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Je m’appuie enfin sur tous les articles écrits lors du déploiement de la force Turquoise dans cette région, sans oublier l’ensemble des livres qui ont traité le sujet.

Un récit parsemé de numéros faisant référence à des sources que l’on trouve en fin d’ouvrage. Deux cent pages de notes en fin d’ouvrage, quatre mille cinq cents notes ! C’est un véritable document pour l’Histoire ?

C’était mon but. Mais c’est surtout un récit qui se lit très facilement. En fait cela va ensemble. Tant de références à des témoignages divers, c’est autant de précisions dans les événements. Considérez un écran de télévision ou d’ordinateur. Il est fait de pixels. Plus vous aurez de pixels, plus l’image sera précise. Le nombre de ces témoignages, c’est en quelque sorte la « définition » du récit. Et quand vous êtes à un niveau d’une telle précision, non seulement vous accédez à un récit à hauteur d’hommes, donc si j’osais dire compte tenu du sujet à un récit « agréable » à lire, mais vous pouvez à certains endroits de ce récit avoir les réponses à certaines questions qu’on se pose tous depuis maintenant des années. Les solutions aux grandes questions se nichent ainsi parfois dans les plus petits détails. Il suffit d’aller les chercher.

Quel genre de questions ? Quel genre de solutions ?

Les circonstances du « sauvetage » des derniers Tutsi de Bisesero le 30 juin 1994 par exemple. On a jusqu’à présent cinq versions des circonstances de ce sauvetage par les soldats de Turquoise, toutes se contredisant. Il y a la version du colonel français Jacques Rosier, du capitaine Marin Gillier, du gendarme Thierry Prungnaud, du rescapé Eric Nzabihimana et des journalistes. Celle des journalistes est assez crédible. Mais elle ne dit peut-être pas tout. Je ne dis pas que ce serait volontaire, mais peut-être ne savent-ils tout simplement pas tout. Car nous avons aujourd’hui une version troublante, précise, recoupée : les Tutsi auraient forcé le convoi français à s’arrêter, ce qu’ils auraient fait en se couchant sous les roues de leurs véhicules. Je ne dis pas qu’il s’agit de la version exacte. Je me contente de la consigner. Car elle est bien précise et encore une fois recoupée. Elle ne peut être évacuée, d’autant que les autres se contredisent. Il y a beaucoup d’autres points très choquant, comme le fait que des soldats blancs sont descendus d’un hélicoptère qui, à peu près une semaine après le massacre du 18 avril 1994 des Tutsi au stade Gatwaro de Kibuye, s’est posée dans le stade alors que les cadavres en jonchaient encore le sol. Et tant d’autres choses que vous découvrirez dans ce livre ainsi que dans celui de Bruno Boudiguet, deux livres tout à fait complémentaires.

Vous avez dit au cours de la conférence de presse que le livre que vous avez écrit n’était pas le votre mais le leur, ce en évoquant bien sûr les témoins. Que voulez-vous dire par là ?

Je dis juste la vérité. Je me suis contenté de prendre chacune de leur parole sans toucher à l’information qu’ils livrent ni à la façon dont ils la livrent. Autrement dit quand un témoin dit qu’il a vu les montagnes se déchirer, cette expression qui figure dans mon livre n’est pas de moi mais du témoin qui s’est ainsi exprimé. La phrase du livre est la sienne. Pour ma part, je ne fais que la mettre en forme afin qu’elle s’insère proprement dans le récit, tout en mentionnant qui a dit cette phrase, à qui le témoin s’est confié où et quand. Deux constantes dans mon travail : préserver et l’information et l’expression des témoins. Quand je livre mes propres analyses, je prends soin d’apposer une note intitulée « note de l’auteur ». Ainsi le lecteur sait ce qui appartient aux témoins et ce qui m’appartient.

Quelle suite espérez-vous à tout cela ?

D’abord que mon livre soit vite dépassé par d’autres enquêtes, qu’il soit alors la photo instantanée de ce que l’on savait en 2014. Et c’est justement pour cela que j’ai pris soin de bien séparer les informations, de les sourcer proprement, ce afin qu’il puisse servir de base aux futurs enquêteurs, comme je me suis appuyé moi-même sur les travaux de mes prédécesseurs. J’en profite pour rendre à cet endroit un vif hommage à ceux d’African rights.

Pour ce qui concerne les suites judiciaires ?

Je ne suis pas officier de police judiciaire. Mais il va de soi que mon livre doit se trouver là où est susceptible d’être initiée une procédure. Ne pas le faire au stade où nous en sommes serait une grave irresponsabilité.
Avec ARI


Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité