Serge Farnel est l’auteur de "Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais"
Cette année, la fête juive Hannoucca tombe le même jour que la fête chrétienne de Noël. Mangeant à tous les râteliers, j’aurais passé mon enfance à empocher les « Hannoucca gelt » et à défaire les cadeaux de Noël sous le sapin.
Le Hannoucca gelt est une pièce de monnaie que je me voyais offrir le jour de Hannoucca. Je n’avais rien à faire d’autre que détrousser mon grand-père (le père de mon père) comme un bandit d’Halloween. Autre chose que l’effort qui m’était demandé le jour de Pessah (la pâque juive) et qui consistait à chercher dans l’appartement de mon grand-père le morceau de matzah (pain azyme) qu’il venait, par tradition, de cacher dans l’appartement.
Quand je dis effort, il faut le dire vite et préciser que mon grand-père en ayant vite assez de me voir tourner en rond dans son appartement et mettre sans dessus dessous ses canapés, un peu désespéré probablement que je ne me souvienne pas de l’endroit où il cachait chaque année le matzah, m’indiquait d’un coup d’œil où il l’avait planqué. Je revenais fièrement avec ma prise, tout à fait conscient que toute la famille savait que j’avais été aidé dans ma recherche. Pagnol n’a-t-il pas décrit la maturité des enfants dans la gloire de « son » père ?
J’ai, il y a quelques années, revisité cet appartement qu’avait dû abandonner ma famille alors que Vichy instaurait à Paris les lois anti-juives. On dira tout ce qu’on veut contre Vichy, mais c’est quand même grâce à eux que ma famille est allée se ressourcer à la campagne pendant quatre ans ! Je me baladais rue de Bretagne et passais devant l’immeuble parisien au moment où une personne y entrait. Je lui demandais si je pouvais profiter qu’il pénètre dans l’immeuble pour y entrer moi-même étant donné que je n’avais pas le code et que mes deux grands-parents paternels y avaient habité. Je désirais éprouver à nouveau ces souvenirs d’enfant. Il accepte et me demande à quel étage ils habitaient. « Au troisième ! » « C’est précisément là où j’habite, me répond-il. Vous voulez venir ? » J’hésite. Mon père, qui y a longtemps vécu, ne tient pas à y retourner.
J’ai bien failli regretter mon choix quand je me suis aperçu que l’appartement ne ressemblait en rien à ce qui était resté dans ma mémoire. Heureusement, j’ai rencontré leur fille. Dix ans et très curieuse. Et logorrhéique comme je suis, nous avons vite compris que nous étions complémentaires. J’ai passé en revue tout l’appartement pour lui dire à quoi correspondait tel endroit dans mes souvenirs. Sa chambre correspondait à une partie de celle de mes grands-parents. « Tu vois, à cet endroit, il y avait une grande photo de moi. Mes parents ainsi que mon oncle étaient dans la mode et ils faisaient faire des photos de moi, de mon frère et de ma cousine pour promouvoir leurs créations de vêtements pour enfants. A cet endroit donc il y avait une grande photo de moi avec un bonnet en laine. Je faisais un peu fille sur cette photo ! »
Je peine à reconstituer le long couloir qui menait à la salle-à-manger en passant par la cuisine. « Tu vois, ici, il y avait la cuisine. Ma grand-mère était une cuisinière hors pair. A chaque fête juive, c’était un chantier. Toute la gastronomie judéo-polonaise dans moins de dix mètres carrés ! Et le gefilte fish (carpe farci) était vraiment bio ! Ma grand-mère tuait les carpes dans sa baignoire. » Je vois la fille faire semblant de me croire, comme ma prof de français en quatrième lorsqu’elle avait lu ma rédaction dont le thème était de faire un journal de trois jours. Nous lisions alors celui d’Anne Frank.
