« La violence n’est guère une fatalité… », cette phrase appartient au poète A. Tshitungu Kongolo. La pertinence du travail de cet écrivain n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui où la violence, les discours de haine ont envahi la toile mondiale.
C. Mukasemwaga, contributeur d’IGIHE, a interviewé Antoine Tshitungu Kongolo, lauréat du Prix Africa Awards 2012 (1), à Bruxelles.
L’Afropolitain, cet africain contemporain, dont les racines et les ports d’attaches sont à la fois en Afrique et sur d’autres continents, est redevenu cet homme de la tradition africaine, reliéau monde et à la Nature.
Cette sagesse africaine autrefois enseignée par les dépositaires de la culture qu’étaient les poètes ou les chanteurs, est aujourd’hui transmise dans le cadre familial grâce aux contes, chants et danses populaires. Quand dans son ouvrage « Te perdre et te retrouver », le poète congolais Antoine Tshitungu, nous fait partager la sagesse africaine que lui a transmise sa mère, il devient à son tour passeur des pratiques culturelles populaires d’Afrique.
Les écrits de Tshitungu, « remettent en tête le mot espoir ». Au terme d’un long et patient travail de mise en évidence de la richesse des cultures (populaires) africaines que partagent des populations aujourd’hui en situation de misère ou de guerre, Tshitungu montre que les impasses actuelles peuvent être dépassées.
Il devient ainsi possible de « ne pas capituler devant le désespoir, [d’] entretenir la semence de l’utopie,[de]s’atteler à la construction d’un monde meilleur où l’homme serait apprécié pour ce qu’il est et non en fonction de son faciès, de sa religion, de ses ascendances ethniques ou autres ».(2)
IGIHE : L’écrivain haïtien Rodney Saint-Eloi, après le tremblement de terre de 2010, écrit : « Il faut que les gens mettent dans leur tête le mot espoir. C’est pourquoi la littérature est importante : elle met en tête l’imaginaire du pays…L’imaginaire favorisé par le livre, çà s’inscrit dans la durée. Alors que le séisme, le choléra, c’est ponctuel, dans quelques années ce sera du passé. Pas l’imaginaire. ». Qu’en pensez-vous ?
Antoine Tshitungu : Le rôle de l’écrivain est d’être le gardien de l’espoir. Son rôle est de ne pas capituler devant le désespoir, d’entretenir le rêve utopique. Grâce à l’imaginaire, les impasses du réel peuvent être dépassées. L’imaginaire nous donne à « voir » ce qui n’est pas encore possible dans la réalité. Grâce à l’imaginaire, « demain est déjà là ».
IGIHE : Mgr. AloysBigirumwami s’exprimait ainsi : « L’homme qui conte une histoire, c’est l’homme dont le cœur est purifié. » Des mots peuvent-ils guérir les maux ?
Antoine Tshitungu : En effet, il fut un des premiers à recueillir les contes et à réaliser que les contes africains véhiculent la sagesse africaine. L’homme qui dit les contes est le gardien de cette sagesse traditionnelle. C’est le griot en Afrique de l’Ouest et le conteur en Afrique centrale. Des « histoires » peuvent relater « l’Histoire ». Il n’y a pas de contradiction.
La société africaine a changé. Et dans le monde d’aujourd’hui, c’est l’écrivain africain qui peut jouer ce rôle de conteur. L’écrivain peut raviver la tradition orale. L’oralité devient ainsi le complément de l’écrit. La famille africaine a aussi changé, éclaté. Suite à l’exode rural voir l’exil, les générations ne se côtoient plus. Beaucoup d’enfants des villes africaines n’ont pas vécus avec leurs grands-parents. Rare sont les petits citadins africains qui connaissent leur généalogie ou plus modestement le nom de tous leurs grands-parents. Dans les grandes villes africaines, ce sont les mères qui ont repris le rôle de transmission de l’oralité qui était auparavant dévolu aux grands-parents.
Un problème se pose lorsque la mère a perdu sa culture traditionnelle de par sa vie de citadine et que faute d’accès à l’enseignement, elle ne maîtrise pas la culture moderne. Cette mère se trouve dans l’impossibilité de transmettre une culture, une histoire, une généalogie. C’est une situation que je qualifie d’analphabétisme culturel.
