Rwanda - France : la déclassification des archives de l’Elysée permet-elle vraiment la transparence ?

Redigé par Huffpost
Le 10 avril 2015 à 02:57

C’est dans un esprit de "transparence" que l’Elysée a déclassifié mardi 7 avril des archives de la présidence française sur le Rwanda pour la période 1990 à 1995 au cours de laquelle plus de 800.000 personnes ont perdu la vie.
Un geste pour le moins symbolique consenti à la date du 21e anniversaire du déclenchement du génocide rwandais et arrivant dans un contexte où Paris et Kigali cherchent à réchauffer leurs relations. Le Rwanda s’est par ailleurs félicité de cette initiative espérant seulement que (...)

C’est dans un esprit de "transparence" que l’Elysée a déclassifié mardi 7 avril des archives de la présidence française sur le Rwanda pour la période 1990 à 1995 au cours de laquelle plus de 800.000 personnes ont perdu la vie.

Un geste pour le moins symbolique consenti à la date du 21e anniversaire du déclenchement du génocide rwandais et arrivant dans un contexte où Paris et Kigali cherchent à réchauffer leurs relations. Le Rwanda s’est par ailleurs félicité de cette initiative espérant seulement que cette déclassification "soit totale". Saluée aussi par quelques associations militantes, cette décision laisse néanmoins perplexe nombre de spécialistes de la période.

Car si ceux qui enquêtent sur ce génocide pourront désormais consulter des comptes-rendus réalisés par des conseillers de l’Elysée ou encore des documents émanant des conseils restreints de la présidence, il est difficile d’affirmer que cette déclassification puisse apporter des éléments nouveaux.

Des documents déjà connus

Rappel des faits. Entre avril et juillet 1994, 800.000 personnes avaient été tuées en une centaine de jours, selon l’ONU, des membres de la minorité tutsi pour l’essentiel. Les massacres avaient débuté au lendemain de l’attentat qui avait coûté la vie au président hutu Juvénal Habyarimana (soutenu par la France) le 6 avril 1994. Au mois de juin, les forces françaises intervenaient dans le cadre de l’opération Turquoise. Depuis, la question qui agite militants et chercheurs, c’est le rôle qu’a pu avoir la France durant ce génocide. De nombreuses publications ont par ailleurs déjà été publiées sur le sujet. Le président rwandais, Paul Kagamé, accuse de son côté la France d’avoir apporté son concours au génocide.

La teneur des documents élyséens de cette période, cela fait longtemps que militants et chercheurs en ont une idée précise. Contacté par Le HuffPost, Rémi Korman, doctorant en histoire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, explique qu’un nombre important de ces dossiers avaient fuité, "un peu à la manière de Wikileaks", il y a quelques années.

"Il faudra juger sur pièce, car pour l’instant on ne connaît pas encore l’étendue des documents qui seront consultables", poursuit le chercheur qui ne s’attend pas à ce que ces archives "bouleversent notre compréhension de la période". Et pour cause, au mois de mai de 2010 est sorti un article scientifique signé Raffaëlle Maison et intitulé Que nous disent les "Archives de l’Elysée". Preuve s’il en est que l’apport réel de cette déclassification reste encore à déterminer.

Détail intéressant soulevé par Rémi Korman, le fait que ces archives ne soient pas rendues "publiques", mais "consultables" par les professionnels ou militants d’associations. Alors que les États-Unis ont mis en ligne les documents relatifs au Rwanda, la France est dans une toute autre démarche, émaillant au passage le "souhait" de transparence émis par l’Elysée. "C’est intéressant, parce que ce détail est un indicateur de la difficulté qu’il y a en France de publier des documents en lien avec le Rwanda", poursuit l’historien.

Les documents sensibles toujours classés

Si les archives de l’Elysée (ou de l’Assemblée nationale comme cela devrait être le cas prochainement) permettent de saisir l’état d’esprit politique de la période, les documents portant sur les actions de la France restent confidentiels. "Il manque ce qui relève du renseignement militaire, ainsi que les documents du ministère de Affaires étrangères, de l’Assemblée nationale et du ministère de la Défense", déplore auprès d’Europe 1, Vincent Hugeux, journaliste à L’Express qui a longtemps enquêté sur le génocide rwandais.

Un constat partagé par Rémi Korman qui rappelle que le "gros débat", reste celui "des livraisons d’armes, de la formation de l’armée régulière par l’armée française" ou encore "des détails de l’opération Turquoise, déclenchée alors que le génocide était en cours".

Ce faisant, l’association Survie n’est pas dupe et réclame "d’autres déclassifications de documents diplomatiques et militaires plus sensibles", notamment les "dossiers instruits par le pôle crimes contre l’humanité et génocide contre des militaires français de l’opération Turquoise" et "celui de l’attentat du 6 avril 1994 instruit au pôle anti-terroriste".

En résumé, les documents qui permettraient de déterminer le degré de responsabilité de la France dans le massacre des Tutsis par les Hutus restent pour l’heure classés Défense. "La déclassification de ces archives sensibles présentent d’autres enjeux, notamment géopolitiques", détaille Rémi Korman qui estime qu’il "est possible" que le voile soit levé un jour.

Du côté de l’Elysée, on indique que les autres administrations (dont les ministères de la Défense et des Affaires Étrangères) devraient également procéder à une déclassification de leurs archives. Quand ? Impossible de le savoir, la présidence ayant indiqué que chacun irait "à son rythme". Une façon de botter en touche qui montre que si la déclassification des archives de l’Elysée est en soi un bon début, le "transparence" complète sur le génocide rwandais n’est visiblement pas pour tout de suite.


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