Mais il ne faut pas s’y tromper. Cette décision, bien qu’elle semble répondre à une exigence élémentaire de justice, ne constitue qu’une goutte d’eau dans un océan de misère, d’abus systématiques et de silence coupable. Elle est un épiphénomène, orchestré pour donner à voir une volonté de rendre justice, là où règne en réalité une impunité structurelle, entretenue et instrumentalisée à des fins politiques.
Depuis des années, les rapports les plus rigoureux qu’ils émanent des Nations unies, d’ONG internationales ou de journalistes d’investigation indépendants dressent un tableau accablant de la conduite des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et de leurs alliés informels, notamment les miliciens dits "Wazalendo" et les FDLR. Pillages, extorsions, viols, exécutions sommaires, bombardements indiscriminés : le catalogue des atrocités est long, récurrent et documenté. Et pourtant, les responsables de haut rang demeurent hors de portée de la justice.
De la soldatesque au commandement : la chaîne de l’horreur
Les vingt-quatre soldats condamnés à Lubero ne sont que les exécutants visibles d’un système profondément vicié, où l’indiscipline des troupes est tolérée, voire encouragée, par une hiérarchie militaire corrompue et politisée. Dans un contexte où l’armée nationale est devenue un réceptacle de factions armées recyclées, de milices locales intégrées sans processus de vérification, et de commandants plus fidèles à des intérêts ethniques, économiques ou partisans qu’à la Constitution congolaise, ces exactions relèvent moins de dérives isolées que d’une politique officieuse de la terreur.
La responsabilité des plus hautes autorités militaires ne saurait être évacuée. Car toute armée régulière, dans un État qui se veut républicain, repose sur une chaîne de commandement. Lorsque des massacres sont commis à répétition, lorsque des enfants sont violés, lorsque des villages entiers sont réduits en cendres sous des tirs aveugles de mortiers et d’artillerie, il est légitime de poser la question suivante : que savaient les généraux, et que font-ils pour l’empêcher ? La réponse est douloureusement claire : ils savent, ils couvrent, et parfois, ils ordonnent.
Quant à la responsabilité politique, elle est plus accablante encore. Le président de la République, chef suprême des armées, ne saurait se dérober. En vantant la stratégie de militarisation totale, en légitimant les alliances dangereuses avec des groupes tels que les FDLR ou les Wazalendo, en laissant proliférer les discours de haine à caractère ethnique contre certains groupes minoritaires, le sommet de l’État congolais est directement comptable de la violence institutionnalisée qui ravage l’Est du pays.
Vers une justice sélective : l’impunité comme fondement du chaos
Le procès de Lubero a certes offert un rare moment de reconnaissance formelle des souffrances infligées à des civils congolais par ceux censés les protéger. Mais la justice, lorsqu’elle devient sélective, cesse d’être justice. Ce n’est pas en désignant quelques boucs émissaires en uniforme que l’on restaurera l’État de droit. Ce n’est pas en sacrifiant de simples exécutants que l’on fera oublier l’inaction, voire la complicité, des échelons supérieurs.
Il est aujourd’hui impératif que les juridictions militaires et civiles du pays soient dotées de l’indépendance et des moyens nécessaires pour remonter la chaîne de responsabilité jusqu’aux généraux, aux conseillers sécuritaires, et aux décideurs politiques. Car la vérité est brutale : tant que ceux qui conçoivent, ordonnent, ou tolèrent ces crimes continueront à parader sous les ors des palais de Kinshasa, la justice ne sera qu’un simulacre.
Il est temps de briser le cercle vicieux de l’impunité, qui engendre la violence, laquelle alimente à son tour une instabilité chronique. Cette instabilité sert trop bien les intérêts de ceux qui prospèrent sur la guerre : trafiquants de minerais, seigneurs de guerre reconvertis en politiciens, officiels corrompus et leurs protecteurs étrangers. Face à cela, la communauté internationale, trop souvent silencieuse, devrait enfin cesser de parler de "complexité" pour masquer sa complaisance.
Le procès de Lubero ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt de l’abandon étatique, de la prédation militaire et de la duplicité politique. Il doit au contraire servir de point de départ à une exigence de vérité, de justice et de réforme profonde de l’appareil sécuritaire congolais. Car tant que les véritables architectes de la terreur resteront intouchables, aucune paix durable ne pourra advenir dans cette région martyrisée.

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