Le Nigeria et le fantasme d’une impossible partition

Redigé par IGIHE
Le 24 septembre 2017 à 05:58

Malgré les tensions ethniques, une partition du pays n’est pas souhaitée par la majorité des Nigérians. Les équilibres ethniques sont très complexes et la division de la Fédération risquerait de donner lieu à des conflits sans fin.
Et voilà que le spectre du Biafra revient hanter les esprits. Le colonel Emeka Ojukwu avait proclamé l’indépendance du Biafra en mai 1967 et l’éphémère république est finalement décédée en janvier 1970.
L’expérience indépendantiste fût de courte durée. Elle coûta très cher aux (...)

Malgré les tensions ethniques, une partition du pays n’est pas souhaitée par la majorité des Nigérians. Les équilibres ethniques sont très complexes et la division de la Fédération risquerait de donner lieu à des conflits sans fin.

Et voilà que le spectre du Biafra revient hanter les esprits. Le colonel Emeka Ojukwu avait proclamé l’indépendance du Biafra en mai 1967 et l’éphémère république est finalement décédée en janvier 1970.

L’expérience indépendantiste fût de courte durée. Elle coûta très cher aux Igbos. Près de deux millions d’entre eux seraient morts pendant ce conflit. Aujourd’hui encore des sécessionnistes biafrais font entendre leur voix. Nnamdi Kanu, le plus célèbre d’entre eux dirige Radio Biafra. Après deux ans d’incarcération sans procès, il a finalement été libéré sous caution par les autorités nigérianes juste avant l’anniversaire des cinquante ans de la guerre du Biafra. En 2016, des manifestations en sa faveur avaient été réprimées dans le sang dans le pays igbo (sud-est du Nigéria).

Encore aujourd’hui, partout en Afrique, il n’est pas rare de retrouver des cartes du Biafra indépendant. Des commerçants igbos en conservent par devers-eux de Lomé à Yaoundé en passant par Cotonou. Des intellectuels tels que l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie se présentent plus volontiers comme Igbos que comme Nigérians. L’identité igbo est forte. « Bien des nôtres ont l’impression d’être un peuple élu à l’égal des juifs », souligne Emeka Ugwu, un homme d’affaires du sud-est.

Les Igbos ne sont pas les seuls à s’interroger sur la légitimité de l’Etat nigérian. Entre le nord musulman où la langue haoussa domine et le sud à majorité chrétienne qu’il y-a-t-il de commun ? Les habitants de Lagos, la capitale économique et culturelle du Nigeria, sont tournés vers l’occident, notamment les modèles américain et anglais. Le nord du Nigeria est clairement orienté vers le monde arabo-musulman.

La création du Nigéria est relativement récente. Le processus « d’amalgamation », comme l’appellent les Nigérians, remonte à 1914. Il a été décidé par Lord Lugard, le gouverneur britannique de l’époque. L’idée d’appeler le pays « Nigeria » serait l’œuvre de sa maîtresse, la journaliste britannique Flora Shaw. « L’amalgamation » (l’unification) d’un sud côtier et d’un nord sahélien avait pour but de créer un pays influent. Aux yeux des Britanniques, le Nigeria, « géant de l’Afrique » avait aussi pour fonction de couper en deux l’empire colonial français.

Le pays igbo est enclavé dans le sud-est

Le Nigeria de l’ère britannique était séparé en trois régions : le nord à majorité haoussa-fulani, le sud-ouest yorouba et le sud-est dominé par les Igbos. Lorsqu’Emeka Ojukwu proclame en mai 1967 l’indépendance du Biafra, il se base sur le découpage géographique effectué par les Britanniques. Cette division géographique est très avantageuse pour les Igbos puisqu’elle leur permet de dominer la région qui constitue « l’éponge à pétrole » du Nigeria. Depuis la fin des années cinquante, le pays est devenu un important producteur d’or noir.

