Dans la première partie, l’auteur a comparé la situation actuelle à l’Est de la RDC à celle qui prévalait au Rwanda au moment qui précédait le génocide contre les Tutsis entre 1990 et 1994. Il a comparé le comportement des autorités de la RDC à celui des personnes mentionnées dans l’allégorie de la caverne de Platon et a expliqué comment la partition de l’Afrique lors de la conférence de Berlin en 1885 constitue la cause immédiate des conflits du Kivu.
Implantation des banyarwanda en RDC
Bronwen MANBY a fait des recherches en RDC et a fait une publication : « La nationalité en Afrique ». Il place les rwandophones en RDC en quatre étapes. Pour lui, certaines zones du territoire qui constituent maintenant la RDC ont, avant la colonisation, fait partie du royaume rwandais et étaient occupées par des populations parlant kinyarwanda. Leurs habitants devinrent de facto, citoyens congolais en février 1885, lors de la reconnaissance de l’État indépendant du Congo. Le sous-groupe de banyarwanda appelés « banyamulenge » qui seraient venus du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie au 18ème et au 19ème siècle voire même avant pour certains, sont à placer dans cette première étape.
La deuxième étape de l’implantation des rwandophones se situerait entre 1928 et 1956. Pendant la colonisation, les belges ont eu besoin de main d’œuvre dans des exploitations agricoles et minières et ont créé en 1937, la Mission d’Immigration des Banyarwanda (MIB) chargée de gérer cette migration massive vers le Masisi dans le Nord-Kivu. Selon un autre auteur, Jason STEARNS dans son livre « Nord-Kivu : Contexte historique du conflit dans la province du Nord-Kivu, à l’Est du Congo », il est difficile de connaître le nombre total de rwandais arrivés pendant la période coloniale mais les chiffres oscillaient entre 150.000 et 300.000 et l’on sait qu’à la fin de la période coloniale, les immigrants avaient fait quadrupler la densité à la fois au Masisi et au Rutshuru, faisant des banyarwanda de loin le plus important groupe ethnique du Petit-Nord.
La troisième étape correspondrait aux bouleversements qui ont eu lieu dans la période d’indépendance du Rwanda au cours de laquelle des pogroms ethniques ont entraîné des migrations des personnes estimées entre 30.000 et 50.000. Ces derniers étaient plus réfugiés qu’immigrants économiques. La quatrième et la dernière étape s’est déroulée en 1994. Ce furent des millions de rwandais incluant les miliciens, les militaires et les membres de l’ancien gouvernement rwandais qui venaient de planifier et commettre le génocide contre les tutsis.
Débuts des conflits dans le Kivu
Les conflits dans le Kivu ne sont pas d’hier. Selon les mêmes auteurs ci-haut cités, les rwandais implantés dans le Nord-Kivu sont devenus plus nombreux que les autres tribus de la région et cela a rompu l’équilibre démographique. Les conséquences se sont fait sentir dès 1958 lorsque le gouvernement colonial a donné le droit de vote aux rwandais et que ceux-ci remportèrent 80% des sièges aux conseils municipaux, ce qui provoqua des tensions, car la démocratie constituait pour ceux qui s’estimaient autochtones une menace d’être dominés par les « allochtones ». En 1962, sur influence des élites locales, le gouvernement congolais a mis en place une commission pour enquêter sur la « question rwandaise » et recommanda l’expulsion de tous les rwandais immigrants et réfugiés tous appelés « Tutsi » indistinctement. La stigmatisation des Banyarwandas a été principalement une instrumentalisation des problèmes locaux surtout d’ordre foncier par des leaders politiques. Cette instrumentalisation a conduit en 1963 à la « guerre de Kanyarwanda » dans le Walikale qui fera près de 15.000 morts.
Ce ne sont pas des informations crédibles qui manquent à ce sujet. Dans un câble du 29 octobre 1965 du Consulat des États-Unis d’Amérique à Bukavu, il était fait mention du massacre de près de deux cent personnes suite aux affrontements entre banyarwanda. Le câble précisait que : « entre 85% et 90% de la population totale du Nord-Kivu sont considérés comme refugiés, ce qui n’est pas le cas. Ne pas reconnaître les 280.000 banyarwanda dans le Masisi, ceux de Goma, de Rutshuru qui constituent la moitié de la population et ceux de Walikare, constituerait une source d’insécurité dans le Congo et dans toute la région ».
