Sous couvert de quête de vérité, certains acteurs, magistrats, « experts » autoproclamés et relais médiatiques, ont orchestré une entreprise de brouillage méthodologique visant à réassigner la responsabilité du génocide contre les tutsi à ceux-là mêmes qui en furent les opposants les plus résolus.
Cette stratégie d’inversion, habilement travestie en contre-enquête, a abouti à une dérive majeure de la vérité judiciaire : en substituant l’indicatif de l’accusation au conditionnel de l’enquête, elle a transformé la procédure pénale en outil idéologique, abandonnant les exigences d’objectivité, de contradictoire et de preuve.
Une telle distorsion de la réalité historique ne relève pas seulement de l’approximation interprétative, mais d’un acte de falsification intellectuelle aux résonances profondément négationnistes. En définitive, cette dérive marque non seulement un échec judiciaire, mais aussi une faillite morale, révélatrice de la difficulté persistante de certains acteurs à assumer la pleine mesure de leurs responsabilités passées dans l’abandon des victimes et la légitimation des bourreaux.
L’histoire du génocide contre les tutsi du Rwanda s’est trouvée, dès les premières heures du cataclysme, enchâssée dans un tissu de falsifications, de récits délibérément orientés et de stratégies discursives visant à substituer aux faits établis une lecture alternative, insidieuse et mensongère.
Parmi les dispositifs les plus puissants de cette entreprise de dénaturation historique figure la tentative de réattribuer la responsabilité du déclenchement du génocide non plus aux factions extrémistes hutu, instigatrices et exécutantes du massacre, mais au Front Patriotique Rwandais (FPR), mouvement armé dirigé par Paul Kagame, devenu ensuite le fer de lance de la résistance contre l’entreprise génocidaire.
Le mécanisme est sophistiqué : il ne s’agit pas tant de nier frontalement le génocide, posture devenue difficilement soutenable au regard de la documentation accumulée que d’en dissoudre la spécificité dans une narration ambiguë, à l’architecture volontairement floue.
Ainsi, l’on ne parle plus du « génocide contre les tutsi », expression historiquement et juridiquement précise, mais plus volontiers du « génocide rwandais », formule vague, désincarnée, permettant toutes les confusions et glissements sémantiques. Cette dénomination générique, en neutralisant les identités des victimes comme des bourreaux, devient le vecteur d’un négationnisme plus subtil, d’autant plus pernicieux qu’il opère sous les oripeaux d’une prétendue objectivité.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’instruction conduite, à partir des années 2000, par le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière. Ce dernier, sans s’embarrasser des précautions méthodologiques élémentaires, s’est livré à une construction accusatoire exclusivement à charge contre le FPR, en s’appuyant sur des témoignages non vérifiés, souvent émanant d’acteurs directement intéressés à réécrire l’histoire à leur avantage. Le fondement même de sa thèse repose sur un syllogisme douteux : puisque le génocide a immédiatement suivi l’attentat du 6 avril 1994, il en découlerait que l’attentat en est la cause directe, et partant, que ceux qui l’auraient perpétré en l’occurrence le FPR selon Bruguière porteraient la responsabilité morale et politique du génocide.
Ainsi, par un renversement aussi audacieux que spécieux, les auteurs du crime de masse se verraient exculpés, tandis que ceux qui l’ont arrêté seraient désignés comme les véritables instigateurs de la tragédie.
Cette réécriture, relayée par un réseau restreint mais influent d’« experts », de journalistes et de relais politiques français, s’est accompagnée d’une campagne médiatique méthodiquement orchestrée, visant à donner à cette hypothèse infondée les apparences d’une vérité judiciaire. Or, les fondations mêmes de l’instruction Bruguière se sont avérées fragiles, pour ne pas dire fallacieuses. Le principal témoin à charge était un imposteur ; les éléments matériels, tels que la supposée boîte noire du Falcon 50, se sont révélés falsifiés ; aucune preuve technique, balistique ou géolocalisée n’est venue étayer les assertions du juge. En définitive, l’instruction n’a produit ni identification des commanditaires, ni reconstitution précise des faits, ni cohérence probatoire.
La déconstruction de cette chimère judiciaire fut patiemment opérée par les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, qui, à travers une expertise balistique indépendante, ont établi que les tirs provenaient d’une zone contrôlée par les forces gouvernementales, excluant de facto la responsabilité du FPR.
Cette expertise, couplée aux conclusions sans ambiguïté de la Commission Duclert sur les responsabilités françaises au Rwanda, a porté un coup fatal aux élucubrations de la décennie précédente. Elle a aussi révélé, dans toute sa crudité, l’existence d’un biais initialement introduit dans le processus judiciaire français, dans un contexte où se mêlaient protection d’intérêts diplomatiques, culpabilité institutionnelle et refus d’assumer les complicités passées.
Le cas Bruguière, paradigmatique d’un détournement de l’institution judiciaire à des fins politiques, illustre avec acuité comment la justice, lorsqu’elle abdique sa rigueur méthodologique, peut devenir l’instrument d’une réécriture idéologique de l’histoire. Il démontre aussi combien le négationnisme contemporain ne s’incarne plus nécessairement dans un déni brut des faits, mais dans une entreprise de brouillage, de relativisation, voire de retournement des responsabilités, avec pour résultat une atteinte grave à la mémoire des victimes, une occultation des vérités établies et une dangereuse complaisance à l’égard des criminels.
Ce n’est donc pas seulement à une falsification des événements qu’il faut ici s’opposer, mais à une subversion des catégories mêmes de la justice et de l’histoire. Il ne s’agit pas d’un débat d’interprétation légitime, mais d’une offensive structurée contre la vérité judiciaire et historique, opérant par amalgame, inversion et suspicion. En cela, l’attentat du 6 avril 1994, devenu matrice de récits concurrents, incarne une fracture mémorielle dont les conséquences demeurent, trente et un an plus tard, d’une brûlante actualité.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!