La situation militaire du Biafra indépendant est rapidement devenue critique. Le régime fédéral était soutenu par les Britanniques, les Américains et l’Union soviétique. Parmi les grandes puissances, seule la France s’est rangée aux côtés du Biafra. Mais ce qui condamne la jeune république à une mort lente, c’est le fait de perdre rapidement un accès aux villes côtières. Le pays igbo est enclavé dans le sud-est. Les ethnies côtières ne soutiennent pas la rébellion. A l’image de l’écrivain ogoni, Ken Saro-Wiwa, elles craignent le plus souvent de se retrouver sous la tutelle des Igbos.

Une fédération qui compte plus de 300 ethnies

Les médias occidentaux parlent sans cesse des trois grandes ethnies du pays, les Haoussas, les Yoroubas et les Igbos, mais le Nigeria regroupe plus de 300 ethnies, toutes en compétition les unes avec les autres pour le pouvoir politique, économique et culturel.

Aujourd’hui encore les antagonismes ethniques et géographiques sont très forts. Les Igbos ne sont pas les seuls à manifester leur mécontentement. Les ethnies de la zone pétrolière, notamment les Ijaws (l’ethnie de l’ex-président Goodluck Jonathan), réclament une part plus importante du « gâteau pétrolier », d’où la multiplication des sabotages de pipelines.

Les habitants de Lagos ont l’impression de produire des richesses économiques que le nord va dilapider. A elle seule, la ville de Lagos est peuplée de 22 millions d’habitants. Cette mégapole possède un PIB équivalent à celui de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Sénégal réunis. « A Lagos, Abuja n’est pas perçue comme une vraie capitale, mais comme la capitale du nord. Les Lagotiens considèrent Abuja comme une ville parasite qui pille le reste du pays et vit sur son dos », estime John Awolowo, enseignant à Lagos.

Un clivage Nord/Sud

Créée de toutes pièces, il y a une vingtaine d’années Abuja a du mal à s’imposer comme une vraie capitale aux yeux des sudistes. Le nord s’enfonce dans la crise et le sud se développe, ce qui contribue à la montée des tensions régionales. Pourtant, très peu de Nigérians souhaitent ouvertement une partition du pays. Les Nigérians aisés se préoccupent peu des conflits ethniques. Originaire de la ville de Kano (Nord) Aliko Dangoté, l’homme le plus riche d’Afrique, vit à Lagos depuis le début des années quatre-vingt. Son yacht mouille dans la lagune. Il a construit ses réseaux d’affaires et politiques les plus efficaces à Lagos, notamment avec l’ex-président Olusegun Obasanjo, un natif du sud-ouest.

A Lagos, les mariages interethniques se multiplient. Signe des temps, le plus grand succès commercial du cinéma nigérian, The Wedding Party narre un mariage interethnique entre Yoroubas et Igbos. Une fiction qui rejoint une réalité de plus en plus fréquente. A Lagos, une grande partie de la population est originaire du pays igbo. Elle parle l’igbo comme le yorouba. Grands voyageurs, les commerçants igbos n’ont aucun intérêt à une partition du pays. Ils sont très présents dans toute la Fédération, y compris dans le nord. Les grandes villes du nord comportent des quartiers largement peuplés d’Igbos.

Autre question majeure, comment procéder à une partition de la Fédération dans un pays qui compte autant d’ethnies ? Le Nigéria a déjà accordé une large place aux particularismes régionaux en créant 36 Etats. Une fois élus, les gouverneurs de ces états disposent de larges pouvoirs.

Les Nigérians savent bien qu’une partition sur des bases ethniques aurait des conséquences dramatiques. Comment déterminer le territoire de chacune des 300 ethnies ? Quel poids aurait un Nigeria ainsi fractionné ? Les conflits sans fin dans le Soudan du Sud et leur lot d’atrocités ne plaident pas en faveur d’une partition.

« Le concept d’un Biafra indépendant ou d’un pays yorouba indépendant peut faire fantasmer. Mais il n’est guère réaliste. Bien sûr que les frontières du Nigeria ont un côté artificiel. Mais au fond c’est le lot de toutes les frontières. Maintenant il faut s’en accommoder faute de mieux », estime Emeka Ugwu, professeur à l’université de Nsukka. Lucide, il ajoute : « C’est tout de même mieux de vivre ensemble plutôt que de plonger dans des guerres sans fin ».

Avec Rfi


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