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Burundi Elections : quelles conséquences ont les divisions au sein du pouvoir ?

Redigé par Benjamin Chemouni
Le 27 avril 2015 à 01:41

A la veille du congrès du CNDD-FDD, le politologue Benjamin Chemouni évoque trois scénarios possibles pour les prochaines élections "Des violences ne sont pas à exclure car la candidature de Nkurunziza renforcerait les divisions au sein du parti CNDD-FDD mais aussi l’opposition dans sa volonté de dénoncer coûte que coûte toute irrégularité »
L’élément le plus surprenant dans la vie politique Burundaise actuelle est la vitesse avec laquelle les divisions au sein du parti au pouvoir se font jour. (...)

A la veille du congrès du CNDD-FDD, le politologue Benjamin Chemouni évoque trois scénarios possibles pour les prochaines élections

"Des violences ne sont pas à exclure car la candidature de Nkurunziza renforcerait les divisions au sein du parti CNDD-FDD mais aussi l’opposition dans sa volonté de dénoncer coûte que coûte toute irrégularité »

L’élément le plus surprenant dans la vie politique Burundaise actuelle est la vitesse avec laquelle les divisions au sein du parti au pouvoir se font jour. Longtemps invisibles, les forces centrifuges au coeur du CNDD-FDD restaient un angle mort dans les analyses politiques. Ces forces, maintenant évidentes, joueront un rôle considérable dans les élections à venir.

L’effritement du pouvoir de Nkururnziza

Le Président Nkurunziza se refuse encore à annoncer publiquement sa candidature à un troisième mandat présidentiel constitutionnellement douteux. Ses alliés eux répètent inlassablement qu’il sera le candidat du CNDD-FDD. La tentative de changer la constitution l’an dernier ne laisse que peu de doute sur sa volonté de se représenter. Cependant ce désir se heurte à une résistance croissante au sein de son propre parti.

Le premier signe évident de tensions au sein du CNDD-FDD s’est manifesté à travers la mutation, en novembre dernier, de deux piliers du régime : le général Adolphe Nshimirimana, chef de la documentation, et le général Alain Guillaume Bunyoni, chef du cabinet civil à la présidence. Bien que parmi les alliés les plus proches du président, et réputés à ce titre indéboulonnables, ils furent mutés afin d’apaiser la base du parti (et probablement de l’armée), de plus en plus hostile envers la corruption et le clientélisme auxquels s’adonnent ces généraux.

Moins de trois mois après sa nomination, le nouveau chef de la documentation, le général Godefroid Niyombare est aussi renvoyé. Ce remplacement intervient après qu’une note de ses services conseille au président de ne pas se représenter afin de « préserver la paix et la stabilité » et sauvegarder les chances de victoire du parti CNDD-FDD. Dans l’arène politique, les propos de l’ancien sénateur Richard Nimbesha contre une candidature du président ont fait sauter un tabou dans le parti, comme le prouvent les divisions au sein du Conseil des Sages du CNDD-FDD ou encore les 17 frondeurs du parti qui se sont prononcés ouvertement contre un troisième mandat.

Cependant, le cas le plus flagrant de division au sein du pouvoir réside dans l’évasion de Hussein Radjabu, probablement avec le soutien de haut gradés. Emprisonné en 2007 par Nkurunziza afin de resserrer son emprise sur le parti, Radjabu reste très populaire. Sa fuite offre maintenant une alternative crédible de leadership dans un parti divisé. Il est cependant peu probable que Radjabu se présente comme candidat à la présidence.

De confession musulmane, Radjabu ne pourra pas mobiliser au maximum la population, à majorité chrétienne, dernière son nom. Il le sait et c’est pour cela qu’il a préféré laisser la présidence du pays à Nkurunziza après la guerre en pensant pouvoir tirer les ficelles d’un président qu’il espérait marionnette. On connaît la suite. Cependant, il est probable que s’il revenait à la tête du parti, tout candidat à la magistrature suprême ne pourrait se passer de son soutien.

