La Belgique tiraillée entre ses fractures historiques et ses équilibres fragiles

Redigé par Tite Gatabazi
Le 17 mars 2025 à 09:36

Il est peu d’États en Europe dont l’existence même semble relever d’un équilibre aussi précaire que la Belgique.

Ce pays, au cœur du vieux continent, incarne à lui seul les paradoxes d’une construction nationale fondée non sur une unité intrinsèque, mais sur une cohabitation fragile, marquée par des lignes de fracture profondes et séculaires. Née en 1830 d’une révolution qui, ironie de l’Histoire, ne fut jamais réellement portée par un sentiment national partagé, la Belgique est demeurée un État sans véritable nation, une architecture politique négociée, mais constamment menacée d’effondrement sous le poids de ses propres divisions.

Les racines d’un schisme inaltérable

Si les tensions entre Flamands et Wallons paraissent aujourd’hui dictées par des revendications économiques et institutionnelles, elles plongent en réalité leurs racines dans des strates historiques bien plus anciennes.

A l’origine, la scission était d’abord linguistique et culturelle. Dès le XIXᵉ siècle, la jeune Belgique érigea le français en langue dominante, reléguant le néerlandais au rang de dialecte populaire méprisé par l’élite bourgeoise. Cette fracture initiale ne fit que s’aggraver au fil du temps, nourrie par des humiliations répétées et une prise de conscience identitaire grandissante du côté flamand.

Mais la question linguistique ne saurait à elle seule expliquer la défiance mutuelle entre les deux communautés. C’est aussi dans le tissu économique que se tisse le grand divorce belge. Au sortir de la révolution industrielle, la Wallonie, jadis prospère et riche de ses bassins houillers et sidérurgiques, a vu son éclat s’éteindre, tandis que la Flandre, longtemps marginalisée, s’affirmait comme le nouveau centre économique du pays.

Ce renversement de fortune fit naître un ressentiment flamand contre un État centralisé perçu comme acquis aux intérêts wallons et alimenta des revendications autonomistes de plus en plus affirmées.

Un pays à l’epreuve de sa propre complexité politique

Cette tension sourde a progressivement façonné un édifice institutionnel d’une complexité inouïe, à la mesure des compromis laborieux qui ont jalonné l’histoire belge. Désormais, le pays ne fonctionne plus comme un État unitaire, mais comme une mosaïque d’entités fédérées, où la moindre décision politique est soumise à des équilibres subtils et instables.

Avec six gouvernements et autant de parlements, chaque réforme devient une épreuve de force, chaque consultation électorale un risque de paralysie.

Mais c’est surtout sur le terrain gouvernemental que cette instabilité se fait la plus criante. Depuis plusieurs décennies, la Belgique vit au rythme des crises politiques interminables, où la formation d’un gouvernement exige des mois de tractations et d’alliances improbables. Le pays détient d’ailleurs le triste record du plus long blocage gouvernemental en Europe, avec 541 jours sans exécutif en 2010-2011.

Plus récemment encore, la montée en puissance des partis indépendantistes flamands, en particulier la N-VA (Nouvelle Alliance Flamande), a exacerbé cette fragmentation. Si le séparatisme n’est pas encore une réalité actée, il est devenu une menace latente, entretenue par une lassitude mutuelle entre deux peuples qui ne se reconnaissent plus dans un destin commun.

A cela s’ajoute la présence d’un axe bruxellois, véritable anomalie au cœur du dispositif belge, capitale francophone enclavée en territoire flamand, dont le sort semble suspendu à l’issue d’un éventuel éclatement du pays.

Vers une implosion inéluctable

Faut-il dès lors considérer la Belgique comme un pays condamné à l’implosion ? La question n’a jamais été aussi légitime. Chaque nouvelle élection ravive les incertitudes, chaque crise institutionnelle renforce le spectre d’un éclatement progressif. Pourtant, le système tient bon, à la faveur d’un attachement pragmatique aux institutions européennes et d’un refus, tant en Flandre qu’en Wallonie, d’affronter les conséquences concrètes d’un divorce.

Reste à savoir jusqu’à quand ce fragile équilibre pourra être préservé. L’histoire nous enseigne que les pays sans ciment identitaire solide finissent par se déliter sous le poids de leurs propres contradictions.

La Belgique, éternel royaume de l’entre-deux, oscille ainsi entre perpétuation et désagrégation, entre construction et déconstruction, dans une attente silencieuse où plane l’ombre d’un éclatement qui, sans être annoncé, demeure toujours possible.

Il est peu d’États en Europe dont l’existence même semble relever d’un équilibre aussi précaire que la Belgique\

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