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Un site mémorial sur les ruines d’une église

Redigé par Ruzigana Innocent
Le 26 septembre 2018 à 10:11

Il y eut une église ici ! Peut-on te montrer du doigt.
Une église immense et somptueuse de 45 m de long sur 18 m de large.
Aujourd’hui, il y a ce site mémorial.
C’est dans l’ex-Province de Kibuye, sous Préfecture de Birambo
C’est dans l’ex-Commune de Kivumu.
Aujourd’hui, c’est dans la Province de l’Ouest, District de Ngororero.
Et la localité s’appelle Nyange.

Nyange ? Le mot ne fait-il pas référence à Inyange, l’ibis blanc,
Ce bel oiseau élégant et merveilleux,
Qui passe les nuits dans les vallées et les journées dans les pâturages ?
Protégeant les vaches contre les insectes dérangeurs
Et picorant de temps en temps les tiques qui leur collent à la peau ?
Inyange, ce bel oiseau tout blanc qui symbolise la beauté et la pureté ?
C’est tout le contraire de l’ishwima, le piqueboeuf
Qui lui se met méchamment au dos des vaches pour les blesser et en sucer le sang.
Inyange yera de ! Dit-on pour parler de quelque chose de blanc comme neige !

La localité de Nyange où fut l’église n’a rien de beauté ni de pureté.
Il a plutôt tout d’horreur et de criminalité.
Il y eut ici une église immense ! C’était la Paroisse de Nyange, Diocèse de Nyundo.
“L’abbé Seromba n’en était pas le curé”, me confie un agent du secrétariat paroissial.
L’Evêque ne pouvait pas lui donner cette responsabilité,
Tellement il était connu pour sa méchanceté.
C’était l’abbé Straton qui en était le curé.
Mais quelques jours avant le déclenchement du Génocide contre les Tutsi du Rwanda,
L’Abbé Straton recevait des appels anonymes le menaçant de mort,
Et comme il soupçonnait son confrère Seromba d’être l’instigateur des menaces,
Il se retira à l’Evêché de Nyundo, d’où il survivra au Génocide, mais mourra de maladie peu après.
Un peu avant le Génocide, Seromba avait même été muté pour une autre paroisse,
Mais pour on ne sait pas trop pourquoi, il ne voulait pas quitter Nyange
Il est resté jusque pendant le Génocide pour se rendre tristement célèbre.

Le Génocide contre les Tutsi s’est déclenché tôt à Kibuye.
Et à Nyange,tout a été mis en oeuvre par l’élite de la Commune Kivumu.
Le 10 Avril 1994, le préfet de Kibuye, Kayishema, tient une réunion et donne des ordres aux bourgmestres.
Le 11, c’est le tour du bourgmestre de Kivumu, Ndahimana Grégoire de convoquer les conseillers communaux,
Les conviant à une réunion qu’il nommera de “sécurité”.
Ces derniers reçoivent l’ordre de faire venir les Tutsi éparpillés dans les collines à Nyange.
L’élite de la commune participe à la réunion.
La justice est représentée par le juge Joseph Habiyambere,
Et même par l’Inspecteur de Police Judiciaire du nom de Kayishema comme le préfet,
La société civile par un commerçant bien connu dans la région, Gaspard Kanyarukiga.
L’autorité spirituelle n’a pas manqué,
Elle est représentée par l’abbé Seromba.

Seule la paroisse de Nyange dispose de suffisamment de place où rassembler les Tutsi,
Décident ces éminentes personnalités !
Pas pour les protéger comme leur feront croire les conseillers communaux,
Mais plutôt pour mettre les oeufs dans un même panier en vue de les casser tous facilement.

Les 12 et 13 Avril, les fugitifs Tutsi affluent vers la paroisse qu’ils croient salutaire.
Beaucoup arrivent blessés tandis que d’autres se font tuer en chemin.
Le 14 Avril, les deux assistants du bourgmestre, Rushema et Kanani viennent recenser les réfugiés,
Les premières attaques s’organisent et les impitoyables tueurs encerclent la propriété de la paroisse.
Se servant désespérement des pierres, les Tutsi parviennent à repousser les farouches Interahamwe.
Furieux, ceux-ci reviendront le lendemain,
Epaulés par ceux des communes voisines de Kibilira, Rutsiro et Satinsyi.
La cour paroissiale est jonchée de cadavres !!
Les autorités se ravisent à l’idée d’aller les jeter dans la fameuse Nyabarongo : Ils sont nombreux.
On fait venir un camion et un bulldozer de la compagnie de construction italienne, ASTALDI.
On creuse trois fosses communes dans la propriété de la paroisse.
Le camion y déverse les cadavres que le bulldozer couvre aussitôt de terre.

