Gambie : cinquante ans d’indépendance dans la terreur

Redigé par Le Monde
Le 18 février 2015 à 04:56

Les autorités de Banjul ont préparé le 50e anniversaire de l’indépendance de la Gambie en grande pompe : festivités à travers tout le pays et parade gigantesque dans le principal stade de la capitale en présence de plusieurs chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, mercredi 18 février.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux sont inondés de messages de propagande à la gloire de Yahya Jammeh et en souvenir d’une « indépendance acquise de haute lutte ». Même si, en 1965, cette décolonisation s’est plutôt (...)


Les autorités de Banjul ont préparé le 50e anniversaire de l’indépendance de la Gambie en grande pompe : festivités à travers tout le pays et parade gigantesque dans le principal stade de la capitale en présence de plusieurs chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, mercredi 18 février.

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux sont inondés de messages de propagande à la gloire de Yahya Jammeh et en souvenir d’une « indépendance acquise de haute lutte ». Même si, en 1965, cette décolonisation s’est plutôt déroulée « dans l’ordre et le calme, au terme d’un processus négocié avec le Royaume-Uni », estime le politologue Jean-Herman Guay de l’université canadienne de Sherbrooke.

Pour les Gambiens vivant à l’étranger, les célébrations à Banjul accentuent plutôt la nostalgie d’un âge d’or perdu. Celui où, après l’indépendance, leur pays a été « un havre de paix et un modèle en matière de respect des libertés et des droits humains ».

Siga Njagne est installée aux États-Unis. Elle est la sœur de Njaga Jagne, l’un des quatre hommes tués après le putsch manqué du 30 décembre. La voix tremblante au téléphone, elle souligne que ce jubilé n’aura de sens « que si la communauté internationale s’intéresse davantage aux violations répétées des droits de l’Homme en Gambie. »

« [Nous allons] combattre ces vermines appelées homosexuels ou gays de la même manière que nous luttons contre les moustiques qui causent le paludisme. »

Le président gambien Yahya Jammeh

Depuis la tentative de renversement du dirigeant gambien, lui-même arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en juillet 1994 contre Dawda Jawara (premier président de la Gambie), la situation s’est aggravée pour tout ce qui touche à la liberté d’expression et d’opinion.

Lois draconiennes

« La peur est omniprésente en Gambie depuis vingt ans. La société civile, les journalistes et opposants politiques subissent en toute impunité intimidations, menaces de mort, arrestations et incarcérations arbitraires, tortures et disparitions forcées », détaille Nicolas Krameyer, responsable du programme « Protégeons les personnes » à Amnesty International.

Il parle aussi d’un « règne de la terreur » dans ce pays de deux millions d’habitants enclavé dans le Sénégal, dépourvu de ressources naturelles, où plus de 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté d’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

À ces violations répétées des libertés s’ajoutent un durcissement de l’arsenal législatif et des discours d’appel à la haine et au meurtre des homosexuels. En février 2014, devant l’Assemblée générale des Nations unies, Yahya Jammeh renouvelait son intention de « combattre ces vermines appelées homosexuels ou gays de la même manière que nous luttons contre les moustiques qui causent le paludisme, sinon de manière plus agressive ».

La même année, il a fait adopter une loi prévoyant l’emprisonnement à perpétuité pour « homosexualité avec circonstances aggravantes ». Depuis 2013, il est interdit de critiquer le gouvernement sur Internet sous peine de quinze ans d’emprisonnement. Une situation qui contraint les médias à l’autocensure.

Ceux qui tentent de s’en affranchir subissent le même sort qu’Ebrima Manneh, arrêté à la rédaction du Daily Observer en juillet 2006 et disparu depuis. Le cas de ce journaliste est emblématique d’un pays où la torture et les mauvais traitements font partie des pratiques constantes de la police.

« La tentative de putsch de décembre a aggravé la situation et, plus qu’avant, le pays est plongé dans l’arbitraire », explique François Patuel, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. Ce défenseur des droits humains n’entrevoit d’ailleurs aucun signe d’ouverture possible.

Espoirs très minces

Pourtant, la société civile et l’opposition veulent y croire. Un membre du Parti populaire progressiste déclare, sous couvert d’anonymat, qu’« il est grand temps pour le peuple gambien de se dresser (…) et d’avoir son mot à dire quant à la gestion du pays ».

Il est malgré tout conscient de la grande faiblesse des leviers dont disposent l’opposition et les activistes à l’intérieur du pays pour faire pression sur le régime. Dès lors, les regards semblent se tourner vers la communauté internationale, en commençant par les partenaires régionaux de la Gambie.

« Ce serait une avancée considérable, si les chefs d’Etat invités aux célébrations de l’indépendance de la Gambie s’exprimaient sur la question des droits de l’homme dans ce pays », déclare François Patuel, en soulignant le rôle crucial que peut jouer la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

Pour l’heure, Yahya Jammeh ne semble pas prêt à suivre la moindre injonction. Depuis 2008, il ignore les résolutions de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que les décisions de la cour de justice de la Cédéao au sujet des arrestations et des disparitions de journalistes.

Le dirigeant gambien a régulièrement critiqué les pays occidentaux, qu’il soupçonne de « néocolonialisme » – il accuse aussi les défenseurs des droits de l’homme d’être « des agents de l’étranger ». Celui qui prétend aussi pouvoir guérir le sida a retiré la Gambie du Commonwealth en 2013 et interrompu le dialogue politique avec l’Union européenne en novembre 2014.

En retour, la Commission européenne a suspendu deux nouveaux programmes de développement, bien que « la mise en œuvre des programmes de coopération au bénéfice de la population continue », souligne Sharon Zarb, l’une des porte-parole de la Commission.

Selon elle, il s’agit d’un levier efficace pour amener les autorités de Banjul à prendre conscience de la gravité de la situation, d’autant que « l’accord de coopération de Cotonou [que la Gambie a signé] prévoit une possibilité en cas de violations persistantes des droits de l’homme ou des principes démocratiques de suspendre sa coopération ».


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