La tonalité désormais perceptible dans certains programmes, lorsqu’elle est doublée des déclarations émanant de responsables militaires de premier rang, évoque, de manière troublante, la réactivation d’un modèle discursif que l’histoire récente a pourtant sévèrement jugé.
Il ne s’agit pas ici d’une simple dérive verbale ou d’un excès de langage attribuable à la passion des circonstances. Ce qui se dessine est d’un autre ordre : une mise en scène de l’adversaire par la dénaturation, la stigmatisation systématique d’un groupe identifié et la construction d’un imaginaire d’exclusion qui s’adosse à une rhétorique de suspicion généralisée.
Ce type de discours, fondé sur la désignation d’un ennemi intérieur et la diffusion d’une vision manichéenne du corps social, porte en lui une charge délétère dont l’histoire de la région des grands lacs contemporaine a mesuré le prix.
Le parallèle avec la RTLM ne relève pas de l’exagération polémique : il renvoie à une parenté de méthodes et d’intentions. Le recours à l’invective, la caricature déshumanisante, la désignation répétée d’un groupe comme cause unique des malheurs collectifs constituent les ressorts classiques d’une pédagogie de la haine.
Leur réactivation dans des espaces de communication officiels, investis de l’autorité de l’État ou de l’institution militaire, confère à ces paroles une gravité accrue, car elles s’abritent derrière la légitimité des fonctions pour pénétrer plus aisément les consciences.
La leçon impérative du TPIR : la parole comme responsabilité et comme justiciable
L’histoire récente n’est pas muette : elle a parlé par la voix du Tribunal pénal international pour le Rwanda, dont la jurisprudence constitue un repère normatif et moral de première importance.
A travers les arrêts relatifs aux médias de la haine, notamment ceux visant les responsables de la RTLM et de certaines publications, le TPIR a établi de manière éclatante que la parole publique n’est pas un simple flux sonore sans conséquence, mais qu’elle peut devenir une arme redoutable lorsque, dirigée contre un groupe déterminé, elle incite à l’exclusion, à la persécution et à la violence.
Le Tribunal a rappelé avec force que l’« incitation directe et publique » à commettre des crimes de masse ne saurait se dissimuler derrière le paravent de la liberté d’expression. Il a montré comment la répétition méthodique de stéréotypes déshumanisants, l’appel à la mobilisation contre des populations désignées et l’usage des ondes comme caisse de résonance d’une idéologie d’extermination constituent des actes engageant une responsabilité pénale individuelle.
Ainsi, la jurisprudence du TPIR érige un principe clair : la parole, lorsqu’elle vise à dresser les uns contre les autres et à préparer le terrain de la violence, cesse d’être un simple discours ; elle devient participation active à la commission du crime.
Rappeler ces condamnations n’est pas exercice d’érudition, mais exigence de vigilance. Les sociétés qui ont traversé l’épreuve savent que les tragédies collectives ne surgissent pas ex nihilo : elles sont précédées d’une lente accoutumance au langage de la haine, d’une banalisation progressive de l’injure collective, d’une normalisation de la suspicion ethnique ou politique.
Lorsque ces dérives s’installent au cœur même des institutions de communication d’État ou se trouvent relayées par des responsables militaires de haut rang, l’alarme doit être tirée avec gravité.
Il appartient dès lors aux dirigeants, aux journalistes, aux communicants publics et à la société civile de veiller à ce que l’espace médiatique demeure un lieu de responsabilité et non de mise à feu des passions les plus sombres.
La mémoire des arrêts du TPIR, loin d’être tournée vers le seul passé, constitue un avertissement adressé au présent : nul ne peut prétendre ignorer désormais où conduisent les réactivations de doctrines haineuses et les manipulations médiatiques qui les portent.
La situation actuelle rappelle, avec une insistance préoccupante, que les idéologies les plus dangereuses ne disparaissent jamais d’elles-mêmes : elles se transforment, se dissimulent, puis réapparaissent lorsqu’un climat leur devient favorable.
Face aux tonalités qui, ici ou là, ressuscitent les schémas discursifs de la RTLM et les hantises des « dix commandements du hutu » discriminatoires, la seule attitude digne d’une société consciente de son histoire est la vigilance éclairée.
L’éthique de la parole n’est pas un luxe rhétorique : elle est une condition de la paix civile et un rempart contre la répétition du pire.














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