C’est un coup de théâtre qui s’est produit en séance plénière du Parlement européen à Strasbourg ce mercredi midi, lors du vote sur le projet de règlement sur les minerais de conflit.

Pour rappel, cette législation est censée briser le lien entre l’exploitation de certains minerais (dont on tire tungstène, étain et tantale) et de l’or, et les conflits, particulièrement ceux de la région des Grands Lacs.

Deux camps étaient aux prises : l’un, de droite, qui paraissait assuré de disposer d’une majorité au Parlement, s’opposait à une législation qui contraindrait les entreprises utilisant ces minerais à assurer la traçabilité de leur chaîne d’approvisionnement ; l’autre, regroupant la gauche, les Verts et quelques libéraux, veut un système contraignant.

Contre toute attente donc, un amendement déposé par le Belge Louis Michel imposant à toutes les entreprises de la chaîne une « obligation d’informer » sur la chaîne d’approvisionnement, a été adopté. Ces quelques lignes changent substantiellement l’esprit du projet de règlement : même s’il n’en détaille pas formellement - comme le prévoyaient des amendements déposés par les sociaux-démocrates - les modalités, il impose à l’aval de la chaîne de production (les entreprises utilisant les produits dérivés des minerais) l’obligation d’informer sur leurs sources d’approvisionnement. Ces minerais se retrouvent en grandes quantités dans nos appareils téléphoniques comme les téléphones portables, les réfrigérateurs, …
En position de force

En conséquence de ce vote, qui modifie fortement celui qui avait été adopté en commission parlementaire du Commerce international, la majorité alternative qui s’est dégagée (les sociaux-démocrates, les Verts, la Gauche radicale, les Italiens du Mouvement 5 étoiles, de rares libéraux dont évidemment Louis Michel, mais aussi un paquet de dissidents de la droite modérée du PPE), a obtenu le report du vote sur l’ensemble du projet. Un stratagème qui permet d’entamer immédiatement la négociation traditionnelle entre le Parlement, le Conseil (les Etats-membres) et la Commission.

Fort de la majorité qui s’est formée en faveur d’un texte contraignant, donc vraiment efficace, le Parlement pourra négocier à partir d’une position de force avec les Etats-membres, que l’on sait très opposés à tout système qui impose la traçabilité aux entreprises. Rappelons que le Parlement et le Conseil sont les co-législateurs de l’Union européenne, ce qui impose qu’ils s’entendent sur les nouvelles législations.

Or, une adoption en première lecture d’un texte au Parlement s’effectue avec une majorité simple, tandis que le vote en seconde lecture s’effectue à la majorité qualifiée, plus difficile à rassembler. Si le Parlement et le Conseil aboutissent à un compromis, celui-ci pourra donc être adopté en première lecture - donc plus facilement.
« Priorité aux droits humains »

Marie Arena, l’eurodéputée belge responsable de ce dossier pour le groupe S&D qui en avait fait son cheval de bataille, ne cachait pas sa joie : « Le Parlement a suivi à la ligne la position que j’ai toujours défendue et qui place les droits humains au-dessus des intérêts économiques. Il faudra maintenant en convaincre le Conseil ». Ce sera en effet encore plus dur, que de convaincre quelques eurodéputés du PPE…

Quant à Louis Michel, héros du jour dans la mesure où c’est l’adoption de son bref amendement qui a complètement changé la situation, sa première réaction était brève et nette :« En adoptant cet amendement, on envoie un signal volontariste au Conseil, plutôt qu’une version dérisoire, inefficace et une ambition pelliculaire ». Marie Arena a d’ailleurs immédiatement rendu hommage à son compatriote : « Je remercie tout particulièrement Louis Michel. Son amendement va dans le sens de la traçabilité obligatoire. Je suis fière d’être membre d’un PE qui a mis de la sorte la valeur humaine au sommet ».

Avec Le Soir.be