Ce jeudi 31 mars, Jacques Bihozagara est mort de façon pour le moment inexpliquée dans une prison burundaise. Il était un diplomate et un homme d’affaires rwandais. Il est la personne qui, par ses mots, aura contribué à faire que je m’investisse corps et âme dans l’affaire de l’implication française dans le génocide des Tutsi du Rwanda.
Je suis heureux d’avoir pu le lui dire il y a quelques années à Kigali alors que je l’avais croisé par hasard à la sortie d’un hôtel.
Voici l’extrait d’un article que j’ai écrit à son sujet il y a maintenant douze ans.
« Le 7 avril 2004, à l’occasion de la dixième commémoration du génocide des Tutsi, l’ex-ambassadeur du Rwanda en France, son excellence Bihozagara, m’avait aimablement remis, à l’Unesco, le discours qu’il venait de prononcer, et dont voici un troublant extrait :
« « Comme l’affirmait, déjà en 1941, Berthold Brecht, à
propos du génocide des Juifs : " le ventre est encore
fécond, d’où est sortie la bête immonde." Dissimulée
sous toutes formes d’hypostases, "la bête immonde" vient
encore de retourner l’épée dans la plaie du Rwanda, qui se
refermait à peine. C’est, à la veille de chaque
commémoration de ce génocide, que le monstre réapparaît,
comme un serpent de mer. Que "la bête immonde" soit sortie
de France, sous les plumes du juge Bruguière et du
journaliste Stephen Smith, à l’instigation de leurs
commanditaires, nous en portions encore toute la
prémonition. Cinquante ans après Berthold Brecht, les
propos du juge Bruguière et de Stephen Smith rappellent que
l’esprit de Vichy, de Philippe Pétain, n’est pas mort, que
le camp français de Drancy, qui conduisait à Auschwitz, se
survit, sous d’autres voiles. »
»
Bihozagara exprimait ce que nous sommes désormais en mesure de saisir, à savoir que, dès que pointent sur la France les premiers jours d’avril, et que les Tutsi tentent d’honorer leurs morts, la garde rapprochée de l’État français allume ses contre-feux afin de brouiller leur message.
Il nous invitait, par ailleurs, à reconnaître, dans ce que les Tutsi subissent au cours la présente période post-génocidaire, ce qu’eurent à subir les Juifs dans la période qui suivit la Shoah.
Car c’est bien selon des procédés reproductibles, et aujourd’hui reproduits, que le négationnisme emboîte le pas à l’accomplissement du génocide qu’il projette de nier. Ainsi retrouvons-nous, dans la période qui suit celui des Tutsi au Rwanda, les mêmes méthodes que celles utilisées afin de nous faire admettre la thèse selon laquelle le massacre des Juifs d’Europe, mécaniquement engrené dans les roues dentées de la seconde guerre mondiale, ne correspondait pas à un projet génocidaire. »
Monsieur Bihozagara, vos mots ne m’ont à l’époque pas donné le choix. L’histoire de ma famille, la déportation vers Auschwitz de la mère de ma mère en passant par le
camp français de Drancy, ma mère restée dès lors orpheline alors qu’elle n’avait que quatre ans, tout cela a fait qu’il me fallait impérieusement connaître la vérité. La simple vérité. Une et indivisible. Et peu importe le temps que cela me prendrait.
Après plusieurs années passées à enquêter, il m’aura fallu admettre que vous aviez raison. Qu’une association de malfaiteurs à la tête de l’Etat français avait bien participé au « ça » du « plus jamais ça ».
Mais je n’abandonnerai jamais pour autant les idéaux de mon pays, la France, convaincu que le combat doit également se mener ici même, contre ceux qui les bafouent, ce qu‘ils font tout en misant sur notre incapacité à croire en un tel niveau de cynisme.
Monsieur Bihozagara, il est une victoire que nous remporterons ensemble : celle de l’Histoire. Paix à votre âme.
Serge Farnel est l’auteur de « Bisesero. Le ghetto de Varsovie rwandais » aux éditions Aviso
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