La stigmatisation des « tutsi » du Kivu a été amplifiée dans les années 1980. Le président Habyarimana Juvénal, alors très ami du président Mobutu, s’est rendu compte d’un grand nombre de tutsi dans le Kivu et a encouragé la population hutu à former des mutuelles, sorte de groupes de solidarité ethnique, et créa la MAGRIVI ( Mutuelle des Agriculteurs des Virunga), allusion aux théories des colonisateurs sur le peuplement du Rwanda qui préconisaient que les hutus appartenaient à la race « bantou » et étaient différents des Tutsi, et originairement des cultivateurs et seuls autochtones, tandis que les tutsi étaient de race « hamitique », éleveurs nomades venus du massif d’Abyssinie. Les banyarwanda du Congo devenu Zaïre qui revendiquaient alors une même identité, furent séparés en deux groupes, les hutus et les tutsis.
Les FDLR et la solution finale
La violence massive des tutsi du Kivu a commencé avec l’arrivée des FDLR dans l’actuelle RDC. Ces dernières ont continué à commettre le génocide contre les tutsi cette fois-ci du Kivu et à propager son idéologie auprès des hutus réfugiés, hutus congolais et autres tribus congolaises sur base de la fameuse théorie de race « bantou » et de race « hamitique ». Un grand nombre de tutsi furent tués et d’autres durent quitter la RDC. Le Rwanda en abrite maintenant plus de 80.000.
DOMINIC JOHNSON et ses collègues ont fait des recherches sur les FDLR pendant une dizaine d’années et ont eu accès aux documents des FDLR au cours du procès du leur président Ignace MUNYESHYAKA et du vice-président Straton MUSONI. Ils ont à cet effet écrit :
“Les FDLR, histoire d’une milice rwandaise : des forêts du Kivu aux tribunaux d’Allemagne”. Ce livre contient beaucoup d’informations sur les FDLR. Selon ces auteurs, l’appui du Zaïre et des autorités françaises ont permis au gouvernement responsable du génocide contre les tutsi à amener avec lui tout ce qu’on pouvait emporter. Ils ont en quelque sorte déménager du Rwanda au Zaïre.
Les FDLR, formées en RDC, se décrivent elles-mêmes comme une organisation politico-militaire et sont aussi solidement installées en Europe. Pour l’administration de ses citoyens, les FDLR reprennent à leur compte les divisions administratives du Rwanda au temps du génocide qui ont continué́ à exister après 1994 dans les camps de réfugiés au Congo. Il existe des organes FDLR au niveau de la cellule, du secteur, de la commune et de la préfecture. Elles ont un exécutif et un parlement, un système judiciaire, économique et financier. Les FDLR sont bien installées en RDC, elles sont plus fortes et plus motivées que les Forces Armées de la RDC et mieux organisées et mieux structurées que le gouvernement de Kinshasa. C’est pour cela que le Gouvernement de Felix TSHISEKEKI recourt aux FDRIL dans sa guerre contre le M23.
Le programme des FDLR se réclame de la théorie d’une domination séculaire de tous les Hutus par tous les Tutsis, que le FPR aurait rétablie avec sa prise du pouvoir, un « drame qu’il faut arrêter définitivement ». Cette phrase qu’on trouve dans ses statuts, constitue sans nul doute un appel à la solution finale et donc à l’achèvement du génocide des Tutsis. Contrairement au discours vendu par le gouvernement de Kinshasa et par quelques analystes occidentaux, la dangerosité des FDLR ne se mesure pas par le nombre de ses combattants mais par son idéologie. Les rwandais le savent bien, cette idéologie s’appelle PARMEHUTU, elle existe depuis plus de soixante ans et a déjà couté la vie à des millions de rwandais à majorité tutsi.
Il est surprenant que la RDC et la communauté internationale ne prennent pas au sérieux la déclaration du président rwandais Paul KAGAME quand il dit : « je ferai tout ce qui peut être fait pour être sûr que l’histoire des FDLR et le génocide ne reviennent plus ». Pourtant, les FDLR ont été déclarées comme un mouvement terroriste par les Nations Unies, les rapports indiquent les exactions qu’elles continuent de commettre en RDC et leurs objectifs sont connus.
Pour le Rwanda, aussi longtemps que les FDLR resteront à la porte des frontières du Rwanda, ce dernier se réservera le droit légitime de les poursuivre, comme n’importe quel autre responsable politique sérieux le ferait. Kinshasa continue de s’enfermer dans la caverne et refuse de regarder cette réalité en face.