Les opposants au sein du CNDD-FDD à un troisième mandat semblent donc partager une analyse commune : afin de maximiser les chances du parti de rester au pouvoir, un changement de candidat à la présidentiel est nécessaire.

Une telle stratégie n’est pas sans fondement. Alors que le parti conserve une certaine popularité sur les collines, il n’en n’est pas nécessairement de même pour le président. D’après un sondage de Afrobaromètre de 2014, 62% des sondés étaient en faveur de la limite à deux mandats présidentiels. Cependant, 56% déclaraient qu’ils voteraient pour un candidat du CNDD-FDD aux élections.

En comparaison, les deux partis qui arrivent en second en terme de popularité sont le FNL et l’UPRONA, avec seulement 3% des intentions de vote chacun. Ces résultats sont néanmoins à analyser avec prudence. D’abord, étant donné le climat politique délétère, les personnes interrogées peuvent être réticentes à déclarer leurs réelles intentions de vote et à la place affichent un soutien au CNDD-FDD. Ensuite, 24% des sondés étaient indécis ou ont refusé de répondre.

La légitimité décroissante du CNDD-FDD

La popularité de CNDD-FDD est au plus bas depuis la fin de la guerre. A l’époque le parti jouissait d’un soutien immense qui s’est reflété dans son succès électoral de 2005 et de 2010. Le CNDD-FDD s’est dépeint comme le libérateur d’un pays sous le joug quasi continu de l’UPRONA depuis l’indépendance.

Cependant, cette légitimité semble faire de moins en moins recette. Elle n’est plus une garantie de succès électoral au vu de la terrible performance économique du pays depuis 2005 et des pratiques de corruption et de clientélisme de nombreux dirigeants du CNDD-FDD.

L’extraordinaire manifestation de soutien de la population à Bob Rugurika lors de sa libération le mois dernier est un rappel que la popularité du CNDD-FDD est en berne. Rugurika était emprisonné suite aux révélations de la radio RPA sur le meurtre des sœurs italiennes à Bujumbura en septembre dernier.

Sa libération a donné lieux à des scènes de joie auxquelles le Burundi n’est pas habitué. La portée de cet événement ne réside pas seulement dans le degré de liesse populaire. Elle réside également dans le fait que la mobilisation a dépassé le cadre de Bujumbura, généralement hostile au CNDD-FDD : entre la prison de Muramvya et Bujumbura, la population se massait le long de la route pour acclamer Bob Rugurika.


Une opposition plus unifiée ?

« Rien n’indique que l’opposition ferait mieux que le CNDD-FDD au pouvoir. Pourquoi serait-elle moins incline à la corruption et au clientélisme ? En bref, le rejet du CNDD-FDD ne doit pas conduire à idéaliser l’opposition »

L’opposition politique au Burundi s’organise autour de deux grandes coalitions : ADC Ikibiri et RANAC. Cette dernière rassemble deux partis d’opposition les plus populaires d’après le sondage Afrobaromètre : l’UPRONA à majorité tutsi et le FNL, héritier du Palipehutu.

Cette alliance peut s’interpréter comme une dynamique saine : les divisions politiques ne recoupent plus les divisions ethniques. Cependant, l’enthousiasme se doit d’être prudent. Avec la baisse de popularité du CNDD-FDD, la réorganisation de l’opposition ne pourrait qu’être le résultat d’un opportunisme politique.

Néanmoins, le CNDD-FDD est sensible au danger qu’une coalition telle que RANAC représente. Il a d’ailleurs recouru à la carte ethnique afin de la discréditer en la qualifiant de contre nature par la voix du député Juvénal Havyarimana. Le degré avec lequel raisonnent de tels arguments au sein de la population est discutable cependant. Après tout, le CNDD-FDD lui même s’est allié avec l’UPRONA jusqu’en 2013.

