Or, quelques années plus tard, le constat s’impose avec une acuité désarmante : le chef de l’État semble pris au piège de sa propre architecture de pouvoir, exposé à une mécanique d’auto-fragilisation patiemment entretenue par ceux-là mêmes qui gravitent dans son orbite immédiate.
Cette fragilité ne résulte pas uniquement d’une faiblesse intrinsèque de l’appareil exécutif. Elle découle, plus profondément, de la configuration d’un entourage composite, mêlant affidés, opportunistes et forces d’influence parallèles, qui exploitent avec cynisme chaque faille, chaque erreur, chaque ambiguïté pour affaiblir le centre décisionnel et transférer le poids politique des fautes sur le Président lui-même.
Dès lors, c’est moins avec lui qu’on gouverne que pour lui ou plus exactement, contre lui, en agissant à couvert derrière l’autorité qu’il incarne.
L’instrumentalisation des erreurs présidentielles : une stratégie de fragilisation du pouvoir central
Le premier axe de cette mécanique est l’exploitation méthodique des faux pas politiques. Chaque acte, chaque dérapage, chaque décision controversée est amplifié, médiatisé, retourné contre son initiateur officiel : le Président. Ce processus permet aux forces internes d’échapper à toute responsabilité politique tout en faisant peser sur le sommet de l’État la charge intégrale de l’impopularité.
Les exemples sont nombreux et documentés : atteintes à la liberté de la presse : L’organisation Journalistes en Danger a recensé plus de 500 attaques contre des journalistes ou des médias durant le premier mandat de Félix Tshisekedi, dont 160 arrestations arbitraires et plus de 120 suspensions de médias. Cette répression, opérée principalement par des organes subalternes de sécurité et des administrations intermédiaires, rejaillit pourtant directement sur la figure présidentielle.
La violation du couvre-feu en pleine pandémie : En apparaissant publiquement à Kolwezi en infraction aux mesures sanitaires qu’il avait lui-même promulguées, le Président s’est symboliquement désacralisé comme garant de l’État de droit. Une faute politique à forte valeur d’image.
Echec sécuritaire à l’Est : Malgré une série de remaniements à la tête des forces armées, la situation sécuritaire dans l’Est du pays demeure explosive : territoires sous contrôle de l’AFC/M23, violences endémiques, des millions de déplacés internes. Ce bilan pèse lourdement sur le crédit présidentiel, bien qu’il résulte d’une complexité structurelle excédant sa seule volonté.
La légitimité électorale contestée : L’ancien président Joseph Kabila a publiquement qualifié le scrutin présidentiel de « simulacre », remettant en cause la légitimité politique de son successeur. Si cette accusation procède d’un calcul politique, elle contribue à affaiblir l’assise symbolique de la présidence.
La continuité de la corruption systémique : Contrairement aux engagements initiaux de rupture, les réseaux de prédation économique liés aux ressources minières n’ont pas été démantelés ; ils ont simplement muté, recyclant de nouveaux acteurs sous des apparences de réforme. Cette corruption transformée mais persistante conforte l’image d’un pouvoir captif des forces d’intérêt qu’il prétendait combattre.
Un pouvoir vulnérable à l’infiltration politique et institutionnelle
La deuxième dynamique relève d’une infiltration silencieuse de l’appareil d’État par des forces qui ne partagent ni l’agenda réformateur affiché ni la loyauté véritable au Président. Ces acteurs, souvent issus de la technostructure ou des clientèles politiques héritées des régimes précédents, agissent comme des agents doubles, veillant à ce que chaque avancée potentielle soit neutralisée de l’intérieur.
Ces infiltrés consolident leur influence en entretenant un culte de l’obéissance formelle, feignant une loyauté sans faille tout en manœuvrant dans l’ombre. Ils sont les « professionnels du oui » : ceux qui ne contestent jamais, mais dont chaque « acquiescement » affaiblit un peu plus la stature présidentielle. Cette stratégie sape la verticalité du pouvoir : le Président devient otage de son propre entourage, tributaire de décisions qui portent sa signature mais non sa volonté.
La présidence Tshisekedi comme scène d’un théâtre politique fragmenté
Enfin, le troisième axe de cette dynamique est la transformation progressive de la présidence en espace de représentation plutôt qu’en véritable centre de décision. Le pouvoir présidentiel est de plus en plus performatif : il met en scène la réforme, mais n’en contrôle plus les ressorts effectifs.
Cette dissociation entre discours et action produit un double effet délétère : d’une part, une érosion accélérée de la crédibilité politique du chef de l’État aux yeux des citoyens, qui perçoivent un décalage constant entre promesses et réalités.
D’autre part, une radicalisation des forces concurrentes internes et externes qui profitent de cette fragilité pour s’affirmer comme alternatives politiques crédibles ou comme piliers indispensables à la survie du régime.
Un pouvoir sous contrainte, une présidence sous surveillance
Le mandat de Félix Tshisekedi illustre ainsi une réalité politique plus large : celle d’un pouvoir fragilisé non pas tant par ses adversaires déclarés que par ses propres alliés de l’intérieur, qui ont fait de la présidence une scène de leurs luttes d’intérêts. Ce paradoxe du pouvoir entouré mais assiégé pourrait bien constituer l’un des facteurs déterminants de la recomposition politique en République démocratique du Congo dans les années à venir.
En définitive, le Président ne peut plus se contenter d’incarner la fonction : il lui faut désormais reprendre possession de l’appareil, rétablir la cohérence de son action et démanteler les réseaux de duplicité qui prospèrent dans son ombre. À défaut, l’histoire retiendra moins un chef d’État qu’un acteur principal dans une pièce écrite par d’autres.

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