Srebrenica, la mémoire divisée

Redigé par rfi
Le 11 juillet 2015 à 01:01

« Massacre » ou « génocide » ? Les mots sont toujours des armes vingt ans après la fin de la guerre, et les mémoires demeurent profondément divisées, non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais dans toute la région.
A l’entrée de la petite commune de Bratunac, à une dizaine de kilomètres à peine du Mémorial de Potočari, un autre monument, surmonté d’une grande croix noire, rappelle la mémoire des 3 267 Serbes tués dans la région entre 1992 et 1995. Durant la guerre, c’est dans cette bourgade qu’étaient (...)

« Massacre » ou « génocide » ? Les mots sont toujours des armes vingt ans après la fin de la guerre, et les mémoires demeurent profondément divisées, non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais dans toute la région.

A l’entrée de la petite commune de Bratunac, à une dizaine de kilomètres à peine du Mémorial de Potočari, un autre monument, surmonté d’une grande croix noire, rappelle la mémoire des 3 267 Serbes tués dans la région entre 1992 et 1995. Durant la guerre, c’est dans cette bourgade qu’étaient stationnées les unités qui attaquaient Srebrenica. Aujourd’hui encore, bien peu de réfugiés bosniaques sont revenus y vivre. Massacre contre massacre, chiffres contre chiffres. Dans un pays divisé, la mémoire est forcément divisée.

En décembre 1995, les Accords de paix de Dayton ont entériné le découpage à base communautaire de la Bosnie-Herzégovine aujourd’hui scindée en deux entités : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska (RS). « La négation de ce qui s’est passé ici ne vient pas des Serbes de Srebrenica, elle émane des plus hautes autorités de la RS, explique Muhizin Omerović, l’un des rescapés du 11 juillet 1995, aujourd’hui chargé du développement à la mairie de Srebrenica. Du coup, pour les Serbes de Srebrenica, c’est simple : si leurs dirigeants disent qu’il n’y a pas eu de génocide, ils n’ont pas à se poser de question. »

Une ambiance tout sauf consensuelle

Faute d’une approche consensuelle, la chute de Srebrenica est à peine évoquée dans les programmes scolaires de Bosnie-Herzégovine, aussi bien dans la Fédération qu’en Republika Srpska. Cette apparente « neutralité » ouvre en fait la voie à toutes les dérives, car chaque enseignant ne se prive pas de présenter les faits à sa manière.

« Nous ne contestons pas que des crimes horribles ont été commis à Srebrenica par les forces serbes, précise le pope orthodoxe de la ville, Aleksandar Mlađenović. Mais les Serbes ont aussi eu beaucoup de victimes. Cependant, à la différence des Bosniaques, nous ne cherchons pas à exploiter les souffrances endurées ». Aux yeux de beaucoup de Serbes, les politiciens bosniaques ont trop cherché à jouer la carte de la victimisation pour justifier les échecs du pays depuis la fin de la guerre.

Quand Srebrenica était assiégée, les unités bosniaques dirigées par Naser Orić ont multiplié les coups de main et les opérations punitives contre les villages serbes des alentours, laissant un épouvantable souvenir. L’ancien commandant de la défense dut répondre de ces exactions devant la justice internationale : en 2006, il a été condamné en première instance par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à une légère peine de deux ans de prison, avant d’être acquitté en appel deux ans plus tard. La Serbie a toujours dénoncé un procès « orienté », et voudrait faire rouvrir le dossier à propos du meurtre de neuf civils serbes tués à Potočari, un crime qui ne figurait pas dans l’acte d’accusation du tribunal de La Haye.

« Pardon à genoux »

Le 10 juin dernier,Naser Orić a été arrêté en Suisse, sur la base d’un mandat d’arrêt international transmis par la Serbie à Interpol. La justice suisse a finalement décidé de ne pas répondre aux demandes serbes et d’extrader Naser Orić vers la Bosnie-Herzégovine, où il a été accueilli en héros. En réponse à son arrestation, la direction du Mémorial de Potočari et les associations de survivants avaient menacé d’annuler les commémorations du vingtième anniversaire, qui vont donc se tenir dans une ambiance tout sauf consensuelle.

Mladen Ivanić, le membre serbe de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine a fait savoir qu’il était « irréaliste », dans ce contexte, d’attendre qu’un représentant officiel des Serbes de Bosnie-Herzégovine assiste aux cérémonies. La Grande-Bretagne a déposé un projet de résolution devant le Conseil qui spécifie le caractère génocidaire du massacre de Srebrenica, mais ce texte a peu de chances de passer l’obstacle du veto russe. Vingt ans après les faits, la mémoire de Srebrenica est toujours ballottée au gré des enjeux politiques.

En 2005, le démocrate Boris Tadić avait été le premier président de Serbie à se rendre aux commémorations de Potočari. Son successeur, Tomislav Nikolić a également demandé, en 2013, « pardon à genoux » pour le crime commis à Srebrenica. Toutefois, tant les autorités de Belgrade que celles de la Republika Srpska refusent catégoriquement de reconnaître la réalité d’un « génocide ». Milorad Dodik, le président de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine, s’est lui rendu pour la première fois le 16 avril dernier au mémorial de Potočari. Il s’est incliné à la mémoire de « toutes les victimes », mais il a tenu à dénoncer « la politisation excessive » de la tragédie.

Chaque année, le 12 juillet, au lendemain des cérémonies, les Serbes commémorent les massacres des hommes de Naser Orić devant la grande croix de Bratunac. En 2010, Milorad Dodik y lança : « Si un génocide a eu lieu, il a été commis contre les Serbes de cette région, la Bosnie-Herzégovine orientale, où des femmes, des enfants et des vieillards ont été tués en masse ». Les diplomates et chefs d’Etat étrangers qui assistent aux cérémonies du 11 juillet ne s’attardent jamais à celles de Bratunac. En ce vingtième anniversaire, deux mémoires antagonistes vont, plus que jamais, se faire face à Srebrenica.


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