Pourtant, au-delà de la multiplicité des facteurs invoqués, sécuritaires, géopolitiques, économiques ou institutionnels se dissimule une cause plus fondamentale, rarement assumée dans toute sa gravité : l’effondrement d’un socle éthique commun, l’absence d’un humanisme véritablement incarné et universel, sans lequel aucune paix durable ne saurait advenir.
Au cœur de cette faillite morale prospère une logique pernicieuse et profondément déshumanisante : celle de la hiérarchisation des vies, de la catégorisation des souffrances, de la distinction arbitraire entre des « bonnes » et des « mauvaises » victimes, entre des « bourreaux fréquentables » et des « bourreaux infréquentables ».
Dans ce paradigme dévoyé, la violence n’est ni condamnée de manière cohérente ni appréhendée à l’aune de principes universels ; elle est jugée, tolérée ou dénoncée selon l’identité supposée des auteurs et des victimes.
Ainsi, les crimes imputés à ceux que le discours officiel désigne comme de « mauvais auteurs », lorsqu’ils frappent des populations érigées en « bonnes victimes », font l’objet d’une indignation spectaculaire, abondamment relayée par les autorités et leurs alliés.
Ces dénonciations, souvent sélectives, s’inscrivent moins dans une quête sincère de justice que dans une instrumentalisation politique de la souffrance. Les partenaires extérieurs, quant à eux, s’accommodent fréquemment de cette géométrie variable de l’indignation, soucieux de préserver leurs intérêts économiques, sécuritaires ou diplomatiques sur le territoire congolais.
A l’inverse, les violences perpétrées par des acteurs estampillés « bons » contre des populations disqualifiées comme « mauvaises victimes » sont systématiquement passées sous silence, relativisées ou, plus insidieusement encore, justifiées. Dans ce cadre moralement vicié, même des massacres de grande ampleur peuvent sombrer dans l’invisibilité, pour peu qu’ils soient commis par une multitude de prétendus « bons bourreaux » contre des groupes préalablement déshumanisés par le discours dominant.
Cette logique atteint son paroxysme lorsqu’il s’agit des populations tutsi congolaises. Régulièrement reléguées au rang de « mauvaises victimes », elles peuvent être la cible d’exactions commises par des milices Maï-Maï, des groupes armés alliés ou même des forces étatiques, dans un silence assourdissant.
Les Églises, certaines organisations de la société civile, ainsi que la communauté internationale y compris des chancelleries occidentales pourtant promptes à proclamer leur attachement aux droits humains se murent alors dans une prudente mutité.
Dénoncer ces violences est perçu comme un acte politiquement périlleux, tant la culture de la haine banalisée et l’idéologie ethnocentrique ont profondément imprégné l’espace public congolais.
En revanche, lorsque les Tutsi sont présentés comme de « mauvais bourreaux », accusés, parfois de manière approximative ou instrumentalisée, d’appartenir à des groupes désignés comme ennemis et soupçonnés d’avoir attenté à la vie de « bonnes victimes », l’appareil d’État se mobilise avec une célérité remarquable.
Des campagnes politiques et diplomatiques sont alors activées, des pressions exercées sur les Nations unies et sur les représentations étrangères afin d’obtenir une validation internationale du récit officiel.
Pendant ce temps, les massacres attribués à des « bons bourreaux » qu’il s’agisse de milices se réclamant du patriotisme, de segments des forces armées ou de groupes notoirement criminels continuent de susciter une indifférence presque totale, pourvu que les victimes appartiennent à la « mauvaise » catégorie.
Ce système de valeurs inversées révèle une vérité dérangeante : en RDC, la violence n’est pas seulement un fait militaire ou sécuritaire, elle est devenue un fait culturel et politique, normalisé par un langage qui trie les morts et hiérarchise la compassion.
Or, aucune société ne peut espérer se réconcilier avec elle-même tant que chaque vie humaine n’est pas reconnue comme également digne de protection, de mémoire et de justice.
L’humanisme n’est pas un luxe ni une posture abstraite ; il constitue la condition sine qua non de toute entreprise de paix authentique. Reconnaître que chaque mort vaut une autre, que chaque victime mérite la même considération, indépendamment de son identité réelle ou supposée, est le premier pas indispensable vers la sortie du cycle de la violence.
Tant que cette évidence morale restera piétinée, la paix en RDC demeurera un horizon proclamé, mais toujours fuyant.














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