Retour de flammes pour Constant Mutamba

Redigé par Tite Gatabazi
Le 22 mai 2025 à 10:54

C’est, en somme, l’ironie cruelle de l’histoire qui s’écrit sous nos yeux : celle de l’arroseur arrosé, de ce procureur de la morale publique soudain rattrapé par les ombres mêmes qu’il prétendait exorciser. Constant Mutamba, chantre autoproclamé de la vertu républicaine, héraut inflexible de l’orthodoxie juridique, s’était façonné l’image d’un chevalier blanc, brandissant l’étendard de l’éthique dans un paysage politique gangrené par le clientélisme et la prédation.

Sa parole était tranchante, son zèle intransigeant, sa posture empreinte de cette austérité qu’affichent ceux qui veulent croire, ou faire croire, qu’ils incarnent la rigueur rédemptrice de la chose publique. Et pourtant, c’est ce justicier de circonstance, ce contempteur infatigable de la médiocrité morale, qui chancelle aujourd’hui dans les rets d’une affaire de détournement aux allures de naufrage éthique. Il aura suffi d’un faux pas ou d’une trahison prolongée des idéaux qu’il clamait pour que le masque tombe et que l’imposture présumée éclate au grand jour.

En se prenant les pieds dans le tapis des procédures qu’il défendait avec véhémence, Mutamba ne subit pas seulement le retour du boomerang judiciaire : il devient la figure même du reniement, la caricature tragique de ce que produit un excès de zèle lorsqu’il est dépourvu de sincérité.

L’actualité congolaise est, ces jours-ci, traversée par un frisson politique d’une intensité rare, où se mêlent soupçon de concussion, effritement de l’autorité morale et vacillement des repères institutionnels.

Le cas Constant Mutamba, ministre d’État en charge de la Justice, en constitue l’épicentre flamboyant. Annoncé pour audition devant le Conseil national de sécurité, convoqué dans un contexte de fortes présomptions de détournement de fonds publics précisément 39 millions de dollars alloués à la construction d’un établissement pénitentiaire à Kisangani, le ministre est soudain devenu une énigme mobile : introuvable à son domicile, invisible dans son bureau, volatilisé jusque dans les recoins de ses habitudes sportives. L’homme qui se voulait parangon de rigueur et de verticalité institutionnelle est désormais dans le collimateur de la justice qu’il incarnait.

Dans un geste d’une gravité institutionnelle notable, le Procureur général près la Cour de cassation a saisi l’Assemblée nationale pour obtenir l’autorisation de poursuites, ouvrant ainsi une séquence juridico-politique qui pourrait bien redéfinir les équilibres au sein du pouvoir exécutif.

L’hémicycle, agissant avec une prudence toute procédurale, a décidé de la mise en place d’une commission spéciale chargée d’auditionner le ministre Mutamba avant de statuer sur l’opportunité de l’ouverture d’une information judiciaire à son encontre.

Cette affaire, au-delà de ses arêtes factuelles, révèle une tension centrale dans l’architecture gouvernementale : la justice peut-elle réellement se hisser au-dessus des hommes qui prétendent la gouverner ? Peut-elle, dans une époque saturée de cynisme et d’impunité, instruire un dossier qui implique l’un des plus hauts symboles de la régulation éthique de la vie publique ? Ou s’inclinera-t-elle, une fois de plus, devant le totem de la raison d’État travestie en immunité politique ?

Le cas Mutamba agit ainsi comme une loupe grossissante sur les paradoxes de la gouvernance congolaise. Il met à nu un système où les frontières entre magistrature et exécutif sont encore trop poreuses, où la culture de l’exemplarité peine à prendre racine, et où l’État de droit, souvent proclamé, reste à instituer.

Que le ministre de la Justice lui-même soit soupçonné de détournement dans un secteur aussi sensible que celui de l’infrastructure pénitentiaire revêt une dimension presque tragique, relevant d’un théâtre politique où l’ironie le dispute à l’infamie.

Mais le plus inquiétant, peut-être, réside dans ce que cette affaire dit de l’usage de l’invisibilité comme arme de défense politique. L’absence physique de Constant Mutamba, dans une séquence où la comparution aurait pu être l’occasion d’un plaidoyer de vérité, signale un effritement du pacte républicain. Dans un État de droit digne de ce nom, l’homme public ne se dérobe pas ; il s’explique, il assume, il affronte les faits fût-ce au prix de sa chute.
C’est ici que se joue, en profondeur, un enjeu d’autorité morale. Le régime en place, dont le discours volontariste sur la lutte contre la corruption s’est fait l’un des axes rhétoriques majeurs, se trouve face à une alternative cruciale : soit il choisit de protéger un de ses symboles au nom de calculs d’équilibre politique ; soit il laisse la justice suivre son cours, affirmant ainsi, par les faits, que nul n’est au-dessus de la loi. Dans cette affaire, ce n’est pas seulement Constant Mutamba qui est en cause, mais bien la crédibilité de l’État tout entier.

Qu’il s’agisse d’un retour de flamme ou d’un coup de tonnerre institutionnel, cette séquence met à nu les failles de l’édifice républicain et appelle à une refondation de l’éthique publique.
L’Histoire jugera sévèrement les élites qui auront préféré la fuite au courage, le silence à la transparence, la compromission à l’élévation. Car si le pouvoir corrompt, l’impunité, elle, gangrène l’avenir.

C’est l’ironie cruelle de l’histoire : Constant Mutamba, procureur autoproclamé de la morale publique, rattrapé par les mêmes ombres qu’il dénonçait

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