Kenya : Meta dans la tourmente judiciaire pour violence en ligne

Redigé par Franck_Espoir Ndozeue
Le 15 juin 2023 à 04:31

Le groupe Meta, condamné récemment en Europe pour violation de la protection des données, est désormais confronté à une autre bataille au Kenya : celle des modérateurs de contenus chargés de supprimer les publications violentes et haineuses sur Facebook.

Trois plaintes ont été déposées au Kenya contre Meta et la société californienne Sama, sous-traitante de la modération des contenus du réseau social pour l’Afrique subsaharienne entre 2019 et 2023.

Deux plaintes ont été déposées par des modérateurs de contenu employés par Sama à Nairobi. Leur travail consistait à visionner et retirer les publications violentes, haineuses et diffusant de la désinformation sur Facebook.

Sama et Meta ont été sollicités pour commenter ces affaires, mais ont choisi de ne pas le faire.

La première plainte a été déposée en mai 2022 par un Sud-Africain nommé Daniel Motaung devant le Tribunal de l’emploi et des relations au travail. Il dénonce des conditions de travail inhumaines, des méthodes d’embauche trompeuses, des rémunérations irrégulières et insuffisantes, ainsi que le manque de soutien psychologique face aux traumatismes causés par cette activité. Il affirme également avoir été licencié pour avoir voulu former un syndicat. L’affaire est en attente de jugement.

En mars, une deuxième plainte a été déposée par 184 autres employés affirmant avoir été licenciés abusivement par Sama, qui a annoncé mettre fin à ses activités de modération de contenus. Ils demandent une compensation pour leurs salaires jugés insuffisants compte tenu des risques auxquels ils étaient exposés et les dommages causés à leur santé mentale.

Dans l’attente d’une décision sur le fond, les licenciements ont été suspendus le 2 juin par le Tribunal de l’emploi, qui a ordonné à Meta et Sama de fournir une assistance psychologique et médicale appropriée aux plaignants. Meta et Sama ont annoncé leur intention de faire appel.

En décembre 2022, une autre plainte a été déposée, accusant Meta et Sama d’inaction face aux discours de haine, ce qui aurait conduit au meurtre d’un professeur d’université en Éthiopie en 2021, selon les plaignants.

Ces affaires sont les plus importantes concernant la modération des contenus depuis une action collective engagée aux États-Unis en 2018. En mai 2020, Facebook avait accepté de verser 52 millions de dollars à des modérateurs en compensation des effets de leur travail sur leur santé mentale.

Les plaintes déposées à Nairobi visent à dénoncer un système de sous-traitance utilisé par Meta pour échapper à sa responsabilité, selon ses détracteurs. Meta externalise la modération de contenus sur Facebook à des sociétés opérant dans plus de 20 sites à travers le monde, traitant quotidiennement plus de deux millions d’éléments, selon les données fournies par le groupe à l’AFP. Les avocats de Meta ont soutenu que le groupe ne peut être jugé au Kenya, où il n’a aucune activité directe ni n’est employeur.

Cependant, dans son jugement du 2 juin, la justice a estimé que Meta était "propriétaire du travail numérique et de l’espace de travail numérique".

Ces affaires révèlent les coulisses méconnues de la modération des contenus, souligne Brandie Nonnecke, directrice du Centre pour le Droit et la Technologie à l’université de Berkeley. Elle estime que le grand public ne mesure pas l’ampleur des contenus dangereux et horribles ni le coût humain de la modération.

Cori Crider, directrice de l’association britannique Foxglove qui soutient les plaintes au Kenya, affirme que l’objectif principal de ces affaires est de changer la manière dont le travail est effectué. Selon elle, les mauvaises conditions de travail conduisent à une mauvaise modération qui peut avoir des conséquences mortelles. Au-delà de Meta, ces affaires mettent en lumière les aspects sombres des réseaux sociaux en général, souligne-t-elle.

Brandie Nonnecke estime qu’il est nécessaire de contraindre les plateformes de réseaux sociaux à concevoir leurs systèmes de manière à ne pas inciter à la publication et au partage de contenus nuisibles, ce qui permettrait d’enrayer la propagation de ces contenus à la source.


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