La détermination des rwandais de se défendre contre les FDLR par tous les moyens a de tant plus été renforcée par la déclaration officielle du président la RDC Felix Tshisekedi d’aider les opposants au gouvernement rwandais de « se débarrasser du Président Kagame ». La déclaration a été comprise comme un soutien direct des FDLR qui combattent aux côtés des Forces Armées de la RDC et des groupes armés et qui se livrent aux massacres contre les tutsi du Kivu.
Conflits identitaires, la guerre du M23 et implication du Rwanda
Les tutsi du Kivu luttent pour la protection de leurs droits et de leur identité depuis l’arrivée des FDRL en RDC. Le M23 dit défendre les rwandophones tutsi qui subissent depuis des années des persécutions des FDRL et des Forces Armées de la RDC. Lors de sa visite en RDC en novembre 2022, la Conseillère spéciale de l’ONU pour la prévention du génocide a déclaré que « la violence actuelle découle principalement de la crise des réfugiés qui a entraîné la fuite de nombreux individus impliqués dans le génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda vers l’Est de la RDC, les FDRL ……..Cette violence est un signe avant-coureur de la fragilité de la société et la preuve persistante des conditions qui ont permis à la haine et à la violence à grande échelle d’éclater en un génocide dans le passé ».
La deuxième revendication concerne le rapatriement de centaines de milliers de tutsi congolais réfugiés dans les pays voisins. La revendication en rapport avec leur intégration dans les forces congolaises n’est que secondaire et ne vise qu’à s’assurer de leur sécurité au cas où Kinshasa n’honore pas ses engagements comme ce fut le cas pour les autres accords signés auparavant.
Le gouvernement de Kinshasa ne reconnaît pas l’existence de ce conflit identitaire. Pour lui les M23 sont des rwandais soutenus par les RDF « Rwanda Defense Forces ». La confusion entre « rwandais » et « rwandophones » est une grande erreur de la part de Kinshasa. Il semble d’ailleurs que les rwandophones vivant hors du Rwanda seraient plus de 40 millions. Un fait est sûr. Il existe bel bien une certaine sympathie et un appui moral de la population rwandophone à la guerre que mène le M23. Cela s’explique par le fait que le Rwanda, ou plutôt les tutsi du Rwanda ont une fois été dans la même situation. De plus, il ne serait pas étonnant que certains éléments de l’armée rwandaise, ougandaise et burundaise aient rejoint le M23 comme ce fut le cas pendant la guerre de libération du FPR entre 1990 et 1994, parce que, comme nous l’avons vu, plusieurs familles des tutsi congolaises vivant au Kivu ont également des relations familiales dans ces pays de la région.
La prolifération des groupes armés et la faillite d’un État
Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu qui a publié en février 2021 : la « Cartographie des groupes armés dans l’Est du Congo », une grande partie de la violence dans l’Est du Congo est motivée par le besoin des groupes armés de survivre en extrayant des ressources et de se battre pour conserver le contrôle de leur territoire. Quatre groupes, les ADF, les FDLR, l’APCLS et le NDC-R seraient responsables de la majorité des incidents et de la moitié des civils tués. « Les FARDC sont peut-être l’acteur le plus important de la violence, en raison de ses abus, de sa complicité avec certains groupes armés, ou simplement de son inaction face à l’insécurité ». Dans son livre : « Les conflits dans le monde : Approche géopolitique », Béatrice GIBLIN dit que les FARDC participent à la prédation généralisée dont les populations de l’Est du Congo paient le prix fort. Les militaires se sont montrés tout aussi affamés que les miliciens et prêts à user de leurs armes pour avoir leur part du gâteau minier.
Ceci a été confirmé par le président Felix Tshisekedi lui-même qui a formellement accusé ses généraux de se lancer dans des affaires plutôt que de se consacrer à leurs fonctions. La conséquence est que, depuis son indépendance, la RDC n’a jamais eu une armée capable d’assurer la défense et la sécurité du pays, et qu’elle soit obligée de recourir aux FDLR dans sa guerre contre le M23. Les FARDC ne sont malheureusement pas les seules à collaborer avec les milices, puisque le général des FARDC, Sylvain EKENGE a, sur TV5, accusé les députés nationaux d’être les propriétaires de ces milices, informations confirmées par le président de l’Assemblée Nationale.
Au fait les 130 milices présentes en RDC appartiennent aux hauts gradés des FARDC et autres dignitaires et ce sont eux les vrais pilleurs de minerais de ce pays. Différents rapports indiquent comment ils vendent ces minerais aux compagnies étrangères qui utilisent des avions petits porteurs, ou qui collaborent avec des relais se trouvant dans les pays limitrophes. Accuser le Rwanda de soutenir le M23 afin de piller les ressources de la RDC, ce n’est que continuer de s’enfermer dans la caserne de la réalité, puisque même si c’était le cas, cela ne justifierait pas la raison d’être de ces 130 autres milices et la faillite de l’État congolais.
