Ce dispositif juridique, récemment précisé lors de la Conférence des Parties (COP) de Bakou, autorise la coopération internationale par le biais d’échanges de crédits carbone, dans le but de permettre à chaque signataire de progresser vers ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L’accord-cadre signé entre Kigali et la cité-État asiatique ne constitue pas encore une opérationnalisation immédiate de projets concrets ; il s’agit d’un socle juridique et politique, sur lequel s’édifiera une architecture plus complète d’échanges de crédits carbone.
Singapour, dont l’espace restreint et l’intense industrialisation limitent les capacités d’atténuation in situ, y voit un moyen stratégique de compenser ses émissions excédentaires en finançant des projets environnementaux porteurs de co-bénéfices dans des territoires tiers, en l’occurrence, au Rwanda.
Ce dernier, pays enclavé d’Afrique centrale, riche en biodiversité et engagé dans une transition énergétique ambitieuse, espère tirer de cette coopération des retombées socio-économiques tangibles : notamment, la création d’emplois dits « verts » et l’injection de capitaux internationaux dans des secteurs durables tels que la reforestation, la production d’énergies renouvelables ou la gestion efficiente des ressources naturelles.
Marc Baudry, économiste français spécialisé dans la tarification carbone à l’université Paris-Nanterre, souligne que tant l’État singapourien que ses entreprises pourront ainsi contribuer financièrement à des projets d’atténuation sur le sol rwandais qu’il s’agisse de préserver des écosystèmes forestiers ou d’ériger des infrastructures sobres en carbone.
Ce mécanisme de « compensation » ne saurait être assimilé à un simple échange comptable : il requiert que les réductions d’émissions soient rigoureusement mesurables, vérifiables et durables, conformément aux exigences de transparence posées par la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC).
S’agissant du prix du carbone, l’accord reste muet à ce stade sur les modalités précises de valorisation. Toutefois, la référence implicite demeure la taxe carbone déjà en vigueur à Singapour, laquelle prévoit une tarification progressive qui pourrait avoisiner à terme les 45 dollars US par tonne de CO₂. Ce niveau, bien qu’inférieur aux cours observés sur le marché européen des quotas d’émission (ETS), s’inscrit dans une logique propre à l’économie singapourienne et reflète une volonté d’incitation plutôt que de contrainte.
Il convient de rappeler que les deux mécanismes, le marché ETS européen et les échanges bilatéraux sous article 6, relèvent de logiques juridiques et politiques distinctes, et qu’ils ne sont donc pas directement comparables.
Deux nations en résonance : entre pragmatisme et volontarisme écologique
Au-delà de l’accord lui-même, il est éclairant d’observer les résonances inattendues entre ces deux nations. Singapour et le Rwanda partagent, malgré leur éloignement géographique et leur dissemblance structurelle, un certain nombre de traits qui expliquent peut-être la fluidité de leur coopération.
Tous deux sont dirigés par des leaders animés par une vision de développement pragmatique, fondée sur la planification stratégique, l’efficacité administrative et l’investissement dans le capital humain.
Singapour, archétype de l’État-développementaliste en Asie, a su ériger en quelques décennies un pôle technologique et financier majeur, en s’appuyant sur une gouvernance rationalisée.
De manière analogue, le Rwanda post-génocide contre les tutsi s’est engagé, sous le leadership charismatique et visionnaire du président Kagame, dans une politique de transformation structurelle et de modernisation accélérée, souvent citée en modèle en Afrique subsaharienne.
Dans les deux cas, l’environnement est perçu non comme une contrainte, mais comme un levier de prestige, d’attractivité économique et de légitimation politique.
Enfin, cette convergence trouve son expression dans une diplomatie climatique proactive, à l’heure où les pays du Sud global revendiquent une place non plus seulement réceptrice, mais actrice des solutions à la crise environnementale planétaire.
Singapour et le Rwanda entendent démontrer, chacun à leur manière, que l’action climatique n’est pas l’apanage des grandes puissances industrielles, mais peut aussi émerger d’États agiles, visionnaires, capables de transformer les contraintes en opportunités.
En somme, cet accord-cadre, s’il ne produit encore aucun effet mesurable, témoigne d’un nouvel imaginaire de la coopération climatique : fondé sur la réciprocité stratégique, la complémentarité des ressources et des besoins, et une volonté commune de faire du climat un terrain de coopération plutôt que de rivalité.

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