La CENI n’a plus d’existence légale au Burundi

Redigé par Me Pacelli Ndikumana
Le 8 juin 2015 à 11:25

Pour les juristes burundais, après la démission suivie d’exil de deux membres sur les cinq de la CENI, cette Commission Electorale Nationale Indépendante n’a plus d’existence légale au Burundi. Pour preuve :
Depuis la date fatidique du 1er Juin 2015, la Vice-Présidente de la Commission Electorale Nationale Indépendante, Mme Spés Caritas Ndironkeye et la Commissaire chargée des Finances et de l’Administration, Mme Iluminata Ndabahagamye ont toutes adressées une lettre de démission au Président de la (...)

Pour les juristes burundais, après la démission suivie d’exil de deux membres sur les cinq de la CENI, cette Commission Electorale Nationale Indépendante n’a plus d’existence légale au Burundi. Pour preuve :

Depuis la date fatidique du 1er Juin 2015, la Vice-Présidente de la Commission Electorale Nationale Indépendante, Mme Spés Caritas Ndironkeye et la Commissaire chargée des Finances et de l’Administration, Mme Iluminata Ndabahagamye ont toutes adressées une lettre de démission au Président de la République.

Le motif de leurs démissions demeure le même : elles ont cité le contenu de l’article 91 de la constitution et ont mentionné que le contexte politico-sécuritaire du Burundi n’offrait pas les conditions requises à la gestion et l’encadrement d’élections libres, transparentes et régulières pour le Burundi.

La Constitution stipule en son article 90, sous le titre IV des Elections, que “La Commission est composée de cinq personnalités indépendantes. Ses membres sont nommés par décret après avoir été préalablement approuvés séparément par l’Assemblée Nationale et le Sénat à la majorité de trois quarts.”

Au moment où, à dater du 1er Juin 2015, le nombre des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante(CENI) est réduit a trois personnalités, il y a lieu de se poser la question si la CENI jouit toujours d’une existence légale en conformité avec la Constitution ou si son existence légale n’est pas sérieusement compromise dans la mesure où le nombre de cinq personnalités demeure une condition
tellement essentielle que son non-respect constitue une violation flagrante de la constitution et ôte ainsi toute légitimité a la CENI.

Le nombre des membres de la CENI

La Commission Electorale Nationale Indépendante est une institution prévue par la Constitution spécialement par ses articles 89, 90 et 91. L’article 89 dispose que cette commission garantit la liberté, l’impartialité et l’Independence du processus électoral.
L’article 90 de la Constitution stipule que la Commission est composée de cinq personnalités indépendantes.

Le nombre de cinq personnalités a été déterminé par le souci de garantir le respect des équilibres politiques, de genre et ethnographique du Burundi tels que stipulé au dernier préambule de la

Constitution en ces termes

 :
« Réaffirmant notre détermination inébranlable à mettre un terme aux causes profondes de l’état continu de la violence ethnique et politique, de génocide et d’exclusion, d’effusion de sang, d’insécurité et d’instabilité politique, qui ont plongé le peuple dans la détresse et la souffrance et compromettent gravement les perspectives de développement économique et la réalisation del’égalité et de la justice sociale dans notre pays ;

« Considérant que pour atteindre ce résultat, les principes constitutionnels et légaux suivants doivent être garantis :
 L’établissement et l’implantation d’un système de gouvernance démocratique ;
 L’inclusion des partis politiques minoritaires dans le système général de bonne
gouvernance ;
 La protection et l’inclusion des groupes ethniques, culturels et religieux minoritaires
dans le système général de bonne gouvernance ; »

Il ressort de ce qui précède que l’Institution de la CENI tire sa raison d’existence et sa légitimité des dispositions constitutionnelles (article 89,91) et que le nombre de ses membres a été déterminé par une disposition constitutionnelle (article 90).

En conclusion, le nombre de cinq revêt un caractère tellement essentiel et déterminant dans l’accomplissement de la mission de la CENI que l’absence prolongée ou la démission ne fut-ce que d’une personne doit contraindre le Président de la République de pourvoir immédiatement à son remplacement pour permettre à la CENI d’accomplir sa mission conformément au prescrit de l’article 91 de la Constitution.

Si, par extraordinaire, le Président de la République se trouve dans l’incapacité constitutionnelle de pourvoir au remplacement des deux personnes qui ont démissionné, la CENI perd sa légitimité et par voie de conséquence son existence légale est compromise.