J’avais eu l’idée de n’écrire que le récit de ce qui s’était passé au cours de deux journées et non trois, écrivant au cours du troisième jour un truc comme : « Rien de particulier aujourd’hui. Journée sans surprise. » Si ça c’est pas de l’intelligence ! Qui osera me reprocher qu’il ne s’est rien passé au cours d’une de ces trois journées ? Lisez Epictète et son livre « Tout ce qui ne dépend pas de nous » et vous comprendrez…
Bref, les trois jours avaient lieu durant les fêtes juives. Alors forcément, je lui décrivais comment ma grand-mère tuait les carpes dans sa baignoire. Comme au Shtetel à Alksender, près de Lodz en Pologne. Et madame Hordoir (dire que je me souviens encore de son nom !) n’avait pas manqué de mettre en marge : « Hum hum… », genre : je n’avalerai pas plus la couleuvre que tu as avalé des carpes sorties de la baignoire de ta grand-mère. J’aurais donc encore tenté le coup avec la fille des nouveaux locataires de l’appartement de mes grands-parents. Allez, je ne demande à personne de me croire.
Quant à l’endroit où mon grand-père cachait le matzah, j’aurais peine à savoir où c’était dans cette nouvelle configuration. C’est alors que je l’ai vu apparaître. Discrètement il m’a dit un truc que je n’ai pas compris. Il faut dire qu’il parlait Yiddish et que je ne connais de cette langue que quelques mots grossiers et savamment imagés. Il s’est alors rappelé qu’on communiquait plus facilement par des coups d’œil et des gestes, ce qui présente l’avantage de favoriser la transmission de l’amour. Les mots, y a du pour et du contre. Il m’a donc indiqué l’endroit où se trouvait le matzah. J’y suis allé, ai tâtonné le canapé. « Vous avez perdu quelque chose ? » J’ai sursauté.
Non, je n’avais rien perdu. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. », avait dit Lavoisier, paraphrasant en cela une phrase d’Anaxagore sept siècles plus tôt. Il savait donc de quoi il parlait, Lavoisier, en disant ça ! « Tout se transforme », me répétais-je en prenant le vieil ascenseur qui sentait encore le bon pain chaud de la boulangerie mitoyenne aujourd’hui disparue et dont mon père m’a confessé un jour qu’il avait fantasmé sur une des serveuses quand il était ado !
Il me l’avait confessé comme il devait se confesser lui-même pendant la guerre dans le village du Limousin d’Yssandon. Il y était enfant de chœur. C’est ainsi que le prêtre du village avait entrepris de le fondre dans la masse des enfants chrétiens. Et l’infirmière qui sortit ma mère du Vel d’Hiv était, je l’imagine, une infirmière d’une institution catholique. Alors nécessairement, quand Noël et Hannoucca entrent en collision, ça fait des étincelles dans le cœur de l’homme que je suis aujourd’hui.
Je n’oublie rien du comportement meurtrier des croisés à l’encontre des juifs sur leur chemin vers la terre sainte, je n’oublie rien de l’inquisition, je n’oublie rien du comportement de Pie XII pendant la seconde guerre mondiale ni de celui du pape Léon X mis en place par les Médicis, cet ancien pirate dont la façon de récolter de l’argent chez les pauvres gens en leur monnayant le paradis pour renflouer les caisses de la papauté mises à mal par ses fêtes fastueuses révolta Luther au point qu’avec le concours indirect de Gutenberg finisse par émerger la réforme. Mais je n’oublie pas pour autant tous ces hommes et ces femmes de bonne volonté qui, animé par le message bienveillant de cet homme que fut Jésus, participent à aider leur prochain. Quant à ce que d’autres ont fait de son message, c’est disons… une autre Histoire !
Il y a 2016 ans naissait cet homme en terre sainte. Six cent ans plus tôt, au même endroit, de leur retour d’exil à Babylone, les Judéens se réappropriaient le temple de Salomon, après avoir vaincu les Grecs qui avaient projeté d’en faire un lieu de culte pour Zeus ! C’est ce que célèbre Hannoucca. Nous allumons des bougies, une par jour pendant huit jours, pour rappeler le miracle de la fiole d’huile lors de la réappropriation du temple, comme les chrétiens réformistes allument les leurs depuis deux siècles maintenant sur la couronne de l’Avent les quatre dimanche avant Noël. J’ai célébré Noël et Hannoucca depuis longtemps et je continuerai.
Ma relation à Dieu dans tout ça ? Probablement pas ce que vous imaginez. Je préfère parler de ma relation à l’Histoire, aux Hommes, ces Hommes dont la faiblesse me touche, que ce soit parce qu’ils croient en Dieu ou parce qu’ils n’y croient pas.
AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!