La tribune parue dans Le Monde, signée par le docteur Denis Mukwege et soutenue par quelque soixante-quinze lauréats de la prestigieuse distinction, se présente en apparence comme un cri du cœur, un appel désespéré pour extirper le peuple congolais du chaos. Or, sous le vernis de l’indignation morale et de l’empathie proclamée, se dessine un discours dangereusement biaisé, pétri de contrevérités, d’amalgames et d’omissions volontaires, qui contribue à reconduire, voire aggraver, les logiques mortifères qu’il prétend dénoncer.
Le docteur Mukwege, devenu pour beaucoup l’icône de la compassion et le parangon du militantisme humanitaire, semble désormais se muer en oracle d’une lecture profondément manichéenne et partielle de la tragédie congolaise.
Son narratif, s’il séduit les cercles médiatiques occidentaux friands de symboles rédempteurs, se nourrit d’une décontextualisation coupable, d’une occultation méthodique des responsabilités internes, et d’une rhétorique accusatoire qui, sous couvert de solliciter la justice, renforce en réalité une posture d’assujettissement politique.
Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de rappeler que les maux qui gangrènent la RDC depuis des décennies : pillages, violences communautaires, déliquescence institutionnelle, corruption érigée en système de gouvernement, clientélisme effréné, impunité quasi-sacralisée ; relèvent avant tout d’une faillite nationale.
Ce ne sont ni les chancelleries étrangères, ni les multinationales fussent-elles cyniques, ni même les puissances régionales qui ont institué le tribalisme, saboté l’État de droit ou vidé de sa substance l’idéal républicain.
Le démantèlement progressif de l’autorité publique, l’abandon des services sociaux fondamentaux, la captation des ressources par des élites prédatrices, sont le fruit d’une responsabilité éminemment congolaise, dont le peuple paie chaque jour le prix du sang, de l’exil et de la honte.
Dans ce contexte, faire porter à une entité floue, la « communauté internationale » l’exclusive charge du salut du Congo relève moins d’un diagnostic lucide que d’un procédé de diversion politique. Loin d’exiger une introspection salvatrice, cette rhétorique reconduit la logique de l’externalisation de la faute, du bouc émissaire providentiel, et de la victimisation perpétuelle. Elle exonère les véritables responsables nationaux et contribue à figer les consciences dans une attente messianique d’un secours venu d’ailleurs.
Il est par ailleurs frappant de constater que cette posture, si souvent adoptée dans certains milieux intellectuels congolais, trouve aujourd’hui une étrange résonance dans les sphères belges, précisément celles dont la mémoire coloniale, encore encombrée de silences et d’ambiguïtés, devrait inciter à la réserve.
Le discours de Mukwege, dès lors, s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’une instrumentalisation humanitaire à des fins de recomposition politique, où l’indignation morale sert de levier pour des ambitions plus personnelles, voire mercantiles, sur fond d’un romantisme patriote à la fois exacerbé et désincarné.
Certes, la souffrance des populations congolaises est réelle. Elle est insupportable. Mais elle ne saurait être invoquée pour falsifier l’histoire, travestir la complexité du réel, ni ériger en prophète de la rédemption un homme dont le discours frise parfois le déni des responsabilités endogènes. L’indignation, si elle n’est pas arrimée à la vérité et à l’autocritique, devient non pas un outil d’émancipation, mais un instrument de domination.
C’est en se réappropriant sa souveraineté, en assainissant ses propres institutions, en rendant ses dirigeants comptables de leurs actes, et en refusant les subterfuges d’un discours victimaire, que la RDC pourra espérer sortir de sa nuit historique. Car ce n’est pas à la communauté internationale de reconstruire la République. C’est aux Congolais eux-mêmes, dans un sursaut de lucidité, d’exigence et de courage, de refonder un État digne de ce nom. Le reste n’est que rhétorique, posture, et, pour tout dire, trahison de l’espérance.

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