Entretien avec Philippe Lardinois, auteur de Kagame, Un de Gaulle Africain, sur son livre et le nouveau Rwanda

Redigé par IGIHE
Le 30 juillet 2018 à 10:12

Comparer le président Paul Kagame, Africain du début du XXIe siècle, au général de Gaulle, Français du milieu du XXe siècle, peut de prime abord, prêter à sourire, sembler audacieux, voire même, pour certains, paraître incongru. Toutefois, la lecture du livre Kagame, Un de Gaulle Africain n’autorise pas l’assimilation. Philippe Lardinois met seulement en perspective les caractéristiques spécifiques de ces deux militaires devenus hommes d’Etat et les grandes séquences de leur destin exceptionnel.

Lors d’un entretien avec IGIHE, Philippe Lardinois, né à Bujumbura (précédemment Usumbura), capitale du Ruanda-Urundi sous tutelle de la Belgique coloniale, répond à nos questions à propos de son livre et du nouveau Rwanda.
Ci-dessous, l’intégralité de l’entretien.

IGIHE : Qui est Philippe Lardinois ?

Je suis de nationalité belge et avocat de formation. Je m’intéresse essentiellement aux questions de droit et de philosophie politique.

En quoi les deux hommes d’Etat, Kagame, Africain du XXIe siècle, et de Gaulle, Français, du milieu du XXe siècle, sont comparables ?

Je suis un fervent admirateur du général de Gaulle et donc j’ai lu pas mal de choses sur lui. A un moment donné, comme je m’intéressais à l’histoire du nouveau Rwanda, j’ai considéré qu’il y avait un certain parallèle, une certaine comparaison possible entre le Président Paul Kagame et le général De Gaulle. J’ai commencé à réfléchir à cette comparaison et puis progressivement je me suis rendu compte que cela tenait la route et j’ai commencé à écrire ce livre sur ces deux personnages.

L’un comme l’autre vont se révéler d’abord des hommes providentiels dans des situations particulièrement difficiles. De Gaulle, c’est l’homme du 18 juin 1940, quand il refuse la capitulation de la France face à la défaite devant les troupes nazies. Il quitte la France pour Londres et il crée la France libre. C’est quelqu’un que l’on ne connaissait pas mais qui à un moment donné dit ‘Non, la France ne peut pas capituler, elle doit se relever’ et donc il crée la France libre. Cette période va durer quatre ans puisque du 18 juin 1940 à la victoire et au retour de De Gaulle en juillet 1944, il va être l’homme du refus du renoncement.

On a eu une période similaire chez le président Paul Kagame, qui après le début de la guerre, le 1er octobre 1990, va être appelé au front et va reprendre en main les troupes du FPR qui étaient en difficulté. Cette période a aussi duré quatre ans.
Jusque-là, on a deux hommes qui, dans des situations très difficiles, vont se révéler de vrais chefs, des gens qui décident de ne pas abdiquer, qui disent non.

Et puis, vous avez la deuxième période chez de Gaulle, elle démarre en mai 1958 quand il revient au pouvoir parce que la France est en difficulté et empêtrée dans la crise algérienne. L’Algérie veut l’indépendance, la France ne veut pas abandonner l’Algérie Française et donc de Gaulle revient au pouvoir et il va rester au pouvoir pour une dizaine d’années jusqu’en 1969 et durant cette période, il va modifier sensiblement les institutions en créant la Vème République. Il va se révéler un homme politique providentiel à nouveau et remarquable puisque ces institutions créées et mises en place par le général de Gaulle en 1958 sont toujours là aujourd’hui.
Et de l’autre côté, Paul Kagame qui était un militaire va se révéler être un grand homme politique. Il va devenir un vice-président puis Président de la République et permettre au Rwanda de se reconstruire après le désastre du génocide des Tutsis en 1994.

Comment avez-vous apprécié la réaction du public à la sortie de votre livre ?