Le critère ou le statut d’indépendance des membres de la CENI

L’article 90 stipule que les cinq personnalités doivent être indépendantes. Selon le dictionnaire Salmon, l’indépendance signifie « le fait pour une personne ou une entité de ne dépendre d’aucune autre autorité que la sienne propre. »

Une personnalité indépendante signifie que la personne n’est pas soumise à l’autorité d’un autre organe ou d’un pouvoir extérieur.
En adjoignant le nombre requis de membres (cinq) avec le critère d’indépendance, le
Constituant a exprimé la volonté et le souci que le critère d’indépendance constitue une condition d’existence et d’exercice de leur mission.

Le critère d’indépendance signifie que non seulement les cinq personnalités doivent démontrer avant leur nominations qu’elles n’ont jamais été assujetti à aucun pouvoir politique, social,économique ou financier mais surtout qu’après leur nomination leur indépendance sera toujours préservée par leur intégrité morale et leur droiture.

La décision prise par Mmes Spés Caritas Ndironkeye et Iluminata Ndabahagamye de
démissionner constitue en soi une preuve qu’elles ont maintenu leur indépendance à l’égard de tout autre pouvoir politique mais surtout qu’elles ont toujours préservé leur intégrité morale et leur droiture d’esprit.

Par contre, leur décision de quitter le pays avec leur famille et de demander refuge dans un état étranger par crainte de persécution est révélatrice de leur connaissance d’un Etat policier qui ne respecte pas leurs décisions souveraine de démissionner.

Cette fuite constitue une preuve irréfragable(prima facie case) que le pouvoir politique au Burundi exerce des pressions de toute sorte et de graves menaces permanentes sur les membres de la CENI qui sont de nature à compromettre sérieusement leur indépendance dont ils doivent jouir pour exercer leur mission.

Leur fuite dans un état étranger nous poussent à émettre de sérieux doute sur le statut d’indépendance des autres trois membres de la CENI et nous nous doutons qu’au vu des conditions sociales et sécuritaires qui prévalent au Burundi, les trois autres membres ne seraient pas pris en otage par le pouvoir politique du Burundi.

De l’incapacité constitutionnelle du Président de la République de remplacer les
deux membres démissionnaires.

1. L’incapacité constitutionnelle.
Au regard du contenu des articles 103, 104, 174, 175 de la constitution, le Président de la République ayant terminé ses deux mandats, celui-ci ne pouvait plus se porter candidat. La conséquence légale aurait été la dissolution du Parlement. La dernière session ordinaire du Parlement aurait été celle qui a commencé le premier Lundi du mois de Février 2015.

Dans le cas atypique sous examen, où le Président de la république, en violation de la
constitution, s’est porté candidat pour un troisième mandat, le Parlement, afin de demeurer en conformité avec la constitution, doit toujours être dissout.

Par conséquent, si nous devons rester dans la logique du respect de la constitution, le Président sortant ne pouvait pas ou n’a pas l’autorité nécessaire pour convoquer le Parlement en session extraordinaire, puisque ce Parlement est sensé être dissout suite à l’accomplissement des deux mandats par le Président de la république.

2. L’incapacité politique.
En admettant même l’hypothèse d’école (la poursuite de la violation de la constitution) où le Président de la république serait autorisé de briguer un troisième mandat, le Parlement ne serait pas dissout et par conséquent le Président de la république serait autorisé de convoquer le Parlement en session extraordinaire.

Cette convocation devrait se faire par un décret présidentiel qui devrait déterminer l’objet pour lequel cette session est convoquée. Le Parlement devrait pouvoir valablement délibérer en satisfaisant le quorum des deux tiers requis par l’article 175 de la constitution.

De sérieux doutes subsistent sur la possibilité matérielle de réunir les deux tiers des membres du Parlement au regard du contexte politique actuel qui prévaut au Burundi.

Préalablement à cette session, le Président de la république devrait engager des négociations avec le groupe parlementaire des partis politiques minoritaires et représentant les groupes ethniques, culturel et religieux minoritaires pour se conformer au préambule de la constitution et obtenir le quorum requis pour la nomination de ces deux candidats potentiels.

Suite aux stratégies divisionnistes mises en vigueur par le Président de la république, il se retrouve dans un contexte politique où il n’est pas en mesure de négocier avec des Parlementaires issus d’une aile du Parti politique qui est en dissidence avec le pouvoir politique.

Au regard des dispositions pertinentes de la constitution burundaise, la CENI, dans l’état actuel de sa composition, n’a aucune légitimité constitutionnelle et son existence légale est sérieusement compromise par la combinaison de trois facteurs ; à savoir la réduction du nombre des membres qui doivent être à cinq et une suspicion légitime que l’indépendance des membres n’est pas du tout garantie et enfin par l’incapacité constitutionnelle du Président de la république de remplacer les deux membres démissionnaires.


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