Soldat tué à Londres : la vidéo du suspect s’inscrit dans la ligne d’Al-Qaida et Merah

Redigé par NouvelObs
Le 24 mai 2013 à 12:46

Ce mercredi, à Londres, un militaire a été poignardé à mort en pleine rue par deux hommes au discours d’extrémistes islamistes. L’un d’eux s’est ensuite fait filmer, les mains ensanglantées et tenant un hachoir, en train de revendiquer l’attentat. Pourquoi cet usage de la vidéo ? Les médias devaient-ils la diffuser ?
Réponses de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS et auteur de "Terrorismes - violence et propagande" (Gallimard).
Capture d’écran de la vidéo tournée par un anonyme du (...)



Ce mercredi, à Londres, un militaire a été poignardé à mort en pleine rue par deux hommes au discours d’extrémistes islamistes. L’un d’eux s’est ensuite fait filmer, les mains ensanglantées et tenant un hachoir, en train de revendiquer l’attentat. Pourquoi cet usage de la vidéo ? Les médias devaient-ils la diffuser ?

Réponses de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS et auteur de "Terrorismes - violence et propagande" (Gallimard).

Capture d’écran de la vidéo tournée par un anonyme du tueur présumé de Londres (ITV NEWS/Rex Features/REX/SIPA)

Le fait que l’un des tueurs présumés de Londres ait demandé à être filmé, qu’il professe la loi du Talion pour justifier son acte ("Œil pour œil, dent pour dent", dit-il ) et qu’il espère que ces images toucheront le monde entier, trois indices qui s’inscrivent dans un histoire de la vidéo djihadiste. L’homme au hachoir est un exemple parfait d’une tendance lourde : produire des images autant que l’on produit des morts.

Al-Qaida a sa propre boîte de production

L’apparition de la vidéo dans les usages djihadistes ne date pas du 11-Septembre ni de Ben Laden. Des groupes algériens du GIA filmaient déjà des décapitations de soldats, des Tchéchènes faisaient de même avec des Russes et des Talibans capturaient des images de leurs exécutions de partisans de Mansour avant 2001. A l’époque, tous utilisaient de vieilles cassettes analogiques et la circulation des vidéos était moins aisée qu’aujourd’hui. Néanmoins, elles se retrouvaient jusque dans certaines libraires parisiennes avant le 11-Septembre.

Une deuxième ère a suivi, celle de l’explosion des vidéos djihadistes. Elle commence le 7 octobre 2001, jour où les États-Unis sont entrés en guerre en Afghanistan et où Al-Jazeera a diffusé une cassette de Ben Laden délivrant son message post 11-Septembre. Il fut aussitôt repris par les chaînes du monde entier.

Al-Qaida s’est mise à beaucoup utiliser l’arme de l’image, contre la société du spectacle, l’Occident. La nébuleuse djihadiste s’est même dotée d’une boîte de production, as Sahab. Elle filme et diffuse surtout sur la Toile trois types principaux de séquences :

 L’entraînement des moudjahidines ;
 Les prêches, qui expliquent pourquoi le combat est licite ;
 Des exécutions d’otages ou de châtiment des ennemis : attentats et égorgements en tous genres.

D’autres groupes djihadistes suivront l’exemple. Ainsi le Hezbollah qui incite les futurs martyrs à filmer leur testament politique et à expliquer pourquoi ils vont mourir avant de se faire sauter. Si possible devant la caméra.

Faire peur aux méchants, séduire les fidèles

L’usage de l’image par les djihadistes répond à une logique symbolique : montrer le châtiment des "méchants" (les adversaires, les juifs, les chrétiens, etc). Bien que la théologie salafiste à laquelle ils se rattachent s’oppose plutôt à l’image, ils considèrent qu’il existe une exception licite pour les images "bonnes", qui "plaisent à Dieu" et montrent sa colère en action.

Cette logique symbolique en rejoint une autre : l’usage "pédagogique" et stratégique de ces images. Le but est à la fois de faire peur aux méchants et de renforcer le cœur des fidèles, en incitant les bons musulmans à rejoindre le djihad dont ils peuvent voir les exploits.

Surtout, la justification de ces attentats et donc de ces vidéos, est la loi du Talion : "Vous nous tuez, nous vous tuons, en nombre égal."

Tout ceci se retrouve dans la vidéo du tueur présumé du militaire à Londres. Son discours s’inscrit dans cette ligne : "Nous devons les combattre comme ils nous combattent. Œil pour œil, dent pour dent […] Nous jurons par Allah le tout puissant que nous n’arrêterons jamais de vous combattre […] Je suis désolé que des femmes aient été témoins de ce qui s’est passé aujourd’hui, mais, dans notre pays, nos femmes voient le même genre de choses."

Mohamed Merah ou le frères Tsarnaev ne pensaient pas autre chose : il faut faire payer pour le sang des musulmans. Et le faire savoir... Les tueurs présumés de Londres ont réalisé à petite échelle ce que d’autres font de manière beaucoup plus organisée.

Les médias doivent-ils diffuser les images ?

La multiplication de ce genre de vidéos est facilitée par le numérique et les réseaux sociaux. Cela signifie que l’on ne pourra jamais en empêcher totalement la diffusion ; les chances que les images, qui peuvent entrer dans le circuit depuis n’importe quel cybercafé se retrouvent sur le web sont très élevées.

De là découle une question pour les journalistes : les médias doivent-ils ou non diffuser ces images ? Le débat n’est pas nouveau, déjà à la Belle Époque les salles de rédactions s’enflammaient pour savoir si retranscrire les propos de Ravachol équivalait à une complicité morale avec ses actes.

La question s’est aussi posée le 11-Septembre : montrer les morts, n’était-ce pas "faire plaisir" aux terroristes ?

Généralement, le débat se clôt au sein d’un média en vertu de l’argument : si nous ne diffusons pas ces images ou ces propos, les confrères le feront de toute façon… et donc mieux vaut les passer.

Montrer du sang et des boyaux sur un trottoir n’apporte rien à l’information. En revanche, il me paraît utile d’avoir entendu de sa bouche même le discours du tueur présumé de Londres. Cela confirme le développement d’un djihad pratiqué par des individus, comme ce fut le cas avec Merah. Ils sont persuadés d’agir de façon théologiquement légitime : pour eux, ce sont leurs victimes qui sont les criminels ou qui doivent payer pour les crimes occidentaux.

Il est important de comprendre leur logique, leur idéologie, au lieu de les présenter comme des détraqués sortis de nulle part. Par ailleurs, censurer les images ne ferait que leur conférer l’attrait de l’interdit. Dans le cas de Londres, il me semble donc que diffuser la vidéo participe à l’information.

Édité et parrainé par Hélène Decommer


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