Les échos que j’ai eus chez des Rwandais que je connais ont été très favorables et positifs. J’ai pu hélas lire cela sur les réseaux sociaux que certains disaient : de nouveau, on compare un Africain à un Occidental, à un Européen, et Paul Kagame n’est pas un de Gaulle africain, etc. Donc, je crois que l’on m’a mal compris, je ne veux pas assimiler Paul Kagame à de Gaulle, ma démarche c’est de dire qu’il y a chez les deux hommes un destin et une approche similaires qui leur permettent d’émerger dans des situations exceptionnelles.

Dans le livre, vous parlez du professeur Filip Reyntjens. Comment vous êtes-vous inspiré d’un négationniste et révisionniste du génocide des Tutsis au Rwanda, pour construire un livre décrivant le héros de l’après-génocide ?

Je pense qu’il est utile quand on écrit un ouvrage de ce type, de rencontrer aussi en termes d’arguments les personnes qui ne sont pas d’accord avec le nouveau Rwanda, Filip Reytjens en fait partie et je parle aussi de Kenneth Roth, le responsable du Human Rights Watch. Donc, je crois que pour être sérieux et crédible, il faut essayer de rencontrer l’argumentation de ceux qui ne sont pas d’accord.

La critique du nouveau Rwanda se fait toujours à partir du crible ou des critères de ce que l’on appelle les droits de l’homme ou les droits individuels. Je pense que c’est une erreur et je m’inscris en faux par rapport à cette approche. La démocratie c’est d’abord faire fonctionner ensemble deux pôles : le pôle collectif et le pôle individuel, l’intérêt général et les libertés fondamentales. A mon sens, il ne faut jamais oublier que le pôle de l’intérêt de tous prime sur celui des intérêts individuels. Je pense qu’aujourd’hui dans des pays comme le Rwanda, on fait passer le pôle collectif avant le pôle individuel, ce qui me parait cohérent.

Que pensez-vous du Rwanda recréé après 1994 ?

Je suis venu au Rwanda pour la première fois en 2001 et je suis revenu de manière régulière. On est quand même frappé par l’évolution positive du pays, de voir comment le pays se développe par la bonne gouvernance manifeste. De plus, je me suis fait des amis Rwandais et pas des gens importants, des Rwandais ordinaires. Quand je discute avec eux, ils montrent qu’ils sont satisfaits, contents de ce nouveau Rwanda et que surtout les plus âgés peuvent faire une comparaison avec ce qui existait antérieurement. Le nouveau Rwanda se préoccupe beaucoup plus de l’intérêt de ses citoyens que le précédent régime.

Comment percevez-vous l’opposition politique actuelle à l’encontre de Paul Kagame ?
Le général de Gaulle quand il était Président de la République Française dans les années 60, se voit demander par son ministre de l’information de permettre à l’opposition de s’exprimer sur les radios périphériques et le général de Gaulle répond par une boutade en disant ‘mais pourquoi voulez-vous qu’il y ait une opposition, ce n’est tout de même pas un idéal d’être dans l’opposition !’ C’est pour montrer que cette question se présentait déjà à l’époque des années 60.

Alors je dirais que l’opposition en-soi n’est pas un idéal. L’opposition est intéressante à partir du moment où elle est constructive, où l’on vient avec des idées, des projets, des propositions d’amélioration.

Si c’est simplement pour dire qu’on n’est pas d’accord parce que ceci parce que cela, souvent par rapport à des choses relativement anecdotiques au regard de ce qui a été réalisé, c’est sans intérêt.

Pour vous, quel est le grand défi du Rwanda ?

Le grand défi du Rwanda c’est sa jeunesse (...) C’est à cette jeunesse qu’il faut donner un avenir. Le monde a changé depuis 1994 avec la révolution de l’internet, etc. Donc, tout cela change sensiblement la donne. Le monde est un village planétaire, vous pouvez à partir de Kigali être en contact, quasiment instantanément, avec des personnes qui se trouvent à l’autre bout de la terre etc. Tout cela était inimaginable il y a 25 ans. Je crois que cette jeunesse qui a été biberonnée avec ces techniques et qui vit là-dedans attend que le pays lui permette de s’exprimer à tout niveau et de pouvoir se réaliser dans le cadre de ce nouveau monde qui est apparu depuis les années 2000.

Philippe Lardinois, auteur de 'Kagame, Un de Gaulle Africain'

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