Pour les diasporas africaines d’Europe, la transmission de l’oralité, peut se faire au moyen d’artefact. Des veillées peuvent être recréées. Des liens avec la tradition orale peuvent être retissés au moyen de la musique. Le rap permet de renouer avec l’oralité.
IGIHE : Un musée londonien, le Tate Modern, propose à ses visiteurs de voir des chorégraphies modernes devenues des classiques comme « Fase » de Anne Teresa De Keersmaeker. Le philosophe Jérémie Piolat pose la question suivante « Pourquoi les français ne dansent-ils plus ? ». Pourquoi, en Occident, est-on devenu spectateur et plus acteur de sa culture ?
Antoine Tshitungu : L’exemple de la danse est très parlant. En Afrique, la danse permet encore d’être avec les autres, de faire communion. C’est le corps qui reprend ses droits. Il n’y a pas de spectateurs. Tous les corps sont acteurs dans la danse africaine. La danse n’est pas réservée à des professionnels de cet art.
IGIHE : Le danseur travaille un rapport subtil au temps. Il doit pouvoir bouger en rythme, se jouer de la cadence. Le danseur virtuose s’envole entre les temps forts. Le rappeur doit maîtriser l’art du flow. Il se joue aussi des temps forts. Selon vous, y a-t-il un lien entre hip hop et culture traditionnelle africaine ?
Antoine Tshitungu : Lorsqu’on entend les oraisons funèbres en Afrique et la façon dont la parole est scandée par des rappeurs, on réalise que le rap est revenu à ses sources.Les « jam session » des slameurs sont des tournois de poésie, où chaque participant montre ses talents de composition et ce pour le plaisir, sans qu’il n’y ait forcément un jury. Ces tournois poétiques des slameurs puisent leurs racines dans les veillées traditionnelles de poésie en Afrique. Le rap, le slamtout comme la poésie africaine traditionnelle sont des pratiques culturelles populaires qui véhiculent une morale, une sagesse. Les jeunes rappeurs sont en mesure de sortir les poèmes de nos livres.
IGIHE : Dans votre recueil de poésie « Te perdre et te retrouver » (3), l’un des thèmes abordés est cet absence de lien social, la solitude de l’endeuillé. Le sentiment de manques de lien humain que l’on vit en Occident, n’est-il pas en partie dû au fait de ne plus faire communauté face aux épreuves de la vie ?
Antoine Tshitungu : Ce recueil de poésie est le fruit d’une écriture de nuit pendant une période de deuil. La structure de ce recueil suit celle des rites funéraires africains. Ces rites auquels participent toute la communauté de ceux qui ont connu le disparu et aident les proches endeuillés dans ces moments difficiles. On peut aussi faire un parallèle entre la mère et le continent africain…
IGIHE : Si un jeune voulait découvrir la littérature africaine, quel ouvrage classique et quel livre récent lui conseilleriez-vous ?
Antoine Tshitungu : Je conseillerais de lire Chaka de Thomas Mofolo. C’est une épopée africaine. Un autre ouvrage, venant d’une autre région de l’Afrique et que je recommande est Soundjata de Djibril TamsirNiane. C’est l’histoire du fondateur de l’empire du Mali qui y est relatée. Enfin un ouvrage de AiméCésaire ou de Léopold SédarSenghor compléterait ma liste de livres pour une introduction aux littératures d’Afrique (et de la diaspora).
-* (1) Antoine TshitunguKongolo a reçu le Prix AfricaAwards 2012 pour son travail historique qui a nourri le film « Paul Panda Farnana, un Congolais qui dérange ». Ce prix est décerné par l’AfrikaFilmfestival de Leuven.
- (2) « Personne n’a le monopole de la compassion », Antoine TshitunguKongolo, La Libre Belgique, 2 septembre 2004. Cet article est consultable sur :
-* http://www.editions-harmattan.fr/minisites/index.asp?no=15&rubId=286 - (3) « Te perdre et te retrouver », Antoine TshitunguKongolo, Editions L’Harmattan, 2011 (poésie).
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