Désormais, cette époque semble révolue. La République, saisie par les exigences modernes de transparence, de spectacle et de narration continue, expose sans retenue ses plus hauts dignitaires à la dissection de l’intime.
Le dernier épisode en date, une vidéo virale, interprétée à tort ou à raison comme une altercation conjugale entre Emmanuel Macron et son épouse Brigitte, illustre jusqu’à l’absurde cette dissolution des frontières entre le politique et le personnel, entre la charge institutionnelle et la chronique sentimentale.
Certes, le président de la République, en déplacement officiel au Vietnam, s’est empressé de démentir toute "scène de ménage", tournant en dérision les interprétations hâtives et les fantasmes qui alimentent les réseaux sociaux.
Mais derrière cette anecdote, apparemment anodine, se dévoile un phénomène plus inquiétant : l’érosion de la majesté présidentielle sous l’effet conjugué de la surexposition médiatique, de la culture de la rumeur et d’un rapport profondément altéré à la fonction elle-même.
L’Élysée, censé incarner la permanence républicaine, devient sous nos yeux une scène de théâtre aux relents parfois vaudevillesques.
L’on se souvient de Valérie Trierweiler, brisée dans son orgueil par une rupture aussi soudaine que médiatisée, et qui, dans un ouvrage au vitriol, Merci pour ces moments, a fait voler en éclats les derniers oripeaux de discrétion qui enveloppaient la vie privée du président François Hollande.
L’image d’un chef de l’État quittant son palais, sur une moto, casqué comme un conspirateur de boulevard, pour aller rejoindre sa maîtresse rue du Cirque, a marqué d’une pierre noire la chronique de son quinquennat.
Plus tôt, Nicolas Sarkozy n’avait guère échappé à cette théâtralisation de l’intime : à peine installé dans les ors de la République, il découvrait dans les colonnes glacées de Paris Match les escapades amoureuses de son épouse Cécilia, prélude à un divorce qui viendra clore, en direct et sous les flashes, un épisode conjugal pourtant présenté comme fusionnel.
Cette déferlante d’images, de récits et de révélations, où le spectaculaire le dispute au pathétique, fragilise l’autorité symbolique du pouvoir exécutif. Car à force de se voir réduit à une succession d’humeurs conjugales, d’atermoiements sentimentaux et de confidences éplorées, le président de la République se voit dépossédé de ce que la tradition gaullienne avait cherché à rétablir : la figure du magistrat suprême, détaché des passions ordinaires, habité par une verticalité et une retenue à la mesure de sa mission.
Il y a là un affaissement de la fonction, une perte de gravité qui n’est pas sans conséquence sur le regard que portent les citoyens sur leurs institutions.
Certains y verront une salutaire démocratisation du pouvoir, une désacralisation utile, en phase avec une société qui ne tolère plus ni opacité ni privilèges. Mais cette évolution, si elle n’est pas tempérée par une exigence de décence et de rigueur, conduit inéluctablement à la confusion des genres, au brouillage des rôles, et à une infantilisation du débat public.
La République n’est pas un feuilleton sentimental ; la magistrature suprême ne peut devenir le miroir amplifié des émotions privées sans compromettre son crédit, sa capacité de représentation et son autorité.
Dans ce monde où le tweet supplante le discours, où la vidéo virale prévaut sur l’éditorial, il serait temps de rappeler que le président n’est pas un "homme ordinaire" dont on guetterait les faiblesses domestiques pour en faire des motifs de satire ou de compassion.
Il est, ou devrait être, le dépositaire d’une charge qui transcende l’individu et ses inclinations affectives. À trop vouloir humaniser la fonction, on finit par la désenchanter et, ce faisant, on participe à la lente désaffection démocratique qui mine nos régimes. Peut-être est-il temps, dans un monde saturé de transparence et de faux-semblants, de redécouvrir la vertu du silence, la noblesse de la réserve, et le mystère salutaire des palais.

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