Dans une interview accordée au correspondant d’IGIHE.com en Belgique Aimable Karirima Ngarambe, le metteur en scène de cette pièce théâtrale Milo Rau révèle ses préoccupations, peu avant la première présentation de la pièce prévue pour le 17 Novembre au centre mémorial de Kigali a Gisozi.
IGIHE.com : Mr Milo Rau pourquoi vous intéressez-vous à la problématique du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda ?
Milo Rau : Premièrement et avant tout, je crois que le génocide perpétré contre les Tutsi est un peu semblable au génocide commis contre les juifs pendant la deuxième guerre mondiale, la "Shoah" un sujet d’importance universelle - Dorcy Rugamba, qui joue dans la pièce "Hate Radio" le rôle de Kantano Habimana, a mis en scène une pièce de Peter Weiss sur le génocide des juifs et c’était la raison pour laquelle je l’avais contacté.
De plus, parallèlement au génocide au Rwanda, il y avait eu, en Europe un génocide (ou plutôt une tentative en ex-yougoslave) dont les racines et les raisons sociales sont comparables : la démocratisation qui suivait la chute de l’empire soviétique et laissait jouer les élites (notamment Milosevic et ses proches), par peur de perdre leur pouvoir, sur la caricature ethnique et "nationale", comme Habyarimana l’a fait au Rwanda. En même temps, c’est le rôle des medias qui m’a intéressé : le rôle de la radio, de la musique et d’une culture populaire médiatisée dans un procès de radicalisation et, finalement, de génocide. En plus et peut-être étrangement, avec le génocide des Tutsi, la Radio Télévision libre des mille collines (RTLM en sigle) m’était spécialement éloignée, plus proche que la propagande, le génocide de ma propre culture, celui des nazis : la RTLM diffusait la musique que j’écoutais moi-même à l’époque (MC Hammer, I like to move it, les hits français...), qui accompagnaient ma vie et donnaient l’atmosphère à ma jeunesse. C’est une histoire de ma génération, de cette génération "no-future" après les années 89 - alors que le génocide allemand restera à jamais l’histoire de mes grands-parents.
IGIHE.com : comment avez-vous procédé pour sélectionner les acteurs ?
Milo Rau : C’était évident pour que la pièce se joue en langue rwandaise le kinyarwanda mais aussi elle a été jouée en français (pour des raisons documentaires et d’authenticité). C’est pour cette raison que nous avons choisi de travailler avec des acteurs belgo-rwandais.
Le destin a fait que je sois personnellement tombé sur Dorcy Rugamba. En effet, j’ai trouvé sur Internet une page annonçant un groupe rwandais ayant mis en scène l’Investigation de Peter Weiss (une pièce sur Auschwitz), et j’ai immédiatement contacté le metteur en scène qui se trouvait être Dorcy Rugamba : celui-ci a très bien compris l’idée de Hâte Radio - et de là, ça s’est enchainé naturellement. On a contacté d’autres acteurs rwandais, on a fait des castings à Bruxelles etc. Comme je l’ai déjà expliqué, Hâte Radio est une histoire de ma génération (aussi), on a choisi de travailler avec des acteurs de notre génération, entre 25 et 40 ans – qui, venant du Rwanda, ont chacun (hormis le rôle de Georges Ruggiu, le seul animateur belge) une implication biographique dans ce qui est raconté sur scène. Dès lors, c’était pour moi très important de travailler avec des artistes qui "savent" de quoi on parle.
IGIHE.com : quel est votre projet après les tournées (Rwanda & Europe) et quelles sont vos attentes ?
Milo Rau : Je crois que la forme, dans laquelle nous présentons notre pièce (une sorte d’exposition de "ce qui a vraiment été dit et fait", une reconstruction de la RTLM sur scène) va susciter beaucoup de discussions : Est-ce que ceci n’est pas trop dur, trop cru pour le spectateur ? Est-ce que ceci n’est pas traumatisant ? Etc. Je crois que, sûrement notre point de départ, réaliste et analytique va laisser beaucoup de questions en queue de poisson.
Soit sur scène avec les spectateurs, des historiens, des journalistes, soit dans le livre d’accompagnement qui va sortir en 2012. Nous qui découvrons, au travers les transcriptions, au travers la mise en scène, dans le cadre des discussions que nous avons entre nous, un univers de la cruauté, un vrai chef-d’œuvre de l’inhumanité, nous devons toujours nous dire : Ceci a vraiment été dit, à la radio et tout le monde l’a entendu. Ceci est la réalité.
Ceci est une possibilité humaine, même si c’est la plus inhumaine. Et c’est pour ça qu’il faut en parler, parce que laisser ces choses dans le silence serait irrespectueux non seulement envers ceux qui l’ont vécu directement, mais aussi envers tout ceux qui, si nous n’en parlons pas, pourraient le vivre de nouveau.
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