Différents scénarios pour les élections

Quelles sont les conséquences de ces développements récents pour les prochaines élections ? Bien que leur issue soit plus incertaine que jamais, il est d’ores est déjà possible d’identifier trois scénarios principaux.

Le premier est une victoire de CNDD-FDD avec Nkurunziza comme président. Au vu des soutiens du président de plus en plus rares, ce scénario est loin d’être désirable car très instable. Il supposerait probablement le recours à des irrégularités pour s’assurer la victoire électorale. Ensuite, des violences ne sont pas à exclure car la candidature de Nkurunziza renforcerait les divisions au sein du parti CNDD-FDD mais aussi l’opposition dans sa volonté de dénoncer coûte que coûte toute irrégularité. A plus long terme, le cramponnement au pouvoir du président résulterait dans une augmentation de la corruption, du clientélisme et de la violence pour compenser sa base réduite de soutien.

Le second scénario est une victoire du CNDD-FDD sans Nkurunziza comme président. Ce scénario est le plus stable car il enlève le sujet de discorde principal au sein du parti au pouvoir – la candidature de Nkurunziza – tout en offrant dans une certaine mesure le changement que la population attend. De plus, un tel scénario offrirait probablement une victoire limitée au CNDD-FDD. Sans lui donner une incitation à recourir à la violence, il réinsufflerait l’esprit d’Arusha au sein des institutions en permettant à l’opposition de jouer un rôle de surveillance contre toute dérive du CNDD-FDD. Cependant, ce scénario requière que le CNDD-FDD s’unisse derrière un nouveau candidat sans exploser mais aussi qu’il ne recoure pas à la fraude massive.

Le troisième scénario est une défaite du CNDD-FDD. Il est probablement le scénario le moins probable étant donné la popularité toujours important du parti, sa possible capacité à recourir à la fraude ainsi que son ancrage local. Cependant, ce scénario n’est pas impossible, notamment si le parti se divise. C’est aussi le scénario au résultat le plus incertain. Comment le CNDD-FDD réagirait-il à la défaite étant donné sa pénétration au sein du pays et sa jeunesse militarisée, les Imborenakure ? Et comment le ou les gagnants de l’élection se comporteraient-ils au pouvoir ? L’attention sur le CNDD-FDD et l’exaspération qu’il suscite chez beaucoup ne doivent pas faire oublier que l’opposition n’est pas non plus constituée de partis modèles. Leurs choix politiques restent souvent guidés par l’opportunisme. De plus, s’ils occupent l’espace médiatique par la critique du parti au pouvoir, ils restent muets sur ce qui préoccupe les burundais au quotidien. L’opposition ne propose pas de programmes politiques tangibles, de projets de société alternatifs. Enfin, rien n’indique que l’opposition ferait mieux que le CNDD-FDD au pouvoir. Pourquoi serait-elle moins incline à la corruption et au clientélisme ? En bref, le rejet du CNDD-FDD ne doit pas conduire à idéaliser l’opposition.

La population est consciente du risque de violence à l’approche des élections. Les mariages de la diaspora burundaise au pays ont augmenté de façon considérable l’été dernier par anticipation d’un climat politique délétère cet été, lors de la prochaine saison des mariages. Sur les collines, la population demande à ce que les vacances scolaires commencent plus tôt afin que les enfants restent à la maison pendant les élections. Les souvenirs de la guerre civile, quand les écoles étaient des cibles de choix, ne sont jamais loin. Mais à l’inquiétude se mêle l’espoir du changement. Parmi la jeunesse urbaine, Facebook et Whatsapp sont utilisés intensément pour partager les analyses politiques tout comme les rumeurs. Pour le pire et plus surement pour le meilleur, la passivité ne devrait pas faire partie des élections.


Benjamin Chemouni est politologue, doctorant dans la faculté de développement international à la London School of Economics and Political Science (LSE) au Royaume Uni.
Sa recherche concerne le Burundi et au Rwanda. Cet article est adapté d’un article publié initialement sur le site African Arguments.


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