Bisesero, Les Héros de la Résistance

Redigé par Karirima Aimable
Le 3 juillet 2018 à 07:00

Les collines de Bisesero, dans la préfecture de Kibuye bordant le lac Kivu, sont devenues un lieu doublement symbolique : du génocide de 1994, et de la résistance opposée par les Tutsi contre le régime qui avait planifié leur extermination. La résistance des Tutsi à Bisesero concentre tous les éléments de la tragédie rwandaise qui est aussi une tragédie française. Elle témoigne, comme l’insurrection des Juifs du ghetto de Varsovie, que ces résistants sont nos héros pour notre commune humanité.

Lors d’un Interview avec IGIHE, Daniel et Christine Illana Le Scornet reviennent sur ’Bisesero, Les Héros de la Résistance ’ le livre qui bouleverse en retraçant l’histoire des collines de Bisesero.

IGIHE : Daniel et Christine, pourquoi ce livre ?

Le Scornet :Parce que le premier jour de notre premier séjour au Rwanda, en 2014, le 28 juin, nous l’avons passé avec les rescapés sur les collines de Bisesero. Notre première nuit au Rwanda, celle de la commémoration du vingtième anniversaire du génocide perpétré contre les Tutsi, nous étions avec eux sur la colline de Muyira, en cette veillée. Nous étions tous deux au cœur de leurs témoignages, au sublime de leurs chants de résistants. C’est inoubliable.

Le lendemain tous les villageois nous ont accueillis plus bas, au village, près du centre de santé, avec leurs bâtons de bergers, leurs feutres, leurs ombrelles, leurs rires, leurs chants à nouveau. Avec d’autres amis nous leurs avons offert des vaches et nous avons dansé, dansé, dansé encore.

Depuis nous sommes ensemble, vraiment. Ce livre est à eux, c’est le leur, ce sont eux. Ce sont eux qui par ces photos, par ce livre nous regardent. Nous interrogent. Car le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 n’est pas à connaître. Il est désormais parfaitement documenté. C’est ce qui l’a rendu possible, ce qui a conduit à ce que personne ne l’arrête à temps qui restent encore inimaginable.

Tous deux, qui êtes-vous ?

Deux citoyens français ! Conscients que cette tragédie rwandaise est aussi une tragédie française. Surtout à Bisesero ! Christine devient photographe par le Rwanda même si elle a déjà exposé en France un travail sur la première grève en Europe des ouvrières de l’entreprise américaine Amazon concomitamment avec le très original et libertaire mouvement « Nuit Debout » qui s’est déroulé en 2016 dans notre pays.

Daniel est lui de toutes les luttes pour l’indépendance des pays colonisés depuis le début des années 60. Il a présidé la Fédération des Mutuelles de France, inventé la Couverture Maladie Universelle et développé des centres de santé, y compris en Afrique (Mali).

Pourquoi choisir Bisesero ?

Parce que c’est le lieu où, fort de la tradition des Basesero lors des pogromes anti-Tutsi de 1959, 62, 73 la résistance collective des Tutsi durant près de trois mois est devenue l’un des moments les plus héroïques de l’Histoire humaine. Que cette résistance est la même que celle des insurgés juifs du ghetto de Varsovie, des résistants français du plateau des Glières, des arméniens des plateaux et déserts d’Anatolie, de la révolte des Sonderkommando d’Auschwitz en octobre 1944 au sein même des chambres à gaz nazies. Que tous ces enfants, ces femmes, ces hommes, au plus terrible du dénuement, de l’isolement, de la barbarie ne se sont pas laissé conduire à la mort comme des moutons comme on a voulu parfois le laisser entendre. « Nous avons refusé de nous faire tuer comme des mouches sans nous défendre » dit Siméon Karamaga, commandant rescapé des Tutsi à Bisesero.

Parce que le génocide perpétré contre les Tutsi à la même importance universelle que les autres génocides du XX ° siècle, que la Shoah. Surtout un génocide APRES la Shoah et en présence d’une armée et d’un Etat membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU !

Parce qu’à Bisesero l’armée française qui a pendant trois longues années de 1990 à 1993 entrainé, armé, dirigé même l’armée raciste responsable des pogromes anti-Tutsi, qui n’a pas arrêté le génocide à ses débuts dès le 8 Avril 1994 alors qu’elle était de nouveau sur place a, du 27 juin au 30 juin, à Bisesero, refusé de porter secours aux plus de deux milles Tutsi qui y résistaient encore. Ceci alors même qu’un détachement de l’opération française « Turquoise » leur avait demandé de sortir de leurs cachettes devant leurs tueurs…et était reparti ! Trois jours plus tard, alors qu’un autre détachement enfreignait les ordres pour leur porter enfin secours, ils n’étaient que moins de mille survivants.

Pourquoi avoir choisi le mixte Images/Textes ?

Cette histoire est tellement énorme, elle interroge tant la France, ses responsabilités, son incapacité encore d’y faire face qu’il ne fallait pas seulement des textes mais le choc des photos, les visages, les regards, les héros eux-mêmes. Il fallait montrer que les génocidaires avaient échoué, n’avaient pas exterminé jusqu’au dernier les Tutsi. Comme il fallait montrer que les dizaines de milliers de tués sur ces collines étaient l’assassinat, chaque fois, d’un enfant singulier, d’une femme singulière, d’un homme singulier. Que les vivants et les morts étaient ensemble à jamais afin que l’Humanité puisse, un jour enfin, peut-être, advenir.

Y-aurait-il une chance que le livre soit traduit en Kinyarwanda ? Où acquérir ce livre ?

Vu sa forme mixte nous l’avons autoédité. C’est notre hommage personnel aux héros de Bisesero. Pour le commander : Daniel et Christine Le Scornet, rue Vala, 07580, St Pons. 13 euros plus 3, 5 euros de frais de port. Le voir traduit en Kinyarwanda serait une merveille mais déjà les photos transcendent les langues, universalisent les émotions.

Et puis avec Charles Habonimana nous avons écrit ensemble un livre « Charles, le dernier Tutsi » qui n’attend plus que son éditeur. C’est une histoire, la vie en suspend d’un enfant à tuer durant le génocide, un suspens, fantastiques. Aussi fantastique qu’est Charles, qu’est le Rwanda aujourd’hui.

Comment, comme français, voyez-vous les relations France/Rwanda maintenant ?

Des militaires, des hommes politiques (hier Kouchner, par exemple) parlent enfin ! Aussi profonde et douloureuse sera pour la France la reconnaissance entière de ses responsabilités inouïes dans la perpétration du génocide des Tutsi au Rwanda aussi forte sera sa capacité de régénération démocratique et humaine. Le Rwanda est sur un chemin de réconciliation et de développement jamais emprunté dans l’histoire après un génocide.

Il redonne même sens et avenir à l’Union Africaine ! Nous espérons que notre pays qui a tant d’efforts à faire pour dépasser une histoire où résistances populaires comme complicités avec les pires démons racistes et exterminateurs se côtoient saura tirer leçon de cette nouvelle volonté africaine d’indépendance et d’auto développement portée au premier chef par le Rwanda.

Daniel et Christine Illana Le Scornet

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