Les Tutsi qui n’ont pas été tués dans la cour de la paroisse se terrent dans la maison de Dieu.
Ils sont entre deux et trois mille.
Ils barricadent l’église au moyen des bancs mais aussi pour se procurer plus d’espace.
Les Interahamwe sont toujours assoiffés de sang et décident d’attaquer l’église.
Ils tentent de la dynamiter, mais en vain.
Ils utilisent des grenades, des flèches et des lances,
Mais ils ne sont pas satisfaits des résultats.
Ils esssaient même de la brûler au moyen de l’essence, pas d’effet,
Et le soir tombe déjà !

Ceux des environs décident d’aller prendre leur repos de guerrier auprès de leurs femmes et des victuailles.
Le bourgmestre demande à ceux de Kibirira de quadriller l’église de nuit,
Pour qu’aucun Tutsi n’échappe.
Il leur offre deux vaches pour qu’ils s’occupent aussi en grillant les viandes.
Le lendemain matin, tous les Interahamwe reviennent
Mais l’attaque de l’église s’avère toujours difficile.
Les autorités décident de recourir encore une fois à l’engin destructeur de l’ASTALDI,
Et on fit venir de nouveau le bulldozer.
“Ne vous inquiétez pas pour le mazout”, dit le commerçant Kanyarukiga,
Je suis là pour l’offrir”,
“Je ne m’opposerai pas à cet acte louable”, reconnait l’abbé Seromba !
Il ajouta d’ailleurs que le diocèse dispose d’assez de moyens pour en construire une autre,
Et que les Hutu sont assez nombreux et forts pour l’y aider.

Imaginons les cris de ces êtres humains sur lesquels un immense bâtiment s’effondre !
Ce sont des hommes, des femmes, des adolescents, des bébés…
Le chauffeur du bulldozer le fait sans sourciller,
Et il est assisté et encouragé par des autorités politiques et une foule de tueurs.
Il a un nom qui semble bizarre et pittoresque,
Il s’appelle Nkinamubanzi ou” je badine au milieu des ennemis”.

“Mon mari était dedans”, me confie une jeune femme mère de quatre enfants.
“Il devait avoir dix ou onze ans si ses souvenirs sont bons.
Dans sa vie quotidienne, il ne cesse de se souvenir de ce jour.
Il suffit qu’il prenne un verre de bière pour qu’il passe toute la nuit à parler de ce jour,
Il ne cesse d’appeler sa mère, ses frères et ses soeurs qui ont péri dans les décombres.
La mère avait étendu son pagne pour que tous ses enfants y dorment.
Quand le bâtiement s’est effondré, mon mari s’est évanoui,
Mais les tueurs passaient pour palper les coeurs,
En vue d’achever ceux qui n’avaient pas complètement expiré.
Quelqu’un sentit que son coeur battait encore et l’assomma d’une pierre dans la tête,
Jusqu’aujourd’hui, aucun cheveu n’a pu pousser là où il reçut ce coup.
Quand il reprit connaissance, il appela sa mère, la toucha même,
Mais le corps est trop inerte : elle est morte ; les frères et les soeurs aussi.
Il était couvert de sang et de terre,
Et ses habits lui collaient au corps.
Il se traina à travers les décombres et les cadavres et parvint là en bas, dans la vallée.
Il se rendit chez le vieux Magera dont on dit que c’est un Tutsi qui s’était fait Hutu.
Le vieux Magera le gardera jusqu’à la fin du Génocide.
Il était clairvoyant ce vieux et connaissait tous les stratagèmes des tueurs.
Quand les autorités ont crié haut que la paix est revenue,
Pour que ceux qui se cachent puissent se montrer,
Le vieux a dissuadé mon mari de sortir.
Ceux qui l’ont fait ont été tous tués.
Il le gardera et l’empêchera même d’aller dans un orphelinat.
Nous avons quatre enfants, mais on dirait qu’il a perdu le goût de la vie.
Il me dit souvent qu’il sent comme des papillons bourdonner dans sa tête…”

Le 20 avril, Seromba convoque tous les cathéchistes.
Il leur demande de faire venir beaucoup de fidèles à la messe du dimanche 24 avril.
Ils répondront nombreux à cet appel.
Et du plafond où il se cache depuis le déclenchement du Génocide,
Aloys entend une jeune fille de la famille qui “l’héberge” se vanter :
“Nous venons d’une messe exclusivement Hutu,
Pas même un Twa n’y a participé.
Mais en fait il n’y a pas eu de messe,
L’abbé Seromba n’a fait que rassembler les fidèles,
Pour les remercier de s’être bien débarassés de l’ennemi Tutsi”.