En effet, selon certains analystes, le gouvernement de la RDC n’exerce sa souveraineté que sur moins de 30% du pays car les autorités coutumières ont les pleins pouvoirs sur leurs territoires. Le gouvernement central ne peut accéder à une grande partie de son territoire faute de routes praticables, et tous les indices de développement humain montrent que la RDC est un État en faillite. Selon le rapport de la Banque mondiale de 2021, la RDC, le plus grand pays d’Afrique subsaharienne, possédant des ressources naturelles exceptionnelles, est l’une des cinq nations les plus pauvres du monde. Près d’une personne sur dix en situation d’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne vit en RDC. Ces mauvais scores s’expliquent également par le niveau de corruption, la RDC est classée par WJP Rule of Law Index pour l’année 2022 à la 140ème position sur 140 pays, et à la 137ème position pour Ordre et justice (order and justice).
La résolution des conflits identitaires et/ou idéologiques nécessite une démarche plus réfléchie. La majorité de ces types de conflits ont pour origine la décision unilatérale des puissances qui ont partitionné les pays sans tenir compte des réalités ethniques, religieuses, linguistiques et culturelles. Les conflits du Caucase proviennent de la formation arbitraire des États indépendants après la dislocation de l’URSS en 1991 et constituent des « bombes à retardement » à cause des enjeux géopolitiques régionaux. Dans les Balkans, les nations se sont vues imposer des tracés frontaliers après la seconde guerre mondiale sans tenir compte de leurs histoires et de leurs religions. Malgré l’intervention des Nations Unies, les conflits des Balkans subsistent. La guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine a pour cause principale la mauvaise gestion de l’après indépendance de l’Ukraine en 1991 surtout la non prise en compte de revendications des russophones d’Ukraine même s’il y a aussi des enjeux géopolitiques. La division du Soudan en 2011 a pour origine la politique d’injustice sociale des britanniques à l’égard des tribus soudanais du Sud en 1955. La liste de ces conflits est longue. Tous ces conflits ont en commun la non prise en considération des représentations des nations concernant leur histoire, leur culture et la prise en main de leur propre destinée.
Le gouvernement de Kinshasa a depuis longtemps renié la citoyenneté des rwandophones congolais mais seul le dialogue entre les congolais eux-mêmes pourra apporter une réponse à cette question sans devoir recourir aux pays de la région et aux institutions internationales comme les Nations-Unies ou l’Union Africaine. Les différentes résolutions de Luanda, Nairobi, Bujumbura et Addis pourraient peut-être faire arrêter les combats entre le M23 et les FARDC, mais étant donné la nature du conflit et les représentations des protagonistes, il apparaît qu’aussi longtemps que les revendications du M23 ne seront pas considérées, la RDC gagnera peut-être la bataille, mais la guerre continuera.
Le gouvernement rwandais s’est lancé il y a une dizaine d’années, sur la voie de développement économique entre autres en attirant des investisseurs privés étrangers. En toute logique le Rwanda gagnerait davantage à créer des conditions de paix et de sécurité et de coopérer avec son voisin, la RDC. Les instigateurs de l’accusation de pillage des minerais n’ont manifestement que des intentions de nuire au développement de la région, en se servant comme d’habitude, au principe de « diviser pour régner », dans ce cas « diviser pour mieux exploiter ».
Les tutsi du Rwanda ont été victimes d’un génocide qui a couté la vie de plus d’un million de personnes en 100 jours et ceux qui ont commis ce génocide se trouvent au Kivu et ne cessent de vouloir revenir achever le travail commencé en 1994. Ne pas prendre en considération ses inquiétudes concernant la dangerosité des FDLR est considéré par les rwandais comme un soutien aux forces génocidaires et à son idéologie. Même si la récente attaque maladroite pour un Chef d’État du Président Tshisekeki contre le Président Paul Kagame du Rwanda, je cite : « …. C’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la RDC. Les rwandais ont besoin de notre aide pour se libérer, nous débarrasser et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades » n’est pas de nature à espérer si vite le rétablissement des relations entre le Rwanda et la RDC, la souveraineté et la sécurité du Rwanda passent avant tout. La résolution du conflit entre le Rwanda et la RDC passera obligatoirement par la dissolution des FDLR.
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