Pour essayer de penser à autre chose qu’à ces horreurs,
Je m’installe dans un bungalow près des logements des prêtres.
Marie Goreth, une rescapée au sourire lointain et mélancolique,
Me sert un jus de citron.
A peine ai-je pris deux gorgées qu’un jeune homme se présenta et m’interpella :
 Monsieur, vous êtes nouveau à Nyange ?
 Oui, dis-je ! Je suis là au mémorial.
 On vous a parlé de l’abbé Seromba ?
 Oui, évidemment ! Il est tristement célèbre !
Et le jeune homme renchérit :
“Il a reçu une punition de la justice humaine.
Il parait qu’il est condamné à une prison à perpétuité
Et qu’il purge sa peine au Bénin.
Je me demande pourquoi il n’a pas reçu une punition des mains de Dieu comme mon cousin.
Pendant le Génocide, ce dernier avait reçu le rôle ignoble de tuer les bébés,
Et il avait inventé une façon horrible d’accomplir son sale travail.
Il lançait les bébés en l’air et en amortissait la chute par une lance bien aiguisée,
Le bébé poussait un seul cri mortel avant de passer au trépas.
A peine le cruel bourreau a-t-il traversé la frontière pour sa fuite au Congo que ses mâchoires se sont contractées,
Impossible de les détacher pour lui donner de la nourriture.
Les membres de sa famille ont essayé de lui donner à manger ou à boire mais en vain !
Il commença à errer comme ayant perdu la raison et il mourra de faim !
Tout le monde a cru que c’est Dieu qui l’a frappé d’une malédiction”.

Son récit me donna de la nausée et je me sentis perdu dans une réflexion.
Horreur, cruauté, criminalité…
Pourquoi l’homme est-il un loup pour l’homme ?
Pourquoi tuer de simples gens qui ne doivent leur subsistance qu’à grater la terre avec une houe ?
Pourquoi un gouvernement fait-il tuer des gens innocents qui n’ont rien à voir avec la politique ?
Pourquoi la mort des enfants, des adolescents, des bébés… ?
Quand j’allais donner un coup de poing sur la table en guise de révolte,
J’ai vite réalisé que je me suis perdu dans une réflexion sans issue !

Comme pour demander une réponse au Bon Dieu,
Le seul peut-être capable d’en fournir une,
Je me dirige vers la nouvelle église de la Paroisse de Nyange qui s’achève.
Un vieux petit bâtiment sépare le mémorial de la nouvelle église.
Le petit bâtiment comporte deux entrées principales et des inscriptions au dessus de chacune.
Ces inscriptions accusent son âge, mais avec des efforts je parviens à lire.
Au dessus de la première entrée : salle de classe pour les cathécumènes, salle de réunion pour les mouvements d’action catholique…
La deuxième entrée est encadrée par deux noms qui se disputent probablement la célébrité :
A gauche, Habyarimana.
A droite, Habinshuti-1978.
Je pique une curiosité et m’adresse au menuisier en train de fabriquer des bancs pour meubler la nouvelle église :
Pourquoi ces noms ?
Tout naturellement, le menuisier répondit : Habyarimana c’était le président,
Et Habinshuti c’est celui qui a construit ce bâtiment.
J’émis un sourire pour masquer des sentiments que je n’arrive pas à décrire moi-mème.

La nouvelle église est grandiose, somptueuse, grâcieuse.
Une véritable demeure du Bon Dieu, Créateur de l’univers.
J’ai le sentiment qu’il me voit, j’entre et fis une petite prière personnelle.
A gauche de l’entrée principale, une tour domine le niveau du mémorial.
La tour est hupée d’une petite crucifix.
Le milieu de l’entrée principale est aussi hupé d’ une crucifix plus grande.
Je me souviens que ces crucifix rappellent la passion de Jésus Christ,
Le Sauveur de l’humanité qui fut cloué des mains et des pieds,
Le Fils de Dieu qui reçut un coup de lance dans les côtes.
Je me souvins aussi de la passion du peuple rwandais : exil, discrimination, humiliation, génocide…
Au milieu de la tour trône une cloche qui appelle à certaines heures les fidèles à la dévotion.
Il parait que c’est la même qui se trouvait dans l’église détruite.
Les rescapés de Nyange ont demandé qu’elle fasse partie des reliques mémoriaux,
Mais en vain !

Autour de l’église, des ouvriers s’affairent et travaillent avec hardiesse,
Ils font tout pour la meubler, la décorer et maintenir la propreté.
Cette hardiesse et engouement au travail ont une justification :
Le 8 septembre 2018, la Paroisse de Nyange fête son jubilé de diamant,
Elle aura 75 ans d’existence.
Mais que va-t-on fêter au fait ? Réussites ou échecs ?
Au même moment que je me pose cette question, une réponse me vint en tête :
Ils vont fêter l’arrivée de l’Evangile sur cette terre,
Ils vont fêter l’arrivée de l’Eglise, celle que Jésus Christ a confiée à Saint Pierre,
Cette Eglise dont le mot d’ordre est : “Aimez –vous les uns les autres comme Dieu vous a aimés”.
Mais au même moment que cette religiosité m’envahissait,
Une autre idée me vint en tête et me dit :

“Rwanda mon pays, comme vous êtes une terre pleine de